La tech peut-elle sauver l'agriculture française ? Découvrez notre veille dédiée

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE EN DANGER

Avec une population mondiale attendue autour de 9,1 milliards d'habitants en 2050, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'Agriculture (FAO) estimait, dans un rapport publié il y a une dizaine d'années déjà, que la production agricole devra avoir augmenté d'ici là de 70% afin de satisfaire les besoins de l'humanité. Cela sans compter l'essor des agrocarburants, qui entraînera des besoins encore plus importants. La production de céréales devrait ainsi atteindre 3 milliards de tonnes par an et la production de viande 470 millions de tonnes.

Or, toujours selon la FAO, les surfaces cultivables ne pourront augmenter que de 4% à cette échéance. Et si l’intensification de l’agriculture a considérablement accru la quantité de nourriture disponible au cours des dernières décennies, elle a dans le même temps conduit à des impacts environnementaux négatifs considérables : hausse dramatique des émissions de gaz à effet de serre, déclin de la biodiversité ou encore pollutions de l’eau et des terres.

Selon les experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), un tiers des sols seraient déjà « moyennement à fortement dégradés, donc inutilisables pour l’agriculture » et « près de 60% en mauvais état ». « Si nous n’agissons pas, plus de 90% des sols pourraient se dégrader d’ici à 2050 », alerte de son côté la FAO.

Ces phénomènes cumulés menacent à terme la sécurité alimentaire de l'humanité et constituent donc un enjeu majeur pour l'ensemble des pays ainsi qu'une source prévisible de déstabilisation économique, sociale et politique dans de nombreuses régions du monde.

L'AGRICULTURE FRANÇAISE EN DÉCLIN

Longtemps fer de lance de l'agriculture européenne, la France apparaît désormais en déclin. De deuxième exportateur mondial dans les années 1990, le pays est passé à la quatrième place, derrière les États-Unis, l’Allemagne et les Pays-Bas, voire à la sixième si l'on exclut les produits transformés. À ce rythme, nous importerons bientôt plus de produits agricoles que nous n'en exportons, et ce dès 2023 selon un rapport du Sénat publié l'année dernière.

Ce recul s'explique d'une part par la baisse de notre compétitivité, sous le coup en particulier de charges salariales en hausse, entraînant des distorsions de concurrence avec nos voisins. Mais aussi par manque d'innovation. Pour compenser ces coûts accrus, les agriculteurs français ont en effet limité leurs investissements, entraînant autant de retard technologique. Un cercle vicieux. D'autre part, le manque de vision stratégique de notre pays est flagrant, en particulier quand il s'agit de l'organisation de filières efficaces et cohérentes, génératrices de forte valeur ajoutée.

Enfin, nos agriculteurs rencontrent des difficultés croissantes qui, à l'exception de quelques secteurs d'excellence, pèsent sur la profession dans son ensemble. Souvent vieillissants, fortement endettés, peinant à survivre avec des rémunérations indécentes, voire à céder leurs exploitations, dénigrés pour des pratiques jugées peu écologistes, leurs conditions de travail sont parfois peu gratifiantes.

Pourtant, loin des clichés, nos paysans sont aujourd’hui si connectés que l’agriculture est devenue l’un des terreaux les plus fertiles d'innovation technologique. Les agriculteurs constitueraient même l’une des catégories socio-professionnelles les plus connectées. Selon l'étude Agrinautes de 2019, 90% étaient connectés à Internet, 70% équipés d'un smartphone et 57% inscrits à au moins un réseau social. 77% regardaient des vidéos agricoles sur Internet pour améliorer leur formation. Un appétit qui laisse augurer de développements majeurs dans la profession ces prochaines années.

LES TECHNOLOGIES ET LA RECHERCHE À LA RESCOUSSE 

Face à ces enjeux, plusieurs types de solutions se présentent à nous, alimentées par une innovation technologique tous azimut, ainsi qu'une recherche agronomique en mutation. Plutôt qu'opposer ces différentes pistes, comme le débat public et politique tend à le faire, il convient sans doute de les combiner afin de tirer le meilleur parti de chacune d'entre elles, dans le cadre d'une stratégie globale.

D'une part, les nouvelles technologies du numérique, des données et de l'intelligence artificielle, mais aussi de la robotique de pointe, soutenues par des investissements de plus en plus conséquents et qui suscitent l'intérêt de nombreux agriculteurs, annoncent une profonde mutation des pratiques agricoles, qui s'exprime certainement le mieux à travers le concept d'agriculture de précision.

Cette agriculture de précision, par l'usage de capteurs fins interconnectés, d'outils de traitement des informations recueillies et d'intelligence artificielle permet d'optimiser nombre de pratiques, par exemple de réduire drastiquement l'usage d'intrants chimiques dans les champs, d'individualiser la surveillance des animaux d'élevage ou encore d'optimiser l'usage d'énergie dans les exploitations.

Les avancées récentes de la recherche en génie génétique laissent aussi espérer des avancées majeures dans l'amélioration de certaines espèces végétales, permettant un usage moindre de pesticides ou d'eau, améliorant leurs qualités nutritionnelles ou encore aidant les variétés qui en pâtissent à mieux s'adapter au changement climatique. Encore faudrait-il encourager la recherche et les applications dans ce domaine, ce qui reste une gageure en France, où l'opinion publique et le consensus politique affichent une défiance souvent irrationnelle à ces technologies.

Des innovations de rupture laissent aussi entrevoir les opportunités d'une néoagriculture radicale, pratiquée hors-champs, voire au sein des villes, et destinée à produire, de façon contre-intuitivement écologique, fruits, légumes et protéines alternatives à la viande d'élevage. Nombreuses sont désormais les entreprises engagées dans cette démarche, des fermes verticales produisant des fraises en containers à la viande de synthèse générée en laboratoire, en passant par l'élevage d'insectes destinés à l'alimentation animale comme humaine ou même de bactéries nourries au carbone.

A rebours de cette néoagriculture ultra-technologique aux allures futuristes, que d'aucuns jugeront dystopique, l'élan d'innovation est aussi bien présent dans l'intérêt croissant porté à l'agroécologie scientifique, qui cherche à opérer un ressourcement de l’agronomie dans les principes de l’écologie. Il s'agit là de tirer le meilleur parti des mécanismes naturellement à l'oeuvre dans les écosystèmes, plutôt que s'y opposer frontalement, par exemple en faisant appel à l'aide d'insectes auxiliaires pour combattre les nuisibles plutôt que de produits phytosanitaires. On parle alors de biocontrôle.

Enrichies en connaissances plutôt qu'en intrants, issues tant de la recherche agronomique que des expériences menées par des paysans-chercheurs qui font foison, les pratiques agroécologiques sont multiples. On notera l'abandon des monocultures traditionnelles à la faveur d'une segmentation et d'une rotation accrue des cultures, l'agroforesterie qui associe la plantation d'arbres et d'arbustes aux cultures nourricières, le souci de la conservation des sols sinon leur enrichissement, la captation optimisée des énergies naturelles comme celle du soleil ou encore la culture conjointe de variétés complémentaires et une organisation novatrice des parcelles qui offre à la permaculture des rendements à l'hectare qui n'ont rien à envier à ceux de l'agriculture industrielle.

Enfin, on ne peut réfléchir à l'avenir de l'agriculture sans poser la question de notre alimentation, à commencer par la part qu'y tient la viande, la pratique de l'élevage se montrant très gourmande en terres agricoles pour nourrir les cheptels, mais aussi un facteur substantiel d'aggravation du réchauffement climatique par l'émission de gaz à effet de serre qu'elle implique. Sans négliger, par ailleurs, la problématique des pertes de production au niveau des exploitations agricoles comme du gaspillage alimentaire dans les foyers et les circuits de commercialisation.

LA FRANCE A TOUTES LES CARTES EN MAIN

Riche d'une histoire agricole ancrée dans une culture paysanne millénaire, disposant de nombreuses filières d'excellence et de tous les atouts nécessaires au développement de nouvelles technologies comme de nouvelles pratiques issues de la recherche agronomique, la France a aujourd'hui toutes les cartes en main pour réinventer son agriculture et enrayer la spirale de déclin qui la menace.

Encore faut-il savoir quelle stratégie nous voulons adopter, quelle vocation nous voulons conférer à l'agriculture française de demain. Devons-nous prioritairement assurer notre souveraineté alimentaire par notre capacité d'autoproduction ? Voulons-nous privilégier la subsistance d'une agriculture de proximité, avec tout ce qu'elle implique sur le plan culturel, de vie locale ou encore de préservation de nos paysages ? Quel rôle voulons-nous voir jouer par nos champions économiques tournés vers l'exportation ? Quel type de production souhaitons-nous privilégier ? Enfin, quel rôle voulons-nous voir jouer notre agriculture en matière géopolitique dans un monde où la sécurité alimentaire deviendra assurément un enjeu de plus en plus prégnant dans les prochaines décennies ?

Si cette veille journalistique n'a pas pour vocation de trancher ces interrogations, nous espérons qu'elle permettra d'en éclairer les enjeux, à travers l'exploration des nombreuses solutions innovantes qu'elle se propose de recenser. Le défi est d'ampleur, mais les opportunités sont nombreuses et des solutions à portée de notre pays, plus que tout autre. Il convient désormais de s'en saisir.

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Edouard Fillias