Technologies et covid-19 : ambivalence du progrès, limites et perspectives. Découvrez notre veille dédiée
La crise du Covid-19 a confronté l’Homo Deus décrit par Yuval Harari aux limites de ses capacités techniques, nous contraignant à un confinement primitif faute de réponses médicales. Elle a aussi révélé la pauvreté du débat public scientifique en France, pourtant essentiel pour nourrir l’opinion comme la décision politique. Au centre de toutes les attentes, ce débat s'est avéré défaillant, aggravant la défiance du public face aux institutions et au corps scientifique. Une défaillance tragique, alors que science et technologies seront plus que jamais présentes dans nos vies et les choix politiques à venir. Il fait également apparaître la nécessité de retrouver le contrôle des technologies-clés influant sur notre vie collective. C’est une condition d’exercice de nos libertés individuelles et de notre indépendance nationale. Si nous n’y parvenons pas, la démocratie elle-même sera mise en cause à l’occasion des prochaines crises majeures, qui feront apparaître celle-ci comme une triste préface, à commencer par celle que promet le changement climatique.
Toute crise majeure porte en elle une ambivalence. Elle révèle les fragilités de la société qui la traverse, éprouvant sa résistance et sa capacité de résilience. Par la nécessité soudaine de s’adapter, elle constitue également un accélérateur de sa transformation.
Celle que nous traversons, imposée par l'apparition d'un micro-organisme à l'autre bout du monde, n'échappe pas à la règle. Par la brutalité avec laquelle elle s'est imposée à nous, elle nous a arraché au confort de nos habitudes, assigné à résidence pendant des mois, mis en péril nos économies et forcé à nous interroger sur des pans entiers de nos modèles d'organisation.
Notre rapport aux sciences et aux technologies, fondements de la modernité occidentale dont le modèle s'est exporté dans le monde entier, est ébranlé. Il suscite à la fois doutes et espoirs, appréhensions et perspectives de dépassement.
Une science désenchantée
Ainsi, les limites de notre maîtrise scientifique sont soudainement apparues au grand jour pour nombre qui n'en avaient pas conscience. Une pandémie mortelle au XXIe siècle, dans nos contrées riches et modernes, vous n'y pensez pas ! Ce ne peut-être qu'une dystopie, une mauvaise série catastrophe. Alors que nous regardions sur les écrans la Chine confiner massivement sa population, la menace nous semblait toujours irréelle. Une grippette, tout au plus...
Quelques semaines plus tard seulement, la stupeur s'imposait en même temps que la pandémie gagnait nos contrées. Et une ribambelle de sachants, à défaut de savants, s'installait sur les plateaux de télévision et dans nos salons de confinement. Au mieux désemparés, au pire égocentrés, révélant pour la plupart leur impuissance face à la catastrophe annoncée, ils ne nous auront rien épargné : affirmations péremptoires, expertises contradictoires, modélisations incertaines, prévisions hasardeuses, publications truquées, disputes stériles, hygiénisme systémique, infantilisation atavique.
Aux côtés du pouvoir politique, les multiples synodes censés porter la réflexion scientifique, n'auront eu de cesse de discréditer cette démarche, multipliant les déclarations contradictoires, dans un empressement fort peu scientifique à communiquer, avec une légèreté confondante, auprès du public. Dès lors, comment le citoyen peut-il engager sa confiance dans la décision politique, censée se fonder sur la rationalité éclairée de la science ? Comment peut-il forger son opinion quant à l’opportunité du confinement par exemple ? Une aubaine que n'ont pas manqué d'exploiter les marchands de fausses nouvelles et les adeptes toujours plus nombreux de la « post-vérité », à l'image d'un Donald Trump jetant en pâture de simples fantaisies tenues pour vérités révélées.
Si la science semblait incapable d'apporter des solutions médicales afin que cesse la saignée, elle ne manquait pas pour autant de ressources pour aider les gouvernements à contrôler les populations confinées, avec plus ou moins de subtilité selon les régimes politiques. Applications de traçage, qui s’avéreront inutiles, fichage biométrique, drones de surveillance, robots de distanciation. Un techno-solutionnisme s'affichant sur tous les fronts, mais ne butant pas moins sur des limites rédhibitoires : intelligences artificielles en manque de données, applications de traçage inefficaces, remèdes prometteurs in vitro sans effets mesurables in vivo...
A défaut de solution, le numérique permet une certaine résilience
Pour autant, si la science et les technologies s'avéraient incapables de nous épargner un confinement moyenâgeux dans son principe, elles se montraient parfaitement efficientes pour nous permettre de le vivre dans des conditions fort différentes de celles qu'ont pu connaître nos lointains ancêtres.
Faisant preuve de sa résilience intrinsèque, même soumis à une demande inédite, Internet a tenu bon. Si la distanciation physique s'imposait à tous, les outils numériques ont permis au plus grand nombre d'échapper à une bien plus redoutable distanciation sociale. Ainsi, le télétravail est devenu la routine de millions de salariés, la télémédecine est sortie de la marginalité pour devenir une pratique de masse, les commerçants de quartier se sont lancés en quelques jours, à marche forcée, dans la vente de produits en ligne, tandis que les seniors les plus rétifs au numérique, faute de visites, se convertissaient aux applications de vidéoconférence pour entretenir les liens avec leurs proches.
A l'inverse, nombre d'entreprises commerciales qui n'avaient pas jugé utile de préparer leur mutation numérique se sont retrouvées dépourvues la bise venue. En témoignent les honorables enseignes qui ont été les premières à annoncer un dépôt de bilan ces dernières semaines. Ce ne sont que les premières d'une vague qui sera sans doute massive.
La révolution numérique à l'oeuvre depuis le début du siècle a ainsi connu une accélération sans précédent qui, gageons-en, ne connaîtra pas de retour en arrière. Les habitudes prises pendant le confinement qui se seront avérées utiles ou bénéfiques persisteront dans l'avenir.
Une résilience sous forme de pacte faustien…
Cette nouvelle donne n'est pas pour autant dépourvue de périls. Ainsi, l'activité des pirates du numérique n'aura jamais été aussi intense qu'en ce printemps, la diffusion de fausses nouvelles aussi systématique. La cybersécurité devient ainsi une préoccupation plus importante encore qu'elle ne l'était avant la crise. La tentation est grande aussi dans nombre de pays de maintenir à l'avenir les systèmes de surveillance mis en place au titre exceptionnel de la pandémie.
La question de notre souveraineté numérique apparaît également au grand jour. L’impossible conception de l’application Stopcovid a été un moment de vérité. Faute de pouvoir agir sans le consentement d’Apple ou Google, l’Etat Français s'est montré incapable de proposer une solution souveraine satisfaisante, menant au fiasco du projet. Ainsi, cette même technologie qui permettait notre résilience, nous révélait en même temps notre dépendance grandissante aux géants du numérique. Les scandales se sont ainsi succédé, de l’hébergement des serveurs de Zoom en Chine à la découverte de la gestion par Microsoft de notre Cloud de Santé national.
- Quelques propositions -
Compte tenu de ces menaces qui pèsent à la fois sur nos libertés personnelles et les fondements de notre démocratie libérale, notre groupe de travail, Code3, appelle le personnel politique à œuvrer résolument pour permettre que s'installe en France un débat scientifique de qualité et que s'organise une véritable reprise de contrôle des technologies vitales ainsi que de nos données stratégiques.
En effet, nous avons la conviction que l’humanité pourra gérer par le haut les enjeux vitaux de l’avenir : les crises biologiques, la question énergétique et le réchauffement climatique, la maîtrise du feu de l’IA, non par l’obscurantisme et le refus du progrès, mais bien par la recherche et l’innovation.
1/ Nous devons organiser un débat scientifique de qualité, c’est à dire lisible et utile à l’information des citoyens, des média et des élus, notamment en temps de crise
Le Conseil Scientifique doit être doté d’un fondement légal, pour coordonner notamment le conseil et l’expertise des différentes instances existantes : Santé Publique France, la HAS, le HCSP. Il s’agit de renforcer la lisibilité du décryptage scientifique.
Il se verra doter de moyens, sous la forme d’un budget et du rattachement des moyens existants de l’Etat, ainsi que d’une indépendance forte pour échapper à la tutelle politique comme aux coteries, afin de prodiguer un conseil de qualité aux élus tout en assurant une mission d’information et de pédagogie auprès de l’opinion.
Nous proposons que ce Conseil joue le premier rôle de démineur des fake news et de la désinformation scientifique, qu’il établisse avec pédagogie un panorama des débats scientifiques en cours, quitte à laisser la nécessaire place au doute et à l’incertitude.
2/ Nous devons assurer notre indépendance technologique pour les technologies vitales qui nous permettent de protéger nos données ou de gérer des crises
Dans la ligne de la Convention que nous avons organisé en novembre 2019 sur le thème de la souveraineté numérique, nous rappelons nos propositions clés :
Nous proposons une préférence 100% nationale et européenne pour le Cloud numérique stratégique. L’hébergement des données essentielles relatives à nos concitoyens, relatives à leur identité, à leur santé, à leur localisation, qu’il s’agisse de gestion de crises ou de projets au long cours, doit être français ou européen, et répondre aux critères de sécurité définis par l’ANSSI.
Plutôt que l’interdiction des plateformes, nous affirmons la nécessaire défense des données individuelles, via une loi de patrimonialité des données : c’est la reconnaissance de la valeur de nos données individuelles, qui deviennent une source de revenu choisi si nous décidons de les partager. Nous devenons ainsi maîtres de ce que nous fournissons aux plateformes et aux IA.
Nous proposons un contrôle permanent du fonctionnement des IA les plus stratégiques et les plus populaires, via les agences de protection des droits du consommateur, afin d’informer des abus perpétrés par certaines entreprises.
Enfin, nous suggérons avec vigueur un cours d’instruction civique à la vie numérique, pour tous les enfants, collégiens et lycéens, ainsi qu’à leurs parents, afin de les sensibiliser au bon usage d’Internet.