Avec une population mondiale attendue autour de 9,1 milliards d'habitants en 2050, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'Agriculture (FAO) estimait, dans un rapport publié il y a une dizaine d'années déjà, que la production agricole devra avoir augmenté d'ici là de 70% afin de satisfaire les besoins de l'humanité. Cela sans compter l'essor des agrocarburants, qui entraînera des besoins encore plus importants. La production de céréales devrait ainsi atteindre 3 milliards de tonnes par an et la production de viande 470 millions de tonnes.
Or, toujours selon la FAO, les surfaces cultivables ne pourront augmenter que de 4% à cette échéance. Et si l’intensification de l’agriculture a considérablement accru la quantité de nourriture disponible au cours des dernières décennies, elle a dans le même temps conduit à des impacts environnementaux négatifs considérables : hausse dramatique des émissions de gaz à effet de serre, déclin de la biodiversité ou encore pollutions de l’eau et des terres.
Selon les experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), un tiers des sols seraient déjà « moyennement à fortement dégradés, donc inutilisables pour l’agriculture » et « près de 60% en mauvais état ». « Si nous n’agissons pas, plus de 90% des sols pourraient se dégrader d’ici à 2050 », alerte de son côté la FAO.
Ces phénomènes cumulés menacent à terme la sécurité alimentaire de l'humanité et constituent donc un enjeu majeur pour l'ensemble des pays ainsi qu'une source prévisible de déstabilisation économique, sociale et politique dans de nombreuses régions du monde.
Longtemps fer de lance de l'agriculture européenne, la France apparaît désormais en déclin. De deuxième exportateur mondial dans les années 1990, le pays est passé à la quatrième place, derrière les États-Unis, l’Allemagne et les Pays-Bas, voire à la sixième si l'on exclut les produits transformés. À ce rythme, nous importerons bientôt plus de produits agricoles que nous n'en exportons, et ce dès 2023 selon un rapport du Sénat publié l'année dernière.
Ce recul s'explique d'une part par la baisse de notre compétitivité, sous le coup en particulier de charges salariales en hausse, entraînant des distorsions de concurrence avec nos voisins. Mais aussi par manque d'innovation. Pour compenser ces coûts accrus, les agriculteurs français ont en effet limité leurs investissements, entraînant autant de retard technologique. Un cercle vicieux. D'autre part, le manque de vision stratégique de notre pays est flagrant, en particulier quand il s'agit de l'organisation de filières efficaces et cohérentes, génératrices de forte valeur ajoutée.
Enfin, nos agriculteurs rencontrent des difficultés croissantes qui, à l'exception de quelques secteurs d'excellence, pèsent sur la profession dans son ensemble. Souvent vieillissants, fortement endettés, peinant à survivre avec des rémunérations indécentes, voire à céder leurs exploitations, dénigrés pour des pratiques jugées peu écologistes, leurs conditions de travail sont parfois peu gratifiantes.
Pourtant, loin des clichés, nos paysans sont aujourd’hui si connectés que l’agriculture est devenue l’un des terreaux les plus fertiles d'innovation technologique. Les agriculteurs constitueraient même l’une des catégories socio-professionnelles les plus connectées. Selon l'étude Agrinautes de 2019, 90% étaient connectés à Internet, 70% équipés d'un smartphone et 57% inscrits à au moins un réseau social. 77% regardaient des vidéos agricoles sur Internet pour améliorer leur formation. Un appétit qui laisse augurer de développements majeurs dans la profession ces prochaines années.
Face à ces enjeux, plusieurs types de solutions se présentent à nous, alimentées par une innovation technologique tous azimut, ainsi qu'une recherche agronomique en mutation. Plutôt qu'opposer ces différentes pistes, comme le débat public et politique tend à le faire, il convient sans doute de les combiner afin de tirer le meilleur parti de chacune d'entre elles, dans le cadre d'une stratégie globale.
D'une part, les nouvelles technologies du numérique, des données et de l'intelligence artificielle, mais aussi de la robotique de pointe, soutenues par des investissements de plus en plus conséquents et qui suscitent l'intérêt de nombreux agriculteurs, annoncent une profonde mutation des pratiques agricoles, qui s'exprime certainement le mieux à travers le concept d'agriculture de précision.
Cette agriculture de précision, par l'usage de capteurs fins interconnectés, d'outils de traitement des informations recueillies et d'intelligence artificielle permet d'optimiser nombre de pratiques, par exemple de réduire drastiquement l'usage d'intrants chimiques dans les champs, d'individualiser la surveillance des animaux d'élevage ou encore d'optimiser l'usage d'énergie dans les exploitations.
Les avancées récentes de la recherche en génie génétique laissent aussi espérer des avancées majeures dans l'amélioration de certaines espèces végétales, permettant un usage moindre de pesticides ou d'eau, améliorant leurs qualités nutritionnelles ou encore aidant les variétés qui en pâtissent à mieux s'adapter au changement climatique. Encore faudrait-il encourager la recherche et les applications dans ce domaine, ce qui reste une gageure en France, où l'opinion publique et le consensus politique affichent une défiance souvent irrationnelle à ces technologies.
Des innovations de rupture laissent aussi entrevoir les opportunités d'une néoagriculture radicale, pratiquée hors-champs, voire au sein des villes, et destinée à produire, de façon contre-intuitivement écologique, fruits, légumes et protéines alternatives à la viande d'élevage. Nombreuses sont désormais les entreprises engagées dans cette démarche, des fermes verticales produisant des fraises en containers à la viande de synthèse générée en laboratoire, en passant par l'élevage d'insectes destinés à l'alimentation animale comme humaine ou même de bactéries nourries au carbone.
A rebours de cette néoagriculture ultra-technologique aux allures futuristes, que d'aucuns jugeront dystopique, l'élan d'innovation est aussi bien présent dans l'intérêt croissant porté à l'agroécologie scientifique, qui cherche à opérer un ressourcement de l’agronomie dans les principes de l’écologie. Il s'agit là de tirer le meilleur parti des mécanismes naturellement à l'oeuvre dans les écosystèmes, plutôt que s'y opposer frontalement, par exemple en faisant appel à l'aide d'insectes auxiliaires pour combattre les nuisibles plutôt que de produits phytosanitaires. On parle alors de biocontrôle.
Enrichies en connaissances plutôt qu'en intrants, issues tant de la recherche agronomique que des expériences menées par des paysans-chercheurs qui font foison, les pratiques agroécologiques sont multiples. On notera l'abandon des monocultures traditionnelles à la faveur d'une segmentation et d'une rotation accrue des cultures, l'agroforesterie qui associe la plantation d'arbres et d'arbustes aux cultures nourricières, le souci de la conservation des sols sinon leur enrichissement, la captation optimisée des énergies naturelles comme celle du soleil ou encore la culture conjointe de variétés complémentaires et une organisation novatrice des parcelles qui offre à la permaculture des rendements à l'hectare qui n'ont rien à envier à ceux de l'agriculture industrielle.
Enfin, on ne peut réfléchir à l'avenir de l'agriculture sans poser la question de notre alimentation, à commencer par la part qu'y tient la viande, la pratique de l'élevage se montrant très gourmande en terres agricoles pour nourrir les cheptels, mais aussi un facteur substantiel d'aggravation du réchauffement climatique par l'émission de gaz à effet de serre qu'elle implique. Sans négliger, par ailleurs, la problématique des pertes de production au niveau des exploitations agricoles comme du gaspillage alimentaire dans les foyers et les circuits de commercialisation.
Riche d'une histoire agricole ancrée dans une culture paysanne millénaire, disposant de nombreuses filières d'excellence et de tous les atouts nécessaires au développement de nouvelles technologies comme de nouvelles pratiques issues de la recherche agronomique, la France a aujourd'hui toutes les cartes en main pour réinventer son agriculture et enrayer la spirale de déclin qui la menace.
Encore faut-il savoir quelle stratégie nous voulons adopter, quelle vocation nous voulons conférer à l'agriculture française de demain. Devons-nous prioritairement assurer notre souveraineté alimentaire par notre capacité d'autoproduction ? Voulons-nous privilégier la subsistance d'une agriculture de proximité, avec tout ce qu'elle implique sur le plan culturel, de vie locale ou encore de préservation de nos paysages ? Quel rôle voulons-nous voir jouer par nos champions économiques tournés vers l'exportation ? Quel type de production souhaitons-nous privilégier ? Enfin, quel rôle voulons-nous voir jouer notre agriculture en matière géopolitique dans un monde où la sécurité alimentaire deviendra assurément un enjeu de plus en plus prégnant dans les prochaines décennies ?
Si cette veille journalistique n'a pas pour vocation de trancher ces interrogations, nous espérons qu'elle permettra d'en éclairer les enjeux, à travers l'exploration des nombreuses solutions innovantes qu'elle se propose de recenser. Le défi est d'ampleur, mais les opportunités sont nombreuses et des solutions à portée de notre pays, plus que tout autre. Il convient désormais de s'en saisir.
Loin des stéréotypes, les paysans français sont aujourd'hui si connectés que l’agriculture est devenue l’un des terreaux les plus fertiles de création et d’innovation technologique. Dopée par des investissements de plus en plus conséquents et l'ampleur des défis qui s'imposent au secteur, c'est une nouvelle révolution des pratiques agricoles qui s'opère dans nos campagnes. L'apport des technologies numériques, de intelligence artificielle et de l'analyse des données, des objets connectés ou encore de la robotique de pointe, drones à l'appui, dessinent un nouveau paradigme qui s'exprime certainement le mieux à travers le concept d'agriculture de précision. Parallèlement, les avancées du génie génétique laissent aussi espérer des avancées majeures à venir. Tour d’horizon des innovations technologiques les plus prometteuses.
« L'agriculture de précision utilise les nouvelles technologies, comme la robotique, l’IA et les objets connectés, afin d’améliorer les performances des exploitations agricoles. Il s'agit d'un des éléments nécessaires à la transition écologique de notre système agricole. Le principe est d’augmenter les rendements d’une parcelle tout en réduisant la consommation d’énergie et d’intrants. Pour cela, l’agriculture de précision opère grâce à l’utilisation des nouvelles technologies, l’idée est ainsi de « produire plus avec moins ».
[...] L’agriculture de précision utilise des moyens d’observation (satellites, drones, capteurs connectés) associés à des outils d’aide à la décision (accessibles sous forme d’applications Web et Mobile) afin de collecter un maximum de données intéressantes. Ces données servent à améliorer le quotidien des agriculteurs. Ils ont également une vocation environnementale forte car ils permettent d’intervenir uniquement lorsque c’est nécessaire. Par exemple, on peut ainsi adapter l’utilisation de produits phytosanitaires en fonction des stricts besoins des cultures, et de traiter les parcelles au mètre carré près. De cette manière, l’agriculture de précision va se rapprocher de l’agroécologie – pratique dont elle est complémentaire – et qui devrait permettre d’accélérer la transition de notre modèle agricole conventionnel vers un modèle agricole durable.
[...] Cette tendance est vouée à améliorer les performances économiques et environnementales des productions. L’agriculture de précision est aujourd’hui en pleine expansion du fait des progrès effectués par les nouvelles technologies : développement des drones et des capteurs connectés, traitement de données en temps réel, intelligence artificielle, applications mobiles, etc. Ces progrès qui sont au coeur de l’agtech permettent ainsi d’optimiser les rendements agricoles mais aussi de rationaliser les coûts de production et d’avoir une meilleure empreinte écologique. Entre autres bénéfices, l’agriculture de précision assure un confort de travail amélioré pour les exploitants et une meilleure conduite des cultures.
[...] Prenons l’exemple d’une station météo connectée. Celle-ci va être positionnée dans un champ. Toutes les 15 minutes, elle envoie automatiquement des informations de pluviométrie, d’hygrométrie, de vitesse du vent, de température de l’air sur un ordinateur. Ces données sont utilisées pour alimenter des modèles informatiques qui préviennent des risques de maladies ou des risques météo comme le gel.
[...] Il existe aussi des capteurs qui permettent d’analyser la santé des sols et des végétaux. Ces nouveaux outils aident à détecter plus facilement une possible contamination, la prolifération de microbes ou encore des mutations génétiques nuisibles. Les algorithmes, la reconnaissance d’images et la vision par ordinateur permettent d’identifier l’état et les besoins des champs en temps réel. Et souvent à l’aide d’un simple smartphone. L’agriculture peut également compter sur des images satellitaires ou prises par des drones. Ces derniers peuvent réaliser des tâches variées allant de la surveillance à la détection en passant par l’observation et la collecte de données. La capture des informations par drones ou satellites permet l’élaboration de cartographies agronomiques très précises. Ce qui permet d’évaluer les risques de maladies ou d’apporter des conseils de fertilisation. D’une manière générale, que ce soit des drones ou des capteurs, les applications fournies pour l’agriculture de précision ont cet objectif de conseil et d’aide à la décision.
[...] On dénote trois enjeux majeurs à l’agriculture de précision. Un enjeu agronomique d’abord. Cette méthode permet aux exploitants de mieux s’adapter aux contraintes météo et aux types de sols de leurs parcelles. [...] De plus, grâce à des observations qui étaient jusqu’ici inconnues, l’agriculture de précision améliore les connaissances que nous avions des végétaux. Cette tendance ouvre ainsi de nouvelles portes pour optimiser la production. Une aide bienvenue alors que la croissance de la population mondiale oblige à produire davantage avec moins de terres disponibles. Il y a ensuite un enjeu environnemental puisque cette pratique vise à diminuer l’empreinte écologique de l’activité agricole. Elle favorise une meilleure gestion de l’eau, des intrants et des machines. Il est ainsi possible de n’arroser par exemple que certaines zones d’une parcelle. Idem pour le traitement des plantes qui peut s’effectuer au mètre carré près quand ça n’est pas à la plante près. Enfin, il y a un enjeu économique qui en découle naturellement. L’agriculture de précision doit ainsi permettre de produire plus avec moins.
[...] L’obligation de s’équiper en matériel technologique fait elle de l’agriculture de précision une pratique réservée uniquement aux grandes exploitations ? Cela dépend de l’échelle. Au niveau planétaire, il est certain que l’agriculture de précision n’est accessible qu’à un très petit nombre d’agriculteurs. Au niveau français, sous bien des aspects la réponse est également positive car elle nécessite un double investissement : acquisition de compétences et de connaissances en plus d’acquérir le matériel. Cependant, cette tendance est entrain de se résorber. En effet, les offres d’accompagnement sont de plus en plus nombreuses et performantes. Idem pour les produits. Et les agriculteurs eux-mêmes sont de plus en plus connectés et équipés. »
« N'en déplaise aux partisans du retour aux méthodes ancestrales, les GPS de dernière génération pourraient contribuer à répondre à quelques enjeux majeurs auxquels notre modèle agricole est confronté. L'adoption de technologies d'analyse et d'aide à la décision par les agriculteurs permet de déterminer avec précision les besoins en eau, en engrais et en produits phytosanitaires des cultures. Il devient ainsi possible d'optimiser l'utilisation des intrants chimiques et des équipements. À la clé : une économie de produits et de carburant ainsi qu'une réduction des émissions de C02.
[...] Le RTK (pour Real-Time Kinematic) est le symbole de cette agriculture calibrée au centimètre. Cette technique d'autoguidage par satellite offre une précision au sol inégalée. Son fonctionnement repose sur le principe d'une base GPS fixe qui va corriger le signal envoyé au tracteur et améliorer sa précision, parfois au centimètre près. Les manques et les recouvrements de traitement ou de fertilisation peuvent ainsi être limités grâce à l'optimisation du passage du tracteur guidé. Seule ombre au tableau, la technologie RTK est encore coûteuse et reste soumise à des aléas de terrain : un dévers, même de quelques pour-cent, peut entraîner une certaine imprécision du système de géo-positionnement. Face à cette contrainte de coûts, la pleine opérabilité de Galileo, prévue en 2021, pourrait considérablement rebattre les cartes et concrétiser une véritable transition agricole. Le GPS européen, qui offre une précision de localisation sans pareil, est en effet accessible gratuitement. Seul le système permettant de calculer les décalages entre le tracteur et l'outil resterait donc à charge de l'agriculteur. Dans cette perspective, il y a fort à parier que le RTK sera progressivement abandonné.
[...] Outre les capacités de géolocalisation, l'agriculture de précision se distingue aussi dans ces capacités de désherbage mécanique. Certains constructeurs proposent par exemple des bineuses équipées de caméras capables de désherber entre les plants grâce à une détection individuelle des plantes cultivées. C'est le cas du système Dyna Trac de l'entreprise Laforge, récompensé d'une médaille d'or au dernier SIMA, salon du machisme). D'autres, telles les deux startups françaises Carbon Bee AgTech et Bilberry, fascinent par leurs solutions de traitement phytosanitaire ciblé des mauvaises herbes ou des maladies des plantes cultivées, lorsque le développement des cultures le permet encore. [...] Plutôt que d'interdire des produits utiles et sans risque, les pouvoirs publics feraient mieux de se concentrer sur l'utilisation mieux ciblée et a minima de ces produits.
[...] Revers de la médaille, ces bijoux de technologie suscitent les convoitises. Près de 675 vols ont été dénombrés en 2018, contre 191 en 2017 : une explosion record. [...] Face à l'envolée des larcins, les fabricants s'organisent. Le constructeur John Deere, dont les équipements sont particulièrement visés, propose désormais un système de verrouillage à code Pin qui rend impossible toute utilisation en cas de vol. Mais il s'agit tout de même d'une difficulté supplémentaire pour les agriculteurs, qui investissent déjà beaucoup. »
« Préalable au travail de la terre, l’analyse du sol a pris, depuis quelques années, un virage résolument numérique. Traditionnellement, elle était basée sur des prélèvements récoltés sur une surface de 10 hectares, puis mélangés en un échantillon duquel étaient calculées des moyennes pour le pH ainsi que les éléments majeurs, secondaires et mineurs. En fonction de la culture qui allait y être implantée le printemps suivant, le Plan agroenvironnemental de fertilisation (PAEF) était ensuite élaboré afin de combler les carences observées à l’aide de chaux, de fumier ou d’engrais minéraux selon les besoins.
« La tendance dans les analyses de sol est maintenant rendue dans ce qu’on appelle l’agriculture de précision à l’aide de la géolocalisation, explique Josy Belzil, experte-conseil chez Sollio Agriculture [la plus importante coopérative du secteur agricole au Canada]. On va quadriller le champ et faire, par exemple, un échantillon à tous les hectares. On se rend compte alors qu’une partie de mon champ est très acide et l’autre, parfaite pour la culture. On peut ainsi faire des recommandations d’application de chaux, de potasse, de phosphore à taux variable. »
[...] L’utilisation de cartes de rendement est aussi un nouvel outil faisant partie de l’arsenal de l’agriculture de précision. « Nous avons des cartes satellites de certains de nos clients qui remontent à il y a dix ans. En les superposant, on constate par exemple qu’il y a une zone avec de mauvais rendements constants. On va donc mettre un point GPS là-dessus et procéder à un échantillonnage de sol. On va alors constater que le pH est bon mais il y a un problème de drainage, de compaction ou autres. » Des cartes similaires sont aussi utilisées pour comparer la variabilité des taux de pH, de phosphore, de potassium au fil des ans. L’analyse de sol traditionnelle demeure toutefois de mise dans certains cas explique l’agronome. « Pour un producteur de culture fourragère, par exemple, dont la production sert à nourrir ses animaux, ça sera peut être moins pertinent que pour les grandes cultures comme le maïs ou le soya où l’agriculture de précision peut permettre des gains de rendement de 0,1 ou 0,2 tonnes à l’acre quelquefois. »
« Un drone survole le champ et transmet les données à l’ordinateur. L’exploitant consulte les résultats et décide de l’épandage, de l’arrosage, du désherbage. Les données, enregistrées dans l’ordinateur de bord du tracteur, serviront à piloter les opérations sur le terrain. Pendant ce temps, les vaches passent à la traite devant un robot. L’agriculteur sait qu’une bête va bientôt vêler, un capteur dans l’étable l’alerte dès les premiers signes. Il surveille sa messagerie car il a demandé le prêt d’un équipement pour quelques jours sur la plate-forme d’échanges entre fermiers et attend impatiemment la réponse. Cela le dispenserait d’un achat coûteux qu’il ne rentabiliserait qu’à très long terme. Plus tard, il consultera son site de vente en ligne pour préparer les paniers que les consommateurs ou leurs groupements d’achat viendront prendre en fin de journée. Ces opérations font désormais partie du quotidien des agriculteurs et des éleveurs. Elles ne sont plus réservées aux grandes exploitations et gagnent l’ensemble du secteur. Le numérique est partout.
[...] L’adoption du numérique par le secteur agricole n’est pas nouvelle. Le recours à l’imagerie satellite pour le suivi des surfaces exploitées date de la fin des années 1980 et les tracteurs sont pilotés à l’aide d’un GPS depuis les années 2000. Mais le phénomène s’accélère. La disponibilité de nouveaux outils et de nouvelles technologies, le passage d’un modèle de production intensive à une agriculture de précision, le réchauffement climatique, l’évolution de la demande des consommateurs, tout cela conduit les agriculteurs à produire autrement. « L’utilisation du numérique accélère la transition agroécologique », explique Véronique Bellon-Maurel, directrice du département écotechnologies de l’Irstea et directrice de l’institut consacré à l’agriculture numérique #DigitAg. Pour elle, « l’agriculture numérique est une agriculture de la donnée ». Ainsi, le programme Copernicus d’observation de la Terre et les satellites Sentinel mis en orbite progressivement depuis 2014 fournissent de nouvelles sources de données spatiales et temporelles de bonne résolution. S’ajoutent à cela les réseaux reliant les objets connectés, les capteurs sur les tracteurs ou les données météo. « Tout cela fournit un flux continu de données qui, analysées et modélisées, créent de nouvelles connaissances agronomiques », ajoute Mme Bellon-Maurel.
[...] « Les agriculteurs sont la catégorie socioprofessionnelle la plus connectée, 90% d’entre eux sont connectés à Internet, 70% ont une page Facebook et 30% un compte Twitter », précise Florian Breton, fondateur de MiiMosa, plate-forme de financement participatif, et cofondateur de l’association La Ferme digitale. « Pourtant, l’Europe ne représente que 15% des investissements mondiaux dans les start-up agritech alors que les Etats-Unis reçoivent 70% de ces investissements, ajoute l’entrepreneur. Il y a là un enjeu de souveraineté nationale. » Pour lui, il est fondamental d’investir dans l’agritech afin que les agriculteurs français ne soient pas obligés d’acheter leurs données et leurs produits à des sociétés américaines ou asiatiques. « Les capteurs des tracteurs américains transmettent les données aux semenciers, fabricants de produits phytosanitaires, eux aussi américains. Ils proposent des traitements aux agriculteurs français, basés sur des données qui appartiennent à ces mêmes agriculteurs ! », s’insurge-t-il. La riposte serait un « portail numérique » qui ouvrirait les données à tous les agriculteurs. Au Danemark, 85% des surfaces agricoles sont mises en données, lesquelles sont accessibles à tous les exploitants. En France, une vingtaine d’acteurs privés et public ont créé la plate-forme technologique indépendante Api-Agro. « Pour que les agriculteurs ouvrent leurs données et les partagent, il va falloir les convaincre que cela les protège et qu’ils ont tout à y gagner », ajoute Véronique Bellon-Maurel.
[...] Un autre apport du numérique est la précision, qui diminue les risques. Le fermier détecte les problèmes de façon précoce (manque d’eau, besoin de pesticide), il peut donc y répondre plus tôt. « Il s’agit, par exemple, de ne pas pulvériser un produit de manière préventive, mais de le pulvériser au bon moment, sur la bonne culture, en bonne quantité. Cette surveillance automatisée améliore la performance économique mais aussi la performance environnementale. Elle limite les actions à faible valeur ajoutée et contribue à améliorer la santé de tous », explique Aurélien Yol, cofondateur et directeur technique de Dilepix. Cette start-up, née en mars 2018 d’un transfert de technologies de l’Inria, propose une solution prédictive d’analyse des risques basée sur l’analyse d’images et l’intelligence artificielle. « Les agriculteurs font maintenant la différence entre “produire plus” et “augmenter ses marges”. En agriculture de précision, on peut produire moins, avoir un moindre rendement, mais faire plus de bénéfice, c’est-à-dire augmenter ses marges », explique Ariane Voyatzakis, responsable du secteur agroalimentaire chez Bpifrance.
[...] Le numérique favorise aussi l’apparition de nouveaux modèles de financement pour les agriculteurs comme le financement participatif, crowdlending ou crowdfunding, le troc, les échanges ou la location entre pairs. « Le secteur est très dépendant des banques et surtout d’une banque !, constate François Fromaget, cofondateur d’AgriLend. Les agriculteurs ne font pas appel à d’autres investisseurs. Ils veulent rester maîtres de leur exploitation et la propriété du foncier est très ancrée dans le secteur. Mais ils ont besoin d’investir lourdement pour transformer leur exploitation vers l’agriculture raisonnée, le bio ou pour diversifier leurs sources de revenus avec la méthanisation ou la cogénération, par exemple. » Sa plate-forme de financement participatif intervient sur des projets de transformation en complément des banques. L’argent provient de particuliers qui veulent « donner du sens à leur épargne » et investissent entre 50 euros et 2 000 euros.
[...] « Le moment est passionnant car l’agroalimentaire est au cœur des enjeux pour la planète. L’agriculture peut redevenir un secteur attractif ! », s’enthousiasme Véronique Bellon-Maurel.
Cependant, le chemin est encore long et semé d’embûches. Plusieurs freins devront être levés, et la question de la propriété et du partage des données devra être résolue. [...] « Aujourd’hui, on constate que le marché est toujours structuré de la même manière, mais qu’il a atteint un plateau, car il manque de coordination et d’intégration. Il faut un tiers de confiance et une plate-forme de mutualisation des données afin que l’ensemble soit cohérent », suggère Manon Gazzotti, analyste chez la société de capital-risque XAnge. D’autres acteurs de l’écosystème vont devoir évoluer, notamment les coopératives. Elles doivent à présent séparer leurs activités de vente de produits phytosanitaires et de conseil à leurs adhérents. Elles ont bâti leur modèle sur les données de leurs adhérents et ne sont pas enclines à partager ces données. Face à ces réticences, de nouveaux acteurs apparaissent pour qui la mutualisation et le partage favorisent l’intelligence collective et donc la performance de tous. C’est le cas du cabinet conseil Valeur-Tech ou de l’association CoFarming, qui regroupe une dizaine de start-up proposant des plates-formes numériques. La tendance à la mutualisation répond aux attentes de nombre d’agriculteurs qui aspirent à sortir de leur isolement et préfèrent le partage, l’abonnement ou la location à l’achat en propre. Le monde de la terre entre dans l’ère de l’usage. »
« Les outils de l’agriculture numérique ont d’abord été conçus pour faciliter la vie des agriculteurs et pour les aider à optimiser leurs pratiques dans le sens environnemental. Ils ont également permis de resserrer les liens avec le consommateur, qui, grâce au développement de la traçabilité et des réseaux sociaux, peut maintenant mettre un visage et le nom d’un producteur derrière les aliments qu’il achète. De façon plus discrète, l’agriculture connectée commence aussi à avoir une nouvelle conséquence bénéfique, qui pourrait à l’avenir jouer un rôle encore plus positif pour le monde agricole : rapprocher les agriculteurs du monde de la recherche… et par là-même des décideurs politiques qui s’en inspirent. Cette évolution est déjà une réalité dans certains domaines de la R&D en agriculture numérique.
[...] Prenons l’exemple des capteurs de monitoring des troupeaux : ils ont été développés dans un premier temps pour détecter des événements inhabituels et clairement identifiés, comme la détection des chaleurs ou du vêlage. Ces premières applications se sont développées dans un cadre classique de recherche, descendant du labo vers le terrain : les algorithmes permettant de détecter ces événements ont été mis au point lors de tests dans des fermes expérimentales d’instituts de recherche ou d’instituts techniques, puis validés dans un petit nombre d’exploitations agricoles, avant d’être lancés commercialement. Ces premières applications étant désormais bien au point, les recherches s’orientent maintenant vers des analyses du comportement quotidien et du bien-être des animaux : par exemple mesurer les temps passés debout ou couché, ou les temps d’alimentation et de rumination. Sur ces sujets, il faut détecter des modifications plus subtiles de la vie quotidienne des animaux, par rapport à leur activité ordinaire. Il devient donc très difficile de mettre au point ce type d’algorithmes dans des fermes expérimentales, où les activités habituelles des animaux sont perturbées par la réalisation d’expérimentations qui modifient leur comportement habituel, et génèrent des mouvements qui n’auraient pas lieu dans des exploitations commerciales. Ce type de travail doit donc être conduit directement sur le terrain, les expérimentations en condition contrôlée n’étant plus utilisées que comme vérifications ponctuelles, sur quelques situations minoritaires. Il y a ici inversion du rapport classique entre expérimentation scientifique et données de terrain.
[...] L’utilisation de modèles mécanistes de cultures dans des outils d’aide à la décision est un autre exemple de rapprochement entre la recherche et les préoccupations des agriculteurs. Ces modèles, issus de la recherche agronomique, sont de plus en plus utilisés pour la prévision du rendement, et la gestion des intrants qui en découlent. Des modèles épidémiologiques du même type sont également utilisés pour prévoir l’apparition de maladies ou de ravageurs menaçant les cultures, et donc positionner de la façon la plus précise les traitements pesticides. De par leur conception, issue de long travaux de recherche en écophysiologie, ces modèles sont suffisamment robustes et prédictifs pour se prêter à des simulations plausibles sur l’effet potentiel de changement de pratiques dans un but agroécologique, ou d’adaptation au changement climatique. Ils présentent également l’intérêt de quantifier objectivement les conditions environnementales auxquelles sont exposées les cultures. L’évapotranspiration est un exemple classique d’indicateur simple permettant de mesurer la demande en eau des cultures, qui peut alors servir de référence pour vérifier si l’irrigation pratiquée par l’agriculteur a bien évité tout gaspillage d’eau. Toutefois, elle reste un indicateur relativement basique, qui n’est pertinent que dans les cas les plus simples : ceux où l’on cherche simplement à préserver le potentiel de rendement en évitant tout déficit hydrique à la culture. Pour certaines productions, les enjeux de l’irrigation sont plus complexes, car un léger déficit hydrique bien contrôlé améliore la qualité de la production : le cas le plus connu est celui de la vigne, où le mode de conduite idéal, défini par le cahier des charges des appellations viticoles, vise à créer un déficit en eau modéré pendant la maturation du raisin, plus ou moins prononcé selon le type de vin que l’on veut produire. Dans ce cas, le pilotage de l’irrigation nécessite des modèles beaucoup plus complexes qu’un simple calcul d’évapotranspiration, car ils font appel à la fois aux données climatiques, mais aussi aux caractéristiques du sol et au volume de végétation du vignoble. Dans un premier temps, il s’agit là encore d’une démarche de valorisation descendante de la recherche, du laboratoire vers le terrain. Mais l’utilisation de ces modèles dans les exploitations agricoles permet ensuite des retours d’informations précieux, qui vont rapprocher les travaux théoriques de la pratique des agriculteurs ou de leurs conseillers.
[...] Il y a quelques années, l’explosion des technologies du « Big Data », et leur introduction dans le monde agricole, ont donné lieu à une vision un peu binaire opposant deux approches scientifiques. D’une part la démarche classique de la recherche agronomique ou zootechnique, s’appuyant sur des expérimentations de haute qualité, mais relativement peu nombreuses, pour développer des modèles prédictifs utilisables en aide à la décision, et basés sur l’expertise humaine des chercheurs, D’autre part les nouvelles approches « Big Data » basées sur les données, appliquant des techniques d’apprentissage automatique (machine learning, deep learning) sur les données massives issues des nouveaux capteurs déployés en agriculture (capteurs de rendement des moissonneuses-batteuses, données collectées par les robots de traite). L’engouement pour le Big Data reposait sur l’hypothèse que le deep learning permettrait de développer des modèles prédictifs fiables, malgré le « bruit » contenu dans l’information des masses de données collectées, qui dépassent ce que l’expertise humaine est capable d’analyser. En fait, cet espoir s’est vite heurté à l’écueil majeur des techniques d’apprentissage automatique : leur opacité pour les utilisateurs… aussi bien les utilisateurs finaux (agriculteurs ou éleveurs), que les concepteurs de services ! Certes, l’apprentissage automatique permet maintenant de définir des règles de décision ou des modèles apparemment satisfaisants à partir de n’importe quel jeu de données suffisamment conséquent. Mais, faute de connaitre le « raisonnement » sous-jacent à ces modèles, même leurs concepteurs sont incapables de prévoir dans quelle mesure ces règles ou modèles sont exploitables dans des contextes nouveaux : une incertitude plutôt angoissante quand on souhaite développer de nouveaux services agricoles, au-delà de la région où ils ont été initialement validés, ou sur des contextes climatiques nouveaux.
[...] En plus de sa sensibilité aux aléas climatiques imprévisibles, l’agriculture présente une autre particularité fâcheuse pour l’apprentissage automatique : les données réelles que l’on peut accumuler sur le terrain sont très loin de représenter l’ensemble des combinaisons possibles de techniques culturales. Les itinéraires techniques pratiqués par les agriculteurs sont influencés par leurs habitudes, leur expérience et l’expertise de leurs conseillers, et sont donc bornés de façon de façon totalement implicite par des raisonnements humains. La situation est donc complètement différente des domaines comme l’apprentissage automatique appliqué à des jeux comme les échecs ou le go : dans ce dernier cas, l’algorithme est capable, à partir des règles du jeu, de tester seul toutes les combinaisons possibles et imaginables, même celles auxquelles un expert humain ne penserait pas. En agriculture, l’intelligence artificielle est bridée par le fait que les données disponibles sont la conséquence de raisonnements humains, ce qui l’empêche de trouver des « solutions » originales pour inventer de nouvelles pratiques.
[...] Le résultat de ces contraintes est que les approches purement basées sur les données ont du mal à faire une percée décisive en aide à la décision agricole. L’avenir est sans doute à la combinaison entre les approches basées sur les données et des modèles mécanistes permettant d’intégrer l’expertise humaine dans l’Intelligence Artificielle. Cette nouvelle vision, l’IA hybride, a d’ailleurs été retenue comme un des thèmes majeurs du nouvel Institut de l’Intelligence Artificielle en cours de création à Toulouse… et l’agriculture a été identifiée comme un de ses domaines d’application prioritaires. Cette étroite imbrication entre expertise scientifique et données issues des exploitations agricoles a un corolaire évident : la nécessité de combler le fossé entre le Big Data et les données de la recherche. C’est la mission de ce que l’on peut appeler le « Medium Data » : des données bien qualifiées, issues des exploitations agricoles, ou au moins de parcelles conduites dans des conditions proches de celles des agriculteurs. Jusqu’à présent, ce rôle de production de données intermédiaires était entièrement dévolu aux expérimentations des organismes de développement agricoles : instituts techniques, chambres d’agriculture, coopératives. L’agriculture numérique va permettre l’émergence d’une nouvelle catégorie de « medium data » : des données d’une qualité proche des standards de la recherches, mais disséminées dans des centaines ou milliers d’exploitations agricoles.
[...] La science participative, qui fait appel aux connaissances de ses futurs utilisateurs et parties prenantes de la société civile, est une des tendances fortes de la recherche actuelle. L’INRA s’est d’ailleurs fortement impliqué dans ce domaine. Toutefois, beaucoup de travaux de sciences participative restent très asymétriques : ce sont souvent les chercheurs qui sont les seuls acteurs de la synthèse réalisée à partir des connaissances informelles et peu organisées des parties prenantes mobilisées pour le projet. L’agriculture connectée offre l’opportunité unique aux agriculteurs de s’approprier les sujets de recherche qui les concernent, en produisant par eux-mêmes des données aussi intelligibles pour eux que pour les chercheurs qui vont les exploiter. Au-delà de ses effets sur le travail quotidien des agriculteurs, elle a donc un grand potentiel pour rapprocher la recherche de leurs besoins, et permettre aux politiques de mieux comprendre leurs pratiques. C’est à cette condition que l’agriculture pourra répondre aux nombreuses attentes de la société à son égard. »
« Avant d’utiliser les technologies dans les champs, il convient d’abord de bien connaitre son métier d’agriculteur. C’est donc dès la formation aux métiers que le digital entre en scène. [...] Que vous soyez un petit nouveau fraîchement reconverti ou que vous en soyez à votre 135e paire de bottes, il existe une formation pour vous. Le site Agri Web Formation en propose un large choix, allant de la cynotechnie pour s’occuper de nos amis à quatre pattes, à la bureautique, en passant par les langues étrangères. Le site vous propose même de devenir Agri formateur, ce qui rentre parfaitement dans les us de ce milieu, où la transmission de connaissance des anciens aux plus jeunes était, fut un temps, la seule source de formation. Internet nous a offert une formidable plateforme pour se former seul de manière totalement gratuite : j’ai nommé YouTube. Sur cette dernière sont apparus les Agri-youtubeurs. Il en existe pléthore à l’image de la « Chaine agricole », comptabilisant 45K abonnés. Et comme il est parfois compliqué de s’y retrouver avec toutes ces chaines, certains agriculteurs comme Thierry se font le chantre de la pédagogie agricole. Après avoir lancé sa chaîne YouTube en 2013, il propose un an plus tard son site au slogan explicite : « l’agriculture mérite d’être expliquée ». Cette plateforme regroupe un catalogue de vidéos qui saura satisfaire toutes vos agricuriosités.
[...] Une fois formés, ces agriculteurs n’abandonnent pas pour autant l’outil informatique, bien au contraire. Ce dernier participe grandement à modifier et faciliter ce métier. Des développeurs s’attellent depuis plusieurs années à créer des sites et applications destinés à aider nos super-héros en bottes de caoutchouc. Le principal atout de ces applications est l’aide à la décision. Quand faut-il semer ? Traiter ? Récolter ? Avec des calculs précis, vous aurez des estimations précises des moments où vous devez agir. Loin de la simple application météo installée sur nos smartphones, les travailleurs agricoles ont besoin d’être au courant à la seconde près de la moindre goutte de pluie éventuelle. Les sites qui proposent des prévisions ultra précises fonctionnent grâce à des capteurs connectés. Parmi les plus utilisés, on retrouve Weenat qui propose un panel de cinq solutions, allant de la météo à l’observation des cultures. On retrouve également Pleinchamp qui en plus de la météo, apporte une expertise agricole dans différents domaines comme l’élevage, les vignes, les grandes cultures...
[...] La question des données fait aussi partie du champ de recherche de l’agritech, qu’il faut traiter et croiser pour pouvoir les exploiter à bon escient. Certaines entreprises, comme Le Cube, ont pris le problème à bras le corps, en proposant un audit d’élevage afin de définir des besoins et objectifs. Ensuite le logiciel, couplé avec des appareils connectés, récupère et traite les données. En complément, il sera proposé des formations au digital pour permettre aux agriculteurs de devenir de véritables digital farmers. Quant à ceux qui maîtrisent déjà l’outil numérique, il existe Applifarm. Cette « market place smart data de l’élevage » propose aux éleveurs de partager leurs données. Ces données sont ensuite croisées et participent au développement d’outils d’aide à la décision, d’études à grande échelle ou de services innovants accessibles à tous les agriculteurs membres. »
« Parmi les secteurs d’activité qui opèrent leur mutation IoT (Internet of Things), nous souhaitons aujourd’hui nous intéresser à celui de l’agriculture. [...] Pourquoi est-ce vital de passer au « Smart Farming » ? Pour deux raisons : le dioxyde de carbone et la croissance démographique. D’un côté l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère fait baisser la production, et de l’autre, la croissance démographique tire la demande vers le haut. De nombreuses prévisions alertent sur l’imminence d’une pénurie alimentaire mondiale si nous n’augmentons pas la production alimentaire. Au vu des difficultés rencontrées pour accroître de manière significative la superficie des terres arables, il faudrait améliorer le rendement par unité de surface (ou réduire les déchets) pour atteindre notre objectif. Et c’est là que l’Internet des objets entre en jeu. Plusieurs initiatives connectées, allant de la surveillance des sols jusqu’aux capteurs d’irrigation, ont vu le jour et sont actuellement en place.
[...] Premier exemple : le suivi de la santé du bétail. Les exploitations bovines et les ranches s’étendent généralement sur de vastes superficies. Sans intervention humaine, la surveillance des allées et venues des bêtes en pâture est compliquée. Or, grâce à des colliers traceurs, ces bêtes peuvent être géolocalisées en temps réel. Un système de stockage des données enregistre ensuite les informations dans une base de données afin d’établir un modèle de référence pour les mouvements du cheptel sur une période donnée. L’application d’algorithmes intelligents sur ces modèles nous aide à déterminer si le bétail se déplace de manière irrégulière, ou si certains animaux s’isolent du troupeau, comme c’est souvent le cas des animaux malades ou blessés. Cette solution peut facilement être mise en place à l’aide de petits traceurs connectés qui communiquent sur un réseau IoT du type Wi-SUN ou tout autre réseau étendu (WAN). On pourrait alors disposer d’antennes relais réparties dans les champs afin de couvrir une vaste superficie. L’agriculteur ou l’éleveur accéderait ensuite facilement à ces informations via un portail Web ou une application sur son smartphone.
[...] Autre exemple : les drones utilisés pour améliorer la santé des cultures. Les maladies, et leur rapidité de propagation dans les cultures sont une véritable source d’inquiétude du fait des conséquences directes sur les rendements. Même si dans l’idéal, mieux vaut prévenir l’apparition de ces maladies, il est plus réaliste, et plus simple, de chercher à identifier, à isoler et à supprimer immédiatement les cultures touchées. Les drones de surveillance sont un moyen innovant d’y parvenir. Depuis leur base d’hébergement située sur l’exploitation, des flottes de drones effectuent des patrouilles automatiques pour récupérer des données d’imagerie sur les récoltes. À l’aide d’algorithmes de vision par ordinateur et de reconnaissance d’images, on peut identifier les parcelles agricoles touchées. Les images "marquées" sont corrélées avec le GPS des drones pour fournir des informations précises à l’exploitant. Ces informations peuvent être assimilées à partir de plusieurs enregistrements de drones, avant d’être analysées puis transmises à l’agriculteur, qui peut alors prendre des mesures correctives. Tout le processus, depuis le lancement des drones, leur pilotage, la capture de données, et l’analyse jusqu'au reporting, est entièrement automatisé.
[...] L’agriculture de précision est un autre domaine où les capteurs se généralisent ; ces équipements arrivent même dans le grand public. Des capteurs de sol télécommandés recueillent des données sur la teneur des sols en azote et remontent ces informations de manière régulière ; des capteurs d’irrigation mesurent le niveau d’eau et informent automatiquement le système d’irrigation et d’arrosage ; des capteurs d’inondation surveillent également les niveaux d’eau et peuvent être réglés pour fermer automatiquement les vannes responsables d’un arrosage excessif des plants et envoyer simultanément un e-mail d’alerte à une adresse spécifiée ; enfin, un capteur de gel permet de détecter et d’alerter automatiquement les utilisateurs lorsque les conditions météorologiques laissent présager un gel susceptible d’endommager les plants sensibles. Pour les particuliers, il existe aujourd'hui des contrôleurs d’arrosage intelligents qui utilisent le réseau Wi-Fi domestique pour permettre aux utilisateurs de programmer les horaires d’arrosage, d’actionner les arroseurs à distance et même de contrôler le débit d’eau à partir d’une application sur leur smartphone.
[...] Si les cas évoqués semblent relativement simples et peu exposés aux menaces, l’impression de sécurité peut être trompeuse. L’agriculture intelligente a notamment pour objectif d’automatiser les processus manuels et de favoriser les pratiques à interactions réduites (low-touch). L’inconvénient ? Cela peut multiplier les cibles faciles pour les hackers. Bien souvent, ces systèmes tournent sur des réseaux non surveillés. Résultat : les actes de piratage, qu’ils aboutissent ou non, ne sont pas signalés. Plus grave, dans un domaine encore peu sensibilisé à la cybersécurité, la sécurité n’est pas intégrée aux cahiers des charges. Les pirates peuvent aisément accéder aux systèmes de contrôle d’irrigation pour les détourner ou exiger une rançon en échange d’une restitution des droits de contrôle. L’administration de pesticides hautement réglementés peut être modifiée à l’insu de l’agriculteur. Enfin, ces systèmes connectés à Internet peuvent être utilisés pour accéder à d’autres systèmes tiers connectés et intégrés à un réseau de machines zombies. [...] Quelle réponse apporter à ces problèmes de sécurité ? À défaut de se conformer aux normes, les fabricants d’objets intelligents doivent respecter les principes d’autoréglementation et les bonnes pratiques de sécurité. Il n’est pas question de réinventer la roue : les principes qui protègent Internet aujourd’hui protégeront aussi l’Internet des objets demain. Quelques conseils simples : appliquer des méthodes éprouvées, discuter avec des experts et faire de l’intégration de la sécurité dès la conception (security by design) l’un des piliers de sa solution. Les infrastructures à clé publique aideront les entreprises à identifier leurs équipements, protégeront leurs communications des oreilles indiscrètes et garderont leurs secrets à l’abri. Si une organisation combine cela avec des éléments sécurisés pour chiffrer et stocker ses données et ses clés en toute sécurité, elle dispose là un socle de sécurité solide basé sur une identité forte, l’authentification et la confiance. »
« C’est le fantasme de tout apiculteur : comprendre de l’intérieur ce qui se trame au cœur de sa ruche. La start-up française Hostabee propose de le satisfaire avec son module B-Keep, commercialisé depuis le printemps. Intercalé entre deux cadres de cire, ce petit appareil qui tient dans la paume de la main mesure la température et l’humidité qui règnent dans la ruche. Deux données qu’il compare à la température et l’humidité externes obtenues auprès de la station météo la plus proche. La transmission des données s’effectue via la technologie de communication bas débit de l’Internet des objets et l’apiculteur consulte les relevés, transmis environ toutes les deux heures, sur smartphone, ordinateur ou tablette. Leur interprétation doit permettre de réduire le nombre d’ouvertures de la ruche, opérations qui dérangent l’essaim, ou, au contraire, inciter à intervenir d’urgence si la survie de la colonie risque d’être menacée.
[...] Nous avons introduit le capteur-espion B-Keep dans une ruche du Loiret, où venait d’être installé un jeune essaim sur six cadres en provenance d’un apiculteur de l’Yonne. Après plusieurs tests, la pose d’un répéteur a été nécessaire pour amplifier le signal et assurer sa parfaite réception. Sur l’application Hostabee, deux diagrammes s’affichent, avec la possibilité de zoomer sur une journée ou de considérer une séquence plus longue mais aussi d’écrire des notes. L’un mesure la température (interne et externe) et l’autre l’humidité (interne et externe). Nous plaçons d’abord B-Keep dans le corps de ruche, c’est-à-dire la partie basse, là où pond la reine, où se développe le couvain – les larves – et se stockent réserves de miel et de pollen. Les nouvelles sont rassurantes : malgré les fortes variations de la température extérieure, les abeilles stabilisent la température du couvain autour de 30-35 degrés en permanence. La période des miellées étant bien engagée, nous décidons rapidement de placer le capteur à l’intérieur de la hausse, c’est-à-dire la partie supérieure (amovible) de la ruche où l’apiculteur prélève sa part du miel produit par les 50 à 70 000 abeilles qui, à cette époque de l’année, vivent dans la ruche.
[...] Le premier diagramme que nous observons indique une progression de la température et son maintien à un niveau comparable à celui d’un corps de ruche. C’est le signe que beaucoup d’abeilles se trouvent dans la hausse, où le module a été placé, occupées à produire du miel. Hors période de récolte, les variations de la température fournissent des indications sur le rythme de ponte de la reine. Surtout, en période de froid, elles donnent de précieuses indications sur la capacité de l’essaim, alors rassemblé en une grappe, à affronter les frimas. En cas de baisse durable de la température interne au-dessous de 30 degrés, il faudra apporter des réserves de nourriture. [...] Un second diagramme témoigne d’une baisse régulière du taux d’humidité interne, presque indépendamment de l’humidité extérieure. Encore un message codé qui signifie que les abeilles commencent à refermer les alvéoles de miel avec un bouchon de cire. Le nectar n’est en effet transformé en miel que lorsque son taux d’humidité interne est abaissé à 14%. Une fois l’opération terminée, l’humidité ambiante décline. Connaître l’hygrométrie dans une ruche est surtout important l’hiver. On mesure ainsi le risque de voir les abeilles, qui gèrent plus facilement le froid que l’excès d’eau, exposées aux nombreuses maladies provoquées par l’humidité. Au mois de mai, l’humidité est le signal d’une forte activité et son lent déclin confirme que l’on peut envisager une récolte.
[...] L’intérêt du système Hostabee est de fournir des informations complémentaires, plus faciles à interpréter que celles fournies par les ruches connectées montées sur une balance, beaucoup plus chères. En deux mois, les « intuitions » de B-Keep se sont révélées fondées et les données transmises avec régularité. Avouons aussi que la diffusion de ces bulletins a quelque chose d’assez excitant pour l’apiculteur, toujours curieux de savoir ce qui se passe dans sa ruche. Dernière précision ; le sens des données recueillies dépend de l’endroit où est inséré le module. En hiver, il faudra le placer bien au milieu d’un cadre central, sachant toutefois que l’on ne pourra pas avoir l’assurance que la grappe hivernale des abeilles se trouve en permanence à proximité immédiate. »
« A l’image du cloud ou de la fibre optique, la 5G sera bel et bien un levier important pour la transformation numérique des entreprises, notamment grâce à sa très basse latence. [...] On parle beaucoup de la voiture autonome, de l’industrie, de la logistique à distance, de la ville intelligente, de l’internet des objets mais d’autres verticaux pourraient être concernés, comme l’agriculture avec encore une fois la possibilité de travailler à distance de manière automatisée et instantanée. Selon Intel, « le marché mondial de l'agriculture intelligente deviendra un secteur commercial considérable dans les années à venir. Il devrait croître jusqu'à atteindre un chiffre de 23,44 milliards de dollars en 2025. Le développement de technologies telles que l'intelligence artificielle (IA) et l'Internet des objets (IoT) transforme déjà le monde de l'agriculture, mais il reste encore du chemin à parcourir ».
[...] « Non seulement les réseaux 5G permettront de mieux connecter les zones rurales, mais ils soutiendront également la connectivité des capteurs IoT, nécessaire pour parvenir à des innovations révolutionnaires dans le secteur de l'équipement agricole intelligent. La 5G et l'Edge Computing permettront de transférer rapidement des données vers le Cloud pour que les analyses en temps réel et la communication entre machines puissent rationaliser et automatiser les processus agricoles », poursuit le géant américain. On peut ainsi imaginer des tracteurs autonomes à l'irrigation intelligente. Outre l'automatisation des équipements agricoles, il existe de nombreux cas d'utilisation de l'IA dans le monde agricole, par exemple l'identification de maladies des plantes, la détection des infestations parasitaires et la prévision des rendements des cultures.
[...] La 5G peut également aider les agriculteurs à surveiller les cultures et le bétail. Par exemple, les systèmes de surveillance intelligente peuvent aider à éviter la dégradation des sols, tandis que les plates-formes de contrôle du rendement permettent de suivre la quantité totale des récoltes. Du point de vue de la gestion, la 5G facilitera l'utilisation de plates-formes aidant les agriculteurs à analyser la production, les risques et les finances. Des serres intelligentes capables de s'adapter aux conditions climatiques peuvent servir à gérer les cultures, tandis que des drones agricoles contribuent à obtenir des informations sur le terrain en couvrant une vaste superficie et en détectant des problèmes potentiels avant qu'ils aient des conséquences graves.
« Fondée à Lille, dans le bouillonnement de l'incubateur Euratechnolgies, la start-up Sencrop réunit l'agriculture et la technologie avec un objectif simple, selon son cofondateur : « Aider les agriculteurs à prendre les meilleures décisions pour optimiser leur exploitation, au quotidien. » Leur station météo connectée se présente d'abord comme un outil qui surveille tout ce qui se passe dans un champ, en temps réel. De quoi permettre au propriétaire de suivre à distance les évolutions de paramètres clés comme la température, l'hygrométrie de l'air ou l'humectation au niveau des feuilles.
[...] Pour l'agriculteur, les bénéfices d'une technologie aussi précise et hyper-localisée sont nombreux. En premier lieu, il gagne du temps en évitant certains déplacements, sur de grandes exploitations, certaines parcelles sont éloignées de plusieurs kilomètres, et en optimisant ses tâches en fonction des conditions météorologiques. Mais le principal atout de Sencrop reste son ergonomie. « Au-delà de son caractère très technique, dès le départ, nous avons fait le pari de concevoir un outil utilisable par tous les agriculteurs, quelles que soient leurs compétences en matière de technologies connectées », explique Michael Bruniaux. Muni de son son smartphone et de l'application liée, l'utilisateur peut, en quelques clics, visualiser les données transmises, mais aussi configurer des alertes si la pluviométrie ou les températures atteignent un seuil défini au préalable. [...] Ces capteurs peuvent, par exemple, diviser par deux les traitements nécessaires à un champ.
[...] Les données récoltées par les stations ne profitent pas seulement à un seul exploitant. « Tous les acteurs du secteur, des coopératives en passant par les équipementiers ou les bureaux d'études agronomiques, peuvent être intéressés par le partage de ces données », poursuit Michael Bruniaux. Les Lillois ont d'ailleurs misé sur l'aspect communautaire de leur outil. Un agriculteur peut partager ses données avec celles des propriétaires de parcelles voisines, afin d'augmenter la précision et d'échanger sur les bonnes pratiques. Actuellement, près de 5 000 stations sont installées dans une dizaine de pays à travers l'Europe. En pleine expansion, dans un secteur de l'agriculture connectée où les outils de ce type sont de plus en plus développés (de Météus à Weenat), Sencrop a récemment levé 10 millions de dollars auprès de Bpi France et du fonds agrotech américain The Yield Lab. Objectif : devenir leader en Europe et intégrer de nouveaux marchés, en Asie et aux États-Unis. »
« Les Amis de la Terre ont publié en mai dernier le rapport « Agriculture et numérique : vers une fuite en avant ». Selon l’ONG, l’agriculture numérique est un pansement qui détourne l’attention des causes profondes de la crise agricole actuelle. Elle entraîne l’essor du big data dans l’agriculture et détournerait des innovations liées à l’agroécologie. L’association rappelle que les plates-formes de données sont en général détenues et contrôlées par de grands groupes agrochimiques, des gouvernements ou les GAFAM. « Ces plateformes pourraient servir à promouvoir des semences et des intrants de synthèse (pesticides, engrais) vendus par leurs propriétaires ou leurs partenaires », craint-elle. [...] En parallèle, « une telle mise en commun à grande échelle des données pose le problème de la cybersécurité », alertent les Amis de la Terre. Les systèmes agricoles et les opérations automatisées sur la base d’algorithmes deviennent en effet vulnérables aux piratages, aux cyberattaques ou aux pannes d’électricité. Cela confère « une toute nouvelle dimension à la sécurité alimentaire », alerte l’association.
[...] La grande question est celle du traitement et de la propriété des données. Selon son équipement, un agriculteur peut créer plus d’une centaine de données par heure sur son exploitation. Et plus il dispose d’outils numériques, plus le poids de la data sera important. « Pour ce qui est sécurisation et propriété de la donnée, le souci est que l’agriculteur est grand créateur de données, détaille Karine Cailleaux-Breton de la start-up Ekylibre. Le paradoxe qu’il faut éviter est qu’il ait à payer pour créer de la donnée qui par la suite est potentiellement réutilisée. Une donnée seule n’a que peu, voire pas de valeur. En revanche, lorsqu’elle est confrontée, cumulée ou comparée, cette valeur ajoutée va alors pouvoir être revendue à l’agriculteur qui finalement paiera deux fois quelque chose que lui-même crée ». Les services de big data privent souvent les agriculteurs de leurs droits de propriété sur les données agrégées. Les bénéfices reviennent ainsi aux entreprises qui traitent ces données.
[...] Pour sécuriser les données des exploitations agricoles dans les contrats, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont lancé la charte Data-agri. Un cabinet d’avocat joue le rôle de tiers de confiance qui audite des entreprises et des startups volontaires. Il appose un label, valable deux ans, lorsqu'il peut assurer que la donnée est propriété de l’agriculteur et non pas de l’entreprise, qu’elle est sécurisée, anonymisée en cas de réutilisation, et que s’il y a réutilisation, elle se fait avec autorisation écrite de l’agriculteur. Mais ces bonnes pratiques restent une goutte d’eau. Seulement six entreprises sont labellisées. »
« Selon la FAO, il y aura deux milliards de bouches supplémentaires à nourrir d’ici à 2050, mais les surfaces cultivables ne pourront augmenter que de 4%. Pour nourrir l’humanité, il ne s’agit donc pas tant de cultiver plus que de cultiver mieux. Or, la technologie est déjà mise à contribution pour augmenter les rendements : drones, caméras thermiques et autres capteurs d’humidité font déjà partie du quotidien des agriculteurs un peu partout dans le monde. Avec l’explosion de la quantité de données provenant de ces outils, le recours à l’intelligence artificielle devient indispensable pour les analyser et aider les agriculteurs à prendre les bonnes décisions.
[...] L’IA, dans le champ agricole, se déploie de plusieurs manières. D’abord, elle aide les agriculteurs à suivre ce qui se passe sur leurs exploitations. Ces derniers disposent depuis quelques années de drones et de capteurs, mais le machine learning et le deep learning leur permettent d’analyser ces données de manière toujours plus précise. Par exemple, l’application de deep learning Plantix, développée par la start-up berlinoise PEAT, fonctionne comme une application de reconnaissance d’images : après analyse du feuillage des plantes, ses algorithmes sont capables d’établir une corrélation avec certains défauts du sol, la présence de ravageurs ou une maladie. Farmerlabs, elle, utilise l’IA pour mesurer le niveau de santé des plantes et anticiper les risques en termes de rendement. La jeune entreprise française a recours à la vision informatique, au big data et au machine learning pour aider les cultivateurs à pratiquer une agriculture de précision et durable.
[...] L’IA permet aussi d’augmenter les rendements. Ceux-ci s’appuient sur des paramètres comme le climat, l’état des semences et des sols, les niveaux d’irrigation, le risque de maladies, etc., pour permettre aux agriculteurs de savoir quoi planter, où et quand, quels plants surveiller et quand récolter. La start-up israélienne Prospera utilise ainsi l’intelligence artificielle pour déterminer la quantité d'eau dont une plante a besoin. Cette technologie est utilisée aux États-Unis et au Mexique par le producteur de tomates NatureSweet, qui a vu une amélioration de ses récoltes de 2% à 4% et estime, à terme, pouvoir optimiser ses champs de près de 20%. Les Français ne sont pas en reste. L’entreprise Smag tire partie de toutes les données générées traditionnellement et propres à l’activité agricole - météo, rendements, intrants, cours des produits,etc. - et a conçu deux logiciels de gestion de données agronomiques qui permettent aux agriculteurs d’optimiser leurs rendements et de mieux tracer leur production.
[...] Ces modèles prédictifs permettent de pratiquer une agriculture plus raisonnée puisqu’ils rendent possible l’utilisation d’intrants chimiques de manière bien plus précise et pertinente, adaptée à la situation. C’est ce que propose notamment Blue River Technology avec son robot See & Spray, qui utilise la vision par ordinateur pour identifier les mauvaises herbes et les arroser d’herbicide. La précision de l’intervention permet de prévenir la résistance aux herbicides. Car oui, les robots font aussi leur incursion dans nos champs. Les tracteurs et engins agricoles sans conducteur se répandent dans les exploitations, où ils peuvent effectuer seuls un certain nombre de tâches. Aux États-Unis, Harvest CROO Robotics a développé un robot pour aider les producteurs de fraises à cueillir et emballer leurs fruits. Face à la pénurie de main-d’œuvre dans certaines régions agricoles, Harvest CROO Robotics affirme ainsi qu’un seul de ses robots peut remplacer 30 travailleurs humains. [...] Guidés par des technologies d’intelligence artificielle, les robots devraient libérer les agriculteurs de tâches répétitives et pénibles, tout en garantissant de meilleurs revenus. C’est aussi ça, une agriculture intelligente et durable.
« S'il est courant de récolter du blé, de l'orge et d'autres espèces végétales, Agriconomie propose désormais de récolter de la data dans l'objectif d'améliorer le rendement des cultures. La start-up, créée en 2014 par trois entrepreneurs, offre dans un premier temps des solutions d'achats simplifiés pour les agriculteurs en regroupant tous les outils, les engrais mais aussi les semences et d'autres produits sur un site internet. Depuis juillet 2019, Agriconomie s'oriente vers la stratégie et le conseil grâce à l'analyse des données. « Nous voulions créer une plateforme d'achat, transparente qui ferait économiser du temps et de l'argent aux agriculteurs. En moyenne notre solution permet de faire économiser 96h de travail par an et 5000 euros », souligne Paolin Pascot. C'est dans la continuité de cette logique que la solution Agrico'Rendement est créée.
[...] Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, il n'y a pas de capteur, pas de sonde et aucun intrant supplémentaire à ajouter pour récolter ces données. Les informations relatives aux récoltes en cours ou passées sont entrées informatiquement par l'agriculteur sur un espace dédié de la plateforme. L'utilisateur est invité à créer un compte pour disposer d'un véritable tableau de bord d'analyse comparative de ses parcelles. Il est possible d'ajouter des informations, comme la taille d'une parcelle, le type de semence, le type de culture, la quantité d'azote ou encore la localisation et le rendement. Un algorithme d'intelligence artificielle croise les données avec celles des autres champs pour comparer les rendements en fonction des conditions. Le tableau de bord offre des graphiques comparatifs à l'agriculteur lui permettant de confronter ses méthodes à celles des autres professionnels. Ainsi, on peut connaître le top 5 des variétés les plus utilisées dans le département, le top 5 des variétés plus productives ou encore un comparatif des doses d'azote utilisées.
[...] Cette solution sera amenée à évoluer pour fournir des conseils personnalisés aux professionnels, comme des recommandations de produits adaptés. Il est possible d'imaginer d'autres applications comme l'évaluation de l'impact d'un événement climatique dans la région ou l'agressivité d'une maladie sur les variétés. « Cela permet de définir des bests practices en fonction de la localisation par exemple mais aussi en fonction du type de sol, de la semence ou de la quantité d'azote. Faut-il plutôt un sol argileux ou sablonneux ? plus ou moins d’engrais ? », explique Paolin Pascot. »
« Souvent désigné comme un secteur peu numérisé et avec un grand potentiel d’amélioration, l’agriculture est désormais dans le viseur de Google, qui apporte ce qu’il sait le mieux faire: la récolte et l’analyse de données. La semaine passée, sa holding, Alphabet, a présenté le dernier projet de son laboratoire X, travaillant sur des projets futuristes. Ce projet, baptisé Mineral, vise à augmenter sensiblement les rendements agricoles, dans un contexte difficile : « Pour nourrir la population de la planète qui ne cesse de croître, l’agriculture mondiale devra produire plus de nourriture dans les 50 prochaines années qu’au cours des 10 000 années précédentes – à un moment où le changement climatique rend nos cultures moins productives », écrivent les responsables du projet.
[...] Cela se matérialise avec un petit robot que Google utilise désormais dans des champs, de manière expérimentale. Autonome, la machine possède quatre roues et est destinée à s’aventurer seule sur le terrain en utilisant une batterie complète de capteurs et de caméras, notamment. L’idée est ensuite d’analyser les données récoltées, en les combinant avec des images satellites mais aussi avec des données météorologiques. L’objectif final est de savoir comment les plantes poussent, de déceler les maladies qui commencent à apparaître, mais aussi de prévoir le rendement. Et ces analyses ne se font plus à l’échelle d’un champ, mais de la plante elle-même… Le niveau de détail semble n’avoir jamais été atteint, comme l’esquissent les responsables de Mineral : « Au cours des dernières années, le buggy a parcouru les champs de fraises en Californie et les champs de soja dans l’Illinois, recueillant des images de haute qualité de chaque plante et comptant et classant chaque baie et chaque haricot. A ce jour, l’équipe a analysé toute une série de cultures comme les melons, les baies, la laitue, les oléagineux, l’avoine et l’orge, de la germination à la récolte. »
[...] En combinant des techniques de « machine learning » et d’intelligence artificielle, les ingénieurs de Google voient très, très loin. « Et si chaque plante pouvait être surveillée et recevoir exactement la nutrition dont elle a besoin ? » se demande un responsable. « Et si nous pouvions mesurer les façons subtiles dont une plante réagit à son environnement ? Et si nous pouvions associer une variété de culture à une parcelle de terre pour une durabilité optimale ? » L’idée est ainsi de diminuer la quantité d’eau ou d’engrais utilisée. L’objectif est aussi d’accroître le nombre d’espèces de plantes cultivées. Google cite ainsi une estimation de la FAO, selon laquelle sur les 30 000 sortes de plantes comestibles connues, seul moins d’un pour cent sont cultivées actuellement. [...] Google ne dit pas encore, concrètement, comment il passera de la phase d’analyse à celle, sans doute plus difficile, d’optimisation des cultures. [...] Ni comment il compte rentabiliser ses investissements. La société affirme travailler avec des entreprises, des organisations à but non lucratif, des universités et des structures gouvernementales. »
« Voilà des années que les agriculteurs rêvent de machine capables de reproduire des gestes aussi précis et délicats que ceux des hommes. Mais aujourd'hui, quand un appareil ramasse des tomates, il arrache la plante et trie ensuite. Les pêchers ou les cerisiers, eux, sont secoués. Tout tombe : feuilles, branches, fruits encore verts. Pas le temps de choisir, encore moins d'attendre ceux qui tardent à mûrir. Pour les fruits les plus fragiles comme les fraises, les raisins ou les agrumes, il n'y a d'autre choix que la cueillette à la main. Ce qui n'est pas toujours simple : les candidats aux travaux des champs se font rares ; les exploitants ont les pires difficultés à trouver des saisonniers qualifiés pour les cueillettes ou les vendanges. Fini les ouvriers agricoles qui revenaient d'une année sur l'autre. Il faut multiplier les formations et continuer à faire appel à l'immigration. Ou à des robots qui ne viennent pas piquer le travail des humains mais pallier le manque de main-d'œuvre.
[...] Une nouvelle génération de machines commence à prendre la relève. Grâce à des caméras, à des capteurs et à des outils d'intelligence artificielle, il leur est possible de se substituer aux plus expérimentés des cueilleurs. Certaines sont capables de ramasser les fruits un par un et uniquement lorsqu'ils sont déjà mûrs : c'est le cas de l'engin d'Abundant Robotics pour les pommes. Cela marche même pour les fraises (un modèle vient d'être présenté par Octinion et Harvest Croo Robotics) ou pour les framboises (Fieldwork Robotics). Même si l'on n'en est qu'aux balbutiements, le secteur est en pleine ébullition. Du coup, on se plaît à rêver de ramasseurs d'agrumes ou de cueilleurs de raisin. Le Graal. Mieux, certains robots favorisent le développement d'une agriculture dite « de précision », plus respectueuse de l'environnement. Chaque plante, chaque portion de sol bénéficie d'un traitement personnalisé. L'enjeu : réduire l'usage d'engrais et de pesticides. Et allier productivité et pratiques écologiques. Des acteurs comme Blue River Technology ou Ecorobotix promettent ainsi la fin de l'épandage. Plutôt que de déverser des tonnes d'insecticide ou de désherbant sur l'ensemble d'une parcelle, leurs robots savent traiter les mauvaises herbes et les plantes infestées, et elles seulement. Non seulement l'agriculteur réalise des économies, mais les produits chimiques ont moins de chances de contaminer les cultures voisines.
[...] D'autres fabricants, comme le toulousain Naïo Technologies, vont jusqu'à remplacer la chimie par de la mécanique. Les machines savent biner et arracher les mauvaises herbes en totale autonomie dans les plantations de légumes. Les Anglais de RootWave planchent sur une méthode encore plus chirurgicale. Leur robot pourra repérer toutes sortes de mauvaises herbes et les griller une à une avec un tison électrique. Une simple décharge suffit à faire bouillir les cellules de la plante, la tuant sur-le-champ sans perturber le sol. Avec le développement du bio et les questionnements sur l'usage des pesticides, ces engins apparaissent comme une aubaine. « L'abandon de la chimie dans le traitement des sols va nécessiter plus de main-d'œuvre, abonde Véronique Bellon-Maurel, directrice du département Écotechnologie de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture. Mais compte tenu de son coût, la France aura du mal à suivre. D'où l'intérêt des robots. »
« Arracher les mauvaises herbes à la main est un travail de titan, auquel l’arrivée des désherbants chimiques en agriculture avait mis fin. Mais alors que la réduction de l’usage des produits phytosanitaires est devenue une priorité politique, et que l’agriculture biologique se développe tous azimuts, la question du désherbage revient sur la table. Outre la pénibilité du désherbage, la tâche est également très consommatrice de main d’œuvre. « Environ un tiers du temps de travail d’un maraîcher est consacré aux tâches de désherbage. Et il est très difficile de trouver de la main-d’œuvre » explique Maët Le Lan, responsable de la station expérimentale en maraîchage de Bretagne Sud, qui planche depuis plusieurs année sur l’amélioration des conditions de travail des agriculteurs.
Résultat, les tâches de désherbage sont principalement réalisées par les maraîchers, qui sont très nombreux à souffrir de troubles musculo-squelettiques.
[...] C’est sur ce constat que la firme Naïo Technologie s’est lancé dans le développement d’un robot désherbeur. « L’idée de base c’était des discussions que nous avions avec des agriculteurs qui avaient beaucoup de mal à trouver de la main-d’œuvre en raison de pénibilité du travail de désherbage » explique Gaëtan Séverac, ingénieur en robotique et co-fondateur Naïo Technologie. Baptisé Oz, le petit robot développé par cette entreprise peut se faufiler entre les rangs de légumes grâce à son guidage GPS. A l’aide d’une caméra et d’un laser, Oz repère son trajet entre les salades ou les plants de tomates, évite les obstacles éventuels. « La caméra et le laser servent à faire la différence entre une mauvaise herbe et une salade, pour éliminer la bonne » explique Gaëtan Séverac. Une centaine de maraîchers se sont déjà équipés principalement en France, mais aussi dans certains pays tels que la Belgique ou les Pays-Bas. « Cela fait plus de 30 ans que des projets de recherches existent sur la robotique et le désherbage ou la cueillette. Mais ils étaient limité par le coût et la technologie » explique l’ingénieur. Les avancées technologiques ont aujourd’hui ouvert le champs des possibles.
[...] Si sur le papier la solution est prometteuse, plusieurs obstacles se dressent sur la route d’Oz. La technologie du robot désherbeur n’est pas encore tout à fait au point. « Le robot fait des erreurs sur le désherbage. Parfois si une mauvaise herbe est trop haute, il va la contourner et abîmer les plants de légumes » détaille Maët Le Lan, qui mène une expérimentation sur le robot depuis 5 ans à la station expérimentale. L’idée est de tester les différentes mises à jour du robot pour pouvoir conseiller les agriculteurs dans leurs investissements. Car Oz à un coût : environ 25.000 euros. « Nous devons pouvoir dire aux maraîchers si ça vaut le coup d’investir ou non » explique la responsable. Aujourd’hui la performance du robot est variable selon les exploitations, l’appétence des agriculteurs pour la technologie, etc. Outre le coût et les améliorations à apporter à Oz, la programmation du robot est compliquée par la grande variété des cultures : choux, navets, salades, carottes, panais, chaque légume cultivé sur une exploitation a un écartement différent. Des informations qui doivent être programmées. « Aujourd’hui, on compte parmi nos clients une moitié d’agriculteurs biologiques. Mais dans la viticulture, nous avons des vignerons qui souhaitent seulement passer en zéro désherbant » détaille Gaëtan Séverac. Un choix qui demeure coûteux « Aujourd’hui, on est plus cher que le désherbant chimique, donc les agriculteurs qui choisissent de s’équiper sont dans une vraie démarche de réduire le chimique ».
[...] Outre le robot Oz pour le maraichage et Ted, le robot enjambeur de vigne désherbant de Naïo Technologie, d’autres firmes se sont lancées dans le développement de la robotique pour faire face à la gestion de l’enherbement. Touti Terre, une PME basée en Haute-Savoie a développé le robot Toutilo, qui permet aux maraîchers de désherber à la main, mais dans une position beaucoup plus ergonomique. Le robot circule entre les rangs de légume et le maraîcher installé dessus peut ainsi éviter la répétition des stations « débout – à genou ». Une solution qui permet de réduire d’environ 20% le temps de travail consacré au désherbage. et de réduire la pénibilité de la tâche. D’autres machines proposent enfin une utilisation de désherbants ultra-précise. C’est le cas du robot Ecorobotix, qui cible davantage les grandes cultures de céréales et permet de pulvériser une micro-dose de désherbant sur l’emplacement exact de la mauvaise herbe. »
« L'apport de la robotique dans le monde agricole croît d'année en année, principalement aux Etats-Unis et en Europe, et l'on estime que le marché mondial en 2020 avoisine les 8 milliards de dollars. L'agriculture représente le deuxième marché mondial de la robotique de service professionnel. Sur ce marché prometteur, dont la production devrait voir son taux de croissance moyen augmenter de 22,8% à partir de cette année, 16 acteurs détiennent 90% du marché. Les investissements réalisés dans la mécanisation de la robotique agricole en 2019 sont estimés à 179 millions de dollars, soit 1% de l'investissement Agri-Foodtech, selon des chiffres rapportés par le Fira, le grand rassemblement international de la robotique agricole.
[...] L'industrie laitière est un bon exemple de la manière dont la technologie robotique peut être déployée avec succès. En France, près de la moitié des agriculteurs qui s'installent en élevage laitier achètent aujourd'hui un robot de traite, selon un rapport ministériel. Mais un certain nombre de types de robots agricoles sont également en cours de déploiement pour l'alimentation des animaux et la culture maraîchère. Et la taille du marché français a globalement passé le cap des 10.000 robots agricoles, dont 8 000 robots de traite, 2 000 robots pour l'élevage, 100 robots de désherbage pour la culture maraîchère et une dizaine de robots pour la viticulture. »
« Pour faire face au challenge de nourrir 1,4 milliards d’individus, la Chine a dû faire des concessions : ses terres n’étant plus en mesure de nourrir l’ensemble de sa population, le gouvernement a d'abord incité les entreprises à acheter des terres aux quatre coins du monde. L’enjeu est d’autant plus important que la classe moyenne chinoise, en s’élargissant, change ses habitudes de consommations, se rapprochant des goûts et habitudes de consommation des pays occidentaux. En 2016, la Chine consommait près de trois fois plus de viande qu’en 1990. La consommation de produits laitiers a quadruplé chez les citadins entre 1995 et 2010, et a été multipliée par six dans les zones rurales. Or, élever plus d’animaux suppose de faire pousser plus de céréales pour les nourrir eux-mêmes. Les ressources agricoles chinoises sont pourtant bien minces. La terre ne manque pas : le pays dispose de 135 millions d’hectares cultivables. Mais les rendements et l’efficacité de la production sont loin d’être optimisés. L'Empire du Milieu est le spécialiste des micro-fermes traditionnelles. Il y existe 200 millions exploitations agricoles familiales, chacune entretenue par une poignée de personnes, avec un équipement technique souvent rudimentaire, et donc souvent aux rendements modestes. Les paysans sont en outre majoritairement vieillissants, ce qui n'aide pas quand il s'agit de booster la productivité agricole du pays.
[...] Pour revoir sa stratégie agroalimentaire, la Chine a misé sur la robotique. Le gouvernement a annoncé le lancement en juin 2018 d’un programme pilote sur sept ans d’agriculture autonome. Le test aura lieu dans la région de Jiangsu et aura pour but de moderniser les petites fermes peu productives. [...] Le gouvernement aidera les fermiers à se munir de technologies telles que des tracteurs et drones autonomes capables de travailler la terre et d’appliquer des pesticides, herbicides et fertilisants, ou encore des machines capables de transplanter le riz. Ces technologies permettent d’une part un meilleur ajustement des quantités de produits chimiques – ce qui, dans le contexte chinois n’est pas du luxe puisque les paysans chinois utilisent trois fois plus de fertilisant que nécessaire, polluant fortement les sols jusqu’à avoir dangereusement contaminé 20% d’entre eux. Mais l’objectif est surtout de permettre de meilleurs rendements à moindre coût.
[...] Rien que de très classique dans ce processus de mécanisation de l'agriculture, qu'ont connu par le passé les pays occidentaux. Mais le projet d’automatisation du gouvernement chinois semble ici d’une ampleur inédite : si le pilote s’avère convaincant au terme des sept années de test et qu’il est étendu à l’ensemble du pays, c’est une bonne partie des 250 millions de fermiers chinois qui pourrait voir ses emplois disparaître. Le pourcentage de travailleurs agricoles chinois est d’ailleurs déjà en chute libre, passant de 55% de la population en 1991 à 18% en 2018. [...] Cette automatisation créera-t-elle autant d'emplois qu'elle en détruira, comme cela est pronostiqué dans d'autres domaines ? Sinon, et si le programme pilote est généralisé, les fermiers qui risquent de perdre leur métiers pourront-ils se reconvertir dans la maintenance de robots, l'analyse de data ou la programmation ? Les 250 millions d'agriculteurs chinois doivent déjà se poser la question. »
« Les drones ou ailes volantes destinés aux usages agricoles se sont développés au cours des dernières années. Permettant d’atteindre des parcelles escarpées, ou de pulvériser au plus près des besoins les traitements phytosanitaires, les drones sont des outils prometteurs en agriculture. « Avec les drones agricoles, on optimise la pulvérisation et on peut ainsi faire plus attention à la quantité de produits utilisée » explique Mikaël Montagner, de Drone Volt. La France fait face à un défi sans précédent sur le front de la réduction de l’usage des produits phytosanitaires en agriculture. En dépit de plans nationaux Ecophyto destinés à diviser par deux l’usage des produits chimiques, l’agriculture hexagonale demeure extrêmement dépendante des intrants.
[...] Si les drones d’épandage peuvent faire partie de la panoplie de nouvelles technologies permettant de réduire le recours aux produits phytosanitaires, leur développement en est encore aux balbutiements. Et pour cause, la pratique était interdite en France, car considérée comme de l’épandage aérien, une pratique jugée hautement néfaste pour l’environnement. Mais en octobre 2019, le gouvernement a décidé de lancer une expérimentation sur les drones d’épandage. Cette expérimentation doit permettre d’ici octobre 2021 de déterminer quels sont les bénéfices de l’épandage par drone. Mais pour l’heure, elle n’est ouverte qu’à des conditions très encadrées puisqu'elle ne concerne que les parcelles agricoles « présentant une pente supérieure ou égale à 30% » afin de faciliter le travail agricole. Autre condition, l’épandage par drone ne peut se faire qu’avec des produits certifiés en agriculture biologique ou dans le cadre d’une exploitation certifiée de haute valeur environnementale. De fait, le drone agricole peu permettre aux exploitants agricoles d’accéder à des endroits difficile d’accès pour les outils agricoles traditionnels, mais aussi d’affiner au plus près la quantité de produits utilisés en ciblant les parties d’une parcelles nécessitant un traitement. « L’usage du drone agricole a un intérêt certain sur des parcelles à haute valeur ajoutée comme en viticulture ou lorsqu'il y a des pentes particulières, comme sur les coteaux d’Alsace » explique Mikaël Montagner. Car le drone agricole nécessite des moyens conséquents. Outre le drone en lui-même dont le prix s’établit à environ 30.000 euros, il faut un pilote expérimenté pour conduire l’épandage. Les conditions météorologiques pèsent aussi sur l’utilisation d’un drone d’épandage.
[...] Si les drones d’épandage en sont au début, d’autres usage des drones agricoles sont possibles. La cartographie des parcelles a par exemple décollé en 2016, dans le sillage de l’autorisation de l’utilisation civile des drones en 2012. Les drones peuvent permettre d’aller repérer les endroits carencés en azote, où les cultures se développent moins bien. Et ainsi de calculer les doses d’azote nécessaire au plus près. Utilisée dans les grandes cultures céréalières, cette cartographie par drone permet d’améliorer la rentabilité d’une exploitation en appliquant le bon produit au bon endroit au bon moment ; Un véritable challenge pour les céréaliers qui doivent parfois garder l’œil sur des centaines d’hectares de cultures. Autre perspective d’avenir pour le drone agricole, la surveillance des troupeaux dans les élevages. Les drones peuvent en effet être mis à contribution pour faciliter les activités de surveillances des pâturages, parfois très étendus. « Les drones équipés d’une caméra thermique ou d’un appareil photo peuvent faciliter la surveillance et le comptage des animaux » assure Mikaël Montagner. »
« Les premiers tracteurs financièrement accessibles au paysan français « moyen », dont l’usage s’est généralisé après la seconde guerre mondiale, étaient équipés de moteurs développant entre 15 et 40 chevaux. Les paysans, à cette époque, vendaient trois ou quatre animaux de trait pour pouvoir acquérir une de ces machines. Sept décennies ont passé, durant lesquelles les industriels de l’agroéquipement ont rivalisé d’innovations. Ils pulvérisent, d’année en année, leurs propres records en matière de puissance et de taille des outils. Au bénéfice des paysans, dont ils ont amélioré le confort de travail, mais aussi, à en croire certains acteurs de la profession, à leur détriment, puisqu'ils ont contribué à la diminution du nombre d’agriculteurs, à leur endettement et à leur dépendance à des acteurs extérieurs aux fermes. Les tracteurs « mastodontes » entre 250 et 500 chevaux demeurent minoritaires sous les hangars français. Mais leur nombre augmente constamment. [...] Le tracteur, outil emblématique, constitue, qui plus est, la partie émergée d’un vaste iceberg. L’évolution des gammes de semoirs, de remorques, de presses et d’outils de récolte répond à un même leitmotiv : toujours plus grand, toujours plus sophistiqué, toujours plus cher. Cette « course à l’armement » a accompagné les mutations récentes de l’agriculture.
[...] L’Etat a largement encouragé ces évolutions. La mécanisation a été associée, par le biais notamment de l’enseignement agricole, aux bienfaits jugés indubitables du « progrès ». De nombreux dispositifs financiers ont encouragé l’achat de matériel. [...] A en croire certains acteurs de la profession, les effets pervers de ces mesures se font toujours sentir. La « ferme France » serait suréquipée. « Le suramortissement permis par la loi Macron était complètement farfelu, déplore l’économiste Lucien Bourgeois, spécialiste des politiques agricoles. On a fait croire aux paysans qu’il était possible de gagner de l’argent en achetant du matériel, parce qu’ils pouvaient l’amortir plus que sa valeur réelle. Les agriculteurs français ont perdu en compétitivité à force d’acheter des équipements parfois peu utiles. » En 2017, l’institut technique Arvalis, en coopération avec une start-up spécialisée dans le partage de matériel entre exploitations, a analysé les équipements de trente fermes du Gers. Bilan : « 60% du parc suffirait à faire tourner les exploitations. » A ce stade, cependant, aucun travail statistique d’ampleur n’a été mené à l’échelle nationale.
[...] Eleveur à la retraite, membre de la Confédération paysanne, René Louail a brigué, en 2015, la présidence de la région Bretagne. Son diagnostic est sans appel : « On voit tant de paysans qui achètent du matériel high-tech dont ils n’ont pas besoin et qui, cinq ans après, mettent la clé sous la porte ! Cela va avec une boulimie d’agrandissement. Plus l’outil est grand, plus il faut travailler et faire des heures... pour pouvoir payer cet outil. Ce qui aboutit à bouffer les terres du voisin ! Je n’ai jamais vu autant de tracteurs fonctionner de nuit que ces dernières années. Quand tu es sur le tracteur à 4 heures du matin, même avec la climatisation, tu en baves ! C’est ça, la libération des paysans ? »
[...] Economiquement, la filière du machinisme pèse lourd. En 2017, les producteurs français d’agroéquipements ont généré, selon l’Axema, un chiffre d’affaires de 4,6 milliards d’euros. Le secteur totalise près de 50.000 emplois dans l’Hexagone, concessionnaires compris. Les responsables de l’Axema s’inscrivent en faux lorsqu’il est question de « suréquipement ». Ils insistent par ailleurs sur l’impact « positif » de leur activité. Pour Guillaume Bocquet, responsable du pôle technique de l’Axema, « il y a eu une tendance à l’accroissement continuel de la taille et de la puissance des machines, mais les choses évoluent. Les constructeurs conçoivent actuellement des machines plus petites, plus agiles, voire plus automatiques. Ils prennent aussi de plus en plus en compte les aspects agronomiques et l’incidence sur l’environnement ».
[...] Fabrice Clerc ne voit pas les choses de cette façon. Ce technicien en maraîchage est le cogérant de L’Atelier paysan, société coopérative consacrée à la « réappropriation de savoirs paysans ». L’Atelier paysan organise dans tout le pays des « chantiers d’autoconstruction ». Il s’agit de concevoir des outils efficaces, peu onéreux et construits par les paysans eux-mêmes en fonction de leurs besoins. « La tendance, depuis quelques années, est à l’automatisation, à la numérisation et à la robotisation, déplore M. Clerc. La machine agricole telle qu’elle est pensée aujourd’hui est l’arme de destruction massive des sociétés paysannes. C’est évident : plus il y a de technologie dans les champs, moins il y a de paysans ! Et ceux qui restent n’ont plus la main sur leur savoir-faire. Ils perdent leur souveraineté technique au profit de filières mondialisées. » Les responsables de l’Axema ne partagent évidemment pas cet avis, mais les uns et les autres s’entendent sur un point : la machine, à l’heure actuelle, constitue un élément central de l’imaginaire paysan. Beaucoup d’agriculteurs considéreraient ainsi leur tracteur ou leur moissonneuse comme des signes extérieurs d’accomplissement personnel et professionnel. Ce qui aurait encouragé des actes d’achat parfois « irrationnels ».
« Depuis 2008, la France refuse le génie génétique dans ses champs, et pourtant les Français le retrouvent dans leurs assiettes : les plantes OGM, autorisées à l'importation dans l'Union européenne, nourrissent essentiellement les animaux d'élevage. Tandis que l'Hexagone s'est figé autour du principe de précaution, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) rappelle qu'aucun effet sur la santé « n'a jamais été démontré », ailleurs, certains chercheurs progressent toujours. Et préparent déjà, après les OGM, la révolution de l'édition du génome.
[...] En deux décennies, les plantes modifiées ont conquis le monde grâce à leur meilleure rentabilité : 18 millions de fermiers en cultivent 190 millions d'hectares dans 24 pays, selon l'organisme international ISAAA. « C'est cinq fois la surface agricole française », compare Bernard Le Buanec, ingénieur agronome membre de l'Académie d'agriculture de France (AAF). Aujourd'hui, soja, maïs ou colza sont des OGM à plus de 93% chez les premiers pays producteurs - États-Unis, Brésil, Argentine, Canada et Inde. [...] Dans d'autres pays, dont la France, l'acceptabilité sociale reste un obstacle : le consommateur, vigilant sur son alimentation, voit aussi dans ces cultures une promesse non tenue, celle de rendements supposés éradiquer la faim dans le monde. « Il y a eu une énorme erreur de communication des grands groupes, analyse Bernard Le Buanec. Les progrès sont lents : le vivant ne se change pas du jour au lendemain ! » Surtout quand le développement d'une espèce innovante coûte en moyenne 150 millions d'euros pour treize ans de recherches et d'études avant sa mise sur le marché. Quant aux superpouvoirs ajoutés, ils se limitent souvent à la résistance aux insectes et à la tolérance à certains herbicides.
[...] Depuis le milieu des années 2000, la science a fait un pas de géant en découvrant les techniques d'édition du génome, qui ont ouvert la voie à une explosion de nouvelles biotechnologies. Elles s'appellent Crispr, Talen ou ZFN, et leurs façons de modifier génétiquement les produits agricoles changent la donne. Il ne s'agit plus de leur importer un extrait d'ADN pris sur un autre organisme, comme le fait la transgénèse qui définit les OGM classiques ; il suffit à présent d'éditer directement l'ADN existant pour réaliser des modifications choisies. Ce principe, la mutagénèse, est ancien, mais ces nouveaux outils révolutionnent la pratique. « Avant, les scientifiques mettaient un bazar dans les génomes des végétaux, les bombardant de rayons X ou de chimie pour espérer une mutation intéressante parmi d'autres, résume Jean-Stéphane Joly de l'Inra. Dorénavant, les nouvelles techniques sont beaucoup plus ciblées et précises. » La généticienne Agnès Ricroch appuie ce constat : « Ces outils ressemblent à un taxi : ils emmènent à une adresse spécifique du génome, disons au 31, rue de la Boétie, où l'on peut ensuite éteindre un gène, en activer un autre ou en enlever un malade. »
[...] Le potentiel de ces organismes génétiquement édités est énorme. « En 2012, il n'existait aucune publication sur Crispr dans le monde végétal, désormais c'est exponentiel », reconnaît le chercheur Peter Rogowsky (Inra/ENS de Lyon). La majorité reste cantonnée à de la recherche fondamentale, mais une étude sur cinq vise à élargir les atouts d'une plante. Améliorer sa qualité nutritive, sa conservation, sa résistance aux maladies, changer son fonctionnement, etc. À l'instar des travaux conduits en France par Peter Rogowsky, coordinateur du projet Genius, regroupant des laboratoires publics et privés : « Nous avons permis de déceler une résistance de la tomate aux potyvirus, c'est-à-dire une immunité à 158 virus ultra-fréquents, qui ravagent les cultures. »
[...] Cette découverte n'est toutefois pas près d'arriver chez votre primeur. En juillet 2018, un énième coup d'éclat a illustré les tensions qui règnent entre agriculture et génie génétique sur le Vieux Continent. La Cour de justice de l'Union européenne a estimé que ces organismes doivent porter la même étiquette que les OGM, et donc se conformer aux mêmes régulations strictes. La France, qui avait sollicité cet avis, doit encore trancher. « Savoir si les plantes éditées nuisent à l'environnement ou à la santé est une question scientifique, absolument pas juridique », déplore Peter Rogowsky, qui réclame, à l'image de nombreux agronomes et biologistes interrogés, des études « au cas par cas ». D'ici là, cette décision sème la confusion et assombrit encore les perspectives pour la recherche française. « Chine et États-Unis sont en pointe sur ces technologies, avec un imposant quota de publications et de brevets, quand l'Europe traîne largement derrière », s'alarme Marcel Kuntz, biotechnologiste au laboratoire de physiologie cellulaire végétale du CNRS.
[...] C'est vers l'étranger que nos meilleurs spécialistes se tournent alors. La première commercialisation au monde d'un produit alimentaire édité est prévue par Calyxt, filiale américaine du groupe français Cellectis, qui vendra bientôt aux États-Unis son huile de soja améliorée. Sa composition a été altérée pour contenir plus d'acides oléiques que l'huile d'olive elle-même. Dans ce pays, les organismes édités ne sont pas considérés comme des OGM, pas plus qu'au Canada ou au Mexique. « Les Américains sont pragmatiques, ils savent combien ces biotechs vont se développer et ils veulent rester en tête de la course », relève André Choulika, cofondateur de Calyxt, qui veut devenir « le disrupteur de l'industrie agro-alimentaire ». D'autant plus que les outils d'édition du génome ont tout accéléré. « Par rapport à un OGM, notre technologie Talen divise par six le coût du développement, qui dure moins de six ans », calcule le PDG.
[...] D'autres scientifiques, en particulier en Corée, étudient les possibilités sur les animaux. « Cette recherche est moins avancée et plus controversée, même lorsqu'elle cible l'écologie », souligne Jean-Stéphane Joly. Par exemple, les biotechs peuvent lutter contre la souffrance animale en élevage : produire 100% de poules pondeuses pour éviter le massacre des poussins mâles ; créer des vaches sans cornes afin de leur épargner le supplice de l'écornage. Ou encore limiter l'impact sur l'environnement : réduire le phosphate excrété par les porcs ; éditer des poissons pour éviter l'injection massive d'antibiotiques.
[...] Mais le paradoxe le plus étonnant est dans les champs : pour leurs promoteurs, ces avancées peuvent faire espérer une agriculture biologique encore plus respectueuse de la nature. Son recours à une liste de pesticides autorisés légalement peut être réduit en modifiant les résistance des plantes. C'est d'ailleurs déjà le cas du blé Renan, que l'Inra a mis au point en 1989 avec un « montage génétique complexe », devenu depuis l'une des variétés les plus populaires des cultures bio.
[...] Malgré tout, les biotechnologies doivent encore convaincre une opinion publique habituée à « une rhétorique de la peur très efficace », selon Marcel Kuntz. De plus en plus de chercheurs dénoncent des campagnes d'opposition, comme celle de Greenpeace contre le « riz doré », modifié pour pallier les carences mortelles en vitamine A dans les pays pauvres. Pas moins de 108 prix Nobel ont condamné cette campagne en 2016, dans une lettre ouverte. Des vedettes scientifiques montent aussi au créneau, à l'instar de l'astrophysicien Neil deGrasse Tyson et du vulgarisateur Bill Nye, stars d'un documentaire sur le sujet, Food Evolution, actuellement au cinéma. De quoi aider à rétablir les faits scientifiques, mais pas remettre la recherche européenne dans la course. »
« Les outils d'édition de génome Crispr (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) pourraient aider spécialistes et gouvernements, au moment où le Giec alerte le monde sur l'érosion rapide des sols, à trouver le moyen de nourrir la planète en polluant moins et en produisant plus sans détruire tous les sols fertiles. Si cette solution ne fonctionnera pas seule, et pose de nombreuses questions éthiques, elle fait partie d'un ensemble qui nous permettrait de limiter nos émissions de carbone et préserver les terres sauvages encore épargnées par l'espèce humaine. « Il est difficile de prédire avec certitude ce que nous serons capables d'accomplir dans les prochaines années », explique Yiping Qi, ingénieur en génome des plantes à l'Université du Maryland. « Mais je pense qu'avec Crispr, nous avons une chance de rattraper le changement climatique. »
[...] L'être humain a toujours modifié les caractéristiques des plantes, la banane étant l'un des exemples les plus célèbres dans l'histoire des fruits génétiquement modifiés. Mais les techniques anciennes prennent des décennies et impliquent souvent une découverte accidentelle. Avec les outils Crispr-Cas9, ce type de résultat est atteint en deux ou trois ans et l'on peut facilement imaginer des espèces de plantes capables de mieux supporter les changements de climat ou résistantes aux maladies et aux insectes. Si cela prend tout de même tant de temps (on pourrait imaginer un résultat immédiat puisque l'on édite directement le génome), c'est parce que les scientifiques doivent retirer les gènes un à un et étudier les effets de chaque nouveau génome. Or, la même plante peut avoir plus de 30.000 gènes et des dizaines, voire des centaines, de variétés différentes. Copier-coller les gènes d'autres plantes pour aller plus vite semble en revanche hors de portée. Les « ciseaux » de la technologie Crispr sont très efficaces sur la coupe de gènes, mais ont encore beaucoup de mal à insérer de nouveaux morceaux d'ADN dans un code déjà existant.
[...] Les scientifiques procèdent aussi de cette manière pour respecter les réglementations des expériences autour du génome, très complexes pour des raisons éthiques et légales. Les États-Unis et la Chine pourraient toutefois prendre de l'avance sur les autres pays car leurs régulations sont plus souples, leurs populations peut-être moins méfiantes, et qu'ils disposent des moyens d'investir. Plus de vingt laboratoires en Chine sont déjà dédiés au développement des plantes pour nourrir la population gigantesque du pays, d'après Science, et plus de 10 milliards de dollars ont été investis dans la recherche rien qu'en 2013. C'est plus du double du montant consacré à ce domaine la même année aux États-Unis. »
« Environ 57% des Français estiment les OGM dangereux, selon le Baromètre 2019 de l’IRSN et 86% sont pour l'interdiction totale des cultures OGM, même dans l'alimentation animale, d'après un sondage Ifop. Beaucoup d'écologistes mettent en avant le principe de précaution et les dangers supposés des plantes génétiquement modifiées. Ces dernières ont pourtant de réels bénéfices à faire valoir. Selon une méta-étude de 2014, les plantes OGM ont ainsi permis une augmentation moyenne du rendement agricole de 22%, une réduction de 37% de l'usage de pesticides et une hausse de 68% des bénéfices des agriculteurs. Voici tous les avantages potentiels des OGM déjà existants ou à l'étude.
[...] Améliorer la qualité nutritionnelle des aliments - Le riz doré, une variété enrichie en vitamine A, permet de lutter contre les carences responsables de la cécité de 250.000 à 500.000 enfants chaque année. Disponible depuis 2005, ce riz n'a malheureusement toujours pas pu être distribué en raison de la réglementation sur les OGM. Ont également été mis au point des tomates transgéniques cinq fois plus riches en lycopène, des huiles végétales à teneur élevée en acides gras insaturés limitant les risques cardiovasculaires, du riz enrichi en fer ou encore des pommes de terre à teneur réduite en acrylamide, un composé cancérigène qui se forme à la cuisson. Des OGM permettent également d'augmenter la quantité de certains acides aminés dans les graines, comme la lysine ou la méthionine, ce qui pourrait avantager les personnes suivant un régime exclusivement végétal.
[...] Moins de produits chimiques et de pollution - Alors qu'une grande majorité de personnes sont réticentes à l'idée de manger des OGM, elles avalent tous les jours des fruits et légumes bourrés de pesticides. Les OGM permettent pourtant de limiter drastiquement l’usage de pesticides. Les protéines codées par les gènes Bt (issus de la bactérie Bacillus thunringiensis) permettent de lutter contre certains ravageurs bien ciblés comme la pyrale du maïs, et donc de diminuer les traitements. Mais aussi de protéger les insectes non ciblés et réduire des émissions de CO2 (moins d'interventions mécaniques, augmentation de la séquestration de carbone dans le sol). Même les OGM résistants aux herbicides (essentiellement le glyphosate) permettent en réalité de limiter l'usage de produits chimiques, en réduisant le nombre et la quantité d'autres traitements bien plus toxiques.
[...] Des plantes résistantes à la sécheresse ou au réchauffement - L'Argentine envisage l'autorisation d'un blé rendu résistant à la sécheresse, commercialisé par le semencier français Florimond Desprez. Grâce à un gène de tournesol, ce dernier offre un rendement en moyenne 16% plus élevé dans des conditions de stress hydrique. D'autres recherches visent à maintenir ou augmenter les rendements dans des conditions de températures et de concentrations en CO2 plus élevées, qui sont attendues dans le cadre du réchauffement climatique. Améliorer les capacités de résistance permettrait aussi de rendre accessibles à la culture des terres actuellement non exploitables. Des chercheurs chinois ont ainsi développé du riz capable de pousser sur des sols pauvres en phosphore.
[...] Dépolluer l’air, l’eau et les sols - Planter des arbres est l'un des moyens les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique. Si toutes les grandes cultures comme le maïs, le blé ou le soja voyaient leur capacité de stockage de carbone augmenter, on pourrait absorber encore bien plus de CO2. Des chercheurs du Salk Institute ont ainsi réussi à doper l’absorption de CO2 de plantes en leur transférant un gène codant pour une hormone. Des chercheurs californiens ont introduit des bactéries génétiquement modifiées capables de « manger » les hydrocarbures que l'on pourrait déverser dans la mer en cas de marée noire. D'autres équipes travaillent sur des plantes hyperaccumulatrices utilisables pour la phytoremédiation des sols pollués au plomb, au cadmium ou à l'arsenic. Une fois récoltées, ces plantes peuvent en outre être valorisées sous forme de biomasse pour le chauffage. Certaines plantes possèdent cependant « naturellement » des propriétés hyperaccumulatrices.
[...] Booster la production alimentaire - Grâce à la technique CRISPR, des chercheurs de l'Académie chinoise des sciences ont réussi à produire un riz avec 25% à 31% de grains en plus. D'autres expériences sur le blé et le soja sont parvenues à des résultats similaires. L'amélioration des rendements permet en outre de réduire l'impact environnemental de l'agriculture. Selon un rapport de 2017, l'utilisation des OGM a permis en 2015 « d'économiser » près de 20 millions d'hectares à des fins agricoles, réduisant ainsi la déforestation et la destruction de terres sauvages. Les OGM pourraient aussi permettre de manger de nouveaux aliments. Des chercheurs ont ainsi mis au point du coton débarrassé de gossypol, une molécule qui le rend toxique à la consommation. Or, la graine de coton contient 23% de protéines et pourrait jouer un rôle primordial dans l'alimentation humaine.
[...] Réduire le gaspillage alimentaire - Un tiers des aliments finissent chaque année à la poubelle. Les pertes atteignent même 45% pour les fruits et légumes, plus fragiles. Dans la plupart des cas, en raison des mauvaises conditions de conservation au niveau des producteurs ou chez les consommateurs. La pomme transgénique Arctic, qui ne brunit pas une fois tranchée, permet de limiter le gaspillage. La pomme de terre Innate, recombinée avec des gènes d'autres variétés, évite quant à elle le noircissement interne consécutif aux meurtrissures. Des mangues, melons, bananes et ananas au mûrissement retardé ont également été développés, ce qui permet d'augmenter la durée de stockage et de retarder leur détérioration.
[...] Développer une chimie « verte » - Remplacer le pétrole par des OGM ? C'est la promesse de la chimie verte, qui vise à produire des molécules d'intérêt industriel par des plantes génétiquement modifiées spécialement conçues, à l'instar de la pomme de terre Amflora, à teneur renforcée en amidon, qui a été finalement interdite par l'Union européenne en 2013. Destinée à un usage industriel, elle devait pourtant contribuer à produire du papier, du textile, des adhésifs et même du béton de façon plus écologique. Des chercheurs américains ont de leur côté produit des peupliers sans lignine, une substance du bois difficile à éliminer qui rend la production de papier polluante. Autres exemples : la startup Checkerspot crée des microalgues modifiées qui produisent des acides gras spéciaux améliorant l'imperméabilité et la résistance des vêtements extérieurs. Sont également à l'étude des graminées plus faciles à hydrolyser pour la fabrication de biocarburant.
[...] Bien entendu, les OGM présentent aussi des risques : apparition de résistance aux insecticides, réduction de la biodiversité, dissémination des gènes dans l'environnement, risque d'allergie, ou perte d'indépendance des agriculteurs. Autant de paramètres à surveiller pour les scientifiques travaillant sur ces technologies. »
« Un groupe de députés verts allemands soutient l’utilisation des techniques du génie génétique, qui pourraient, selon eux, contribuer significativement au développement durable. Une approche inédite qui s’oppose à la position que les écologistes adoptent habituellement à ce sujet. Dans une tribune datée du 10 juin, les 22 signataires appellent à une « modernisation » des règles qui encadrent le génie génétique. De manière générale, les Verts, comme la plupart des groupes environnementaux, s’opposent catégoriquement à l’utilisation de ce genre de techniques. Il faut noter que c’est la première fois que le parti est divisé à ce point sur un sujet, bien que la recherche génomique reçoive un soutien croissant depuis plusieurs années, notamment de la part des jeunes écologistes.
[...] L’article déclare que les technologies de modification génétique pourraient jouer un rôle clé en matière de développement durable et offriraient des perspectives « pour une planète saine, et donc pour le bien des citoyens et de l’environnement ». À ce titre, les Verts soulignent qu’il en va de leur responsabilité, en tant que parti écologiste et socialiste, d’évaluer le potentiel d’une telle biotechnologie pour une société durable et juste, au niveau local, mais aussi mondial. « Nous ne pouvons plus ignorer la nécessité d’agir, mais nous devons également intégrer notre évaluation équilibrée et prudente des technologies à un dialogue avec la science pour favoriser l’ingénierie génétique dans l’agriculture », indique le document. La tribune établit un parallèle avec l’utilisation de la génétique dans le secteur sanitaire. D’après les signataires, le recours à cette technique dans le domaine de la santé démontre qu’il n’existe « pas de bon ou mauvais génie génétique », mais que des domaines d’application devraient plutôt être définis « en fonction des risques et des perspectives » que celle-ci présente. Les députés craignent par ailleurs que la réglementation actuelle relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM) « ne corresponde plus aux avancées actuelles de la science », mais ne serve qu’à aller dans le sens des monopoles de l’agriculture.
[...] L’eurodéputée Viola von Cramon-Taubadel, l’une des signataires du document, a indiqué qu’une dynamique en faveur de cette technologie s’installait au sein du parti. Selon elle, les auteurs de l’article œuvrent pour que le débat reste scientifique plutôt qu’idéologique. « La législation actuelle est très contradictoire », soutient l’Allemande. Le système CRISPR, notamment, est fréquemment utilisé dans la recherche médicale, mais pas dans le domaine agricole, et cette incohérence doit être corrigée, explique-t-elle. « [Cette] surréglementation représente aussi un obstacle pour les PME, [parce qu’elle est] très bureaucratique, coûteuse et astreignante. Par conséquent, cela signifie que dans dix ans, [la production européenne sera] délocalisée et les agriculteurs de l’UE devront acheter des graines perfectionnées ailleurs à un prix élevé ». Viola von Cramon-Taubadel ajoute que de nombreux membres du parti partagent cette opinion et se montrent favorables à un débat ouvert, mais n’ont pas signé la tribune parce qu’ils hésitaient à se prononcer sur cette question sensible.
[...] Beat Späth, directeur de la biotechnologie agricole pour EuropaBio, salue l’initiative. « C'est encourageant de voir des voix plus progressistes basées sur la science s’exprimer au sein du parti écologiste », considère-t-il. La modification génétique « a le potentiel de répondre efficacement à de nombreux défis auxquels l’agriculture et la société en général sont confrontées aujourd’hui », affirme-t-il. « J’attends avec impatience un dialogue politique ouvert et factuel sur ce sujet »
« Révélée au grand public à travers les cryptomonnaies, la blockchain fait l’objet de multiples expériences dans de nombreux domaines, y compris dans l’agroalimentaire. La blockchain aurait la capacité de garantir l’intégrité et la cohérence de base de données de toute nature qui rend inutile l’appel à des tiers de confiance. Elle permettrait de constituer des registres transparents et fiables, capables d’enregistrer des informations utiles à leurs utilisateurs de manière vérifiable et inaltérable. A partir d’une note publiée par le Centre d’études et de prospectives du ministère français de l’Agriculture, voici un tour d’horizon des utilisations possibles dans l’agriculture et l’alimentation, de son intérêt et de ses limites.
[...] Dans la chaîne alimentaire un premier domaine d’application de la blockchain est financier et logistique ; elle réduit le nombre d’intermédiaires. Ainsi, les « contrats intelligents » permettent aux utilisateurs de programmer à l’avance l’exécution d’une transaction de façon automatique, en fonction de critères prédéfinis (par exemple le versement d’une indemnité d’assurance récolte après vérification photographique envoyée par smartphone). Ici, la blockchain facilite la gestion, réduit les frais d’expertise et permet de verser les indemnisations plus rapidement. Dans le commerce international, la blockchain facilite les transactions commerciales pour garantir par exemple la sécurité sanitaire et prendre en compte les certificats phytosanitaires, sans avoir recours à des organismes tiers de certification.
[...] En agriculture, une autre application potentielle concerne les registres d’animaux, de plantes ou de terres. La blockchain peut améliorer l’identification et l’enregistrement des terres pour pallier les registres fonciers souvent fragiles et imprécis. Dans les pays en développement par exemple, la défaillance des registres fonciers a de lourdes conséquences sur l’économie agricole, puisque l’instabilité des droits de propriété n’incite ni à investir, ni à développer la production.
[...] Grâce à la blockchain, il est possible d’apporter des informations fiables sur des qualités non observables des produits, comme la performance environnementale qui nécessite de fournir des garanties sur les pratiques agricoles. Dans le cadre de la Politique agricole commune, la blockchain pourrait être utilisée pour conditionner les paiements aux agriculteurs pour les services environnementaux rendus et la réalisation de certaines tâches : plantations d’arbres, réalisation de bandes enherbées à proximité des cours d’eau, etc.
[...] Un autre domaine d’application prometteur est l’utilisation de la blockchain pour mettre en place la traçabilité dans les filières agroalimentaires. Aux Pays-Bas, l’université de Wageningen a publié en décembre 2017 les résultats encourageants d’une expérience réalisée avec un partenaire privé, pour garantir l’origine et la qualité d’origine biologique d’un raisin sud-africain. Une start-up londonienne Provenance a expérimenté la traçabilité du thon pêché en Indonésie puis a étendu cette démarche à d’autres produits de la pêche. [...] Sur une plus grande échelle, IBM s’est associé à la chaîne de distribution américaine Walmart pour garantir la traçabilité du porc en Chine et de la mangue au Mexique. L’expérience ayant été concluante, sa filiale IBM Food Trust travaille maintenant avec d’autres grands groupes mondiaux de l’agroalimentaire comme Nestlé, Unilever ou Dole. La blockchain leur permet de partager des informations sur leurs produits et de les suivre le long de la chaîne de transformation (lieu de naissance, de production et d’abattage pour les animaux, les processus de production, données d’usine, dates de préemption, températures de conservation, etc.). En France, Carrefour a effectué un premier essai en 2018 en appliquant cette technologie au poulet fermier d’Auvergne depuis les accouveurs jusqu’à la distribution en passant par les fournisseurs d’aliments du bétail, les éleveurs, les abatteurs... Quelques mois plus tard le distributeur a annoncé rejoindre IBM Food Trust afin d’accroître le nombre de produits certifiés par cette technologie.
[...] Si le potentiel est vaste, la technologie blockchain en reste encore au stade de l’expérimentation, observe la note ministérielle. Actuellement, ce sont des acteurs privés (entreprises de distribution, d’agroalimentaire, de logistique) et des établissement publics (agences environnementales, instituts de recherche) qui s’associent et développent différents types de partenariats. En tout cas, si l’engouement reste fort, pour les auteurs de l’étude, il s’est atténué, ces dernières années. Le discours n’est plus celui d’une « solution miracle ». La tendance actuelle est plutôt à la prise de recul, afin d’analyser les avantages et les inconvénients des applications possibles. Il s’agit surtout de distinguer les situations dans lesquelles la blockchain a une véritable valeur ajoutée, de celles où les systèmes classiques sont tout à fait suffisants, voire plus performants.
[...] Selon des économistes de l’Université de Princeton aux Etats-Unis, le processus décentralisé des blockchains demeure relativement lent. Ils estiment par exemple que la blockchain ne peut aujourd’hui rivaliser avec le rythme de transactions des systèmes de type « cartes de crédit » (7 transactions possibles par seconde pour le premier, contre 2.000 en moyenne pour le second selon les experts). En outre, la technologie blockchain est très consommatrice d’énergie, ce qui pour certains la rend incompatible avec la trajectoire écologique souhaitée dans de nombreux pays, à moins de progrès substantiels en matière d’efficacité de calcul.
[...] En agriculture et agroalimentaire, les blockchains actuellement en expérimentation ou en développement sont relativement simples et limitées. Un obstacle majeur à leur développement est la nécessité d’établir un lien avec le monde physique. Si la blockchain permet d’assurer l’intégrité des données enregistrées, cela ne signifie pas qu’elle assure effectivement la véracité de ce qui est introduit. [...] La blockchain n’empêche pas les fraudes tout au long de la chaîne sur l’origine ou sur les pratiques garantissant l’absence de pesticides. Les chercheurs en concluent que la blockchain ne pourra seule faire disparaître les fraudes, mais qu’elle pourra contribuer à réduire leur occurrence. L’ajout d’autres technologies, également en développement, pourrait faciliter les échanges entre mondes physique et digital : objets connectés, connections des blockchains à des capteurs dans l’agriculture de précision, aux codes barres des produits labellisés par exemple.
[...] Pour l’instant, on assiste en agriculture et alimentation à un foisonnement d’expériences pilotes, impliquant une multiplicité d’acteurs, de formats, de protocoles. Il en résulte un paysage fragmenté, ne permettant pas aux différentes applications de communiquer entre elles. Ce foisonnement est classique quand une nouvelle technologie apparaît, avant qu’un standard ne s’impose. Pour de nombreux observateurs, la blockchain pourrait rester dans un premier temps une technologie interne aux entreprises, à petite dimension. Son déploiement pourrait prendre des décennies avant d’atteindre une large utilisation à l’instar des protocoles internet nés en 1973 qui ont mis une vingtaine d’années avant de s’imposer. Sans parler des coûts que cette technologie engendrera pour une utilisation à grande échelle. »
« En 2019, les Agrinautes, un consortium de sociétés spécialisées dans l’agriculture, a réalisé une étude sur les agriculteurs français, qui révélait qu’ils étaient aussi « connectés » que le grand public, utilisant dans le cadre de leur profession ordinateurs, téléphones portables et internet. « Aujourd’hui, le premier réflexe d’un agriculteur, c’est Internet, confirme Baptiste Létocart, créateur du réseau social Farmr, dédié aux agriculteurs. Ils en ont même besoin pour demander la PAC ! ». En 2019, 70% des agriculteurs étaient équipés d’un smartphone, ou téléphone dernière génération.
[...] Ainsi, les paysans prennent à bras-le-corps la question des réseaux sociaux. « Ils ont deux utilités pour les agriculteurs. D’abord, vulgariser leur métier auprès du grand public. Ensuite, échanger entre professionnels », analyse Baptiste Létocart. C’est dans cette seconde optique que s’inscrit Farmr. Ce réseau social, uniquement dédié aux agriculteurs, leur permet d’échanger des informations, des pratiques, mais aussi des ressources. Créé il y a moins d’un an, le réseau social a déjà séduit 5.000 professionnels. La raison ? Il garantit la fiabilité des contenus proposés sur la plateforme. « Contrairement à Facebook, par exemple, on ne peut pas être anonyme sur Farmr, insiste son créateur. Il faut associer son numéro d’exploitation pour s’inscrire sur le site. » Une barrière qui protège les agriculteurs et leur permet de parler en toute tranquillité. Car sur les réseaux sociaux, les paysans sont souvent la cible de démarchage commercial. Une vraie plaie d’après Baptiste Létocart. « Les exploitations sont déjà très appauvries et on leur propose encore des choses payantes. Là, l’idée, c’est que les agriculteurs se donnent des conseils ou échangent des services. » Un moyen de ramener, d’après le créateur de Farmr, de la valeur dans les exploitations agricoles.
[...] Au-delà de leur propre communication, les agriculteurs doivent également s’adresser au consommateur. Le meilleur moyen ? Vulgariser leur profession à l’aide de vidéo. Ainsi, de nombreux youtubeurs ou vidéastes amateurs s’expriment sur la toile. C’est le cas par exemple d’Étienne Fourmont, producteur de lait dans la Sarthe. « Sur les réseaux sociaux, beaucoup parlent d’agriculture sans la connaître. J’ai voulu montrer en images la réalité de l’élevage, de ce qui se passe au quotidien dans nos fermes », explique-t-il. L’homme compte plus de 40.000 abonnés sur YouTube. Et certaines de ses vidéos dépassent les 240.000 vues. Idem, sur Twitter, les agriculteurs se mobilisent pour donner une image positive de leur profession. Il existe notamment une association appelée « Franceagritwittos », comprenez les agriculteurs français qui tweetent, mobilisée sur les réseaux sociaux. Leur but ? Démonter les stéréotypes agricoles. « Tout le monde parlait d’agriculture… sauf nous, ce qui était assez dingue, confie Denis Beauchamp, président de l’association. D’autant que l’agriculture dont on entendait parler, souvent, ne correspondait pas à ce qu’on vivait. »
[...] Derrière ces artifices de communication se cache un sujet plus grave. Le mal-être agricole. En 2019, la Mutualité sociale agricole a estimé le nombre de suicides chez les agriculteurs à près de deux par jour. [...] En 2020, les paysans entament leur marathon contre le « bashing » à Paris. Et Baptiste Létocart d’illustrer : « Le salon de l’agriculture permet aux agriculteurs de faire, pendant une semaine, ce qu’ils font toute l’année sur les réseaux sociaux : partager avec le grand public leur quotidien. »
« Si la volatilité des marchés financiers n’est plus un secret pour personne depuis bien longtemps, celle des marchés agricoles n’est pas aussi connue. Cette dernière constitue une contrainte de premier ordre pour les agriculteurs, qui doivent composer avec les aléas des marchés pour écouler leurs récoltes. Même si la volatilité des prix agricoles a toujours existé, l’instabilité de l’environnement économique n’a fait qu’accentuer le phénomène et donc plonger les agriculteurs dans une angoisse encore plus profonde. Dans ce contexte, Michel Barrousse, agriculteur dans le Gers, et Edgar Chaput, ancien salarié de Google et Lydia, ont décidé d’unir leurs compétences, agricoles pour le premier et technologiques pour le deuxième, pour créer Perfarmer. Derrière ce nom, dont l’ambition est claire, se cache une application mobile qui aide les agriculteurs à vendre leurs récoltes au bon prix.
[...] Comme le prix idéal souhaité par l’agriculteur coïncide avec le prix d’objectif, celui qui lui permet d’atteindre un seuil de rentabilité, Perfarmer s’est attelé à développer un simulateur de risques pour vérifier que le prix de vente désiré a été atteint au cours des cinq dernières années. Une fois le prix défini, la solution, connectée aux marchés, prévient l’agriculteur lorsque les cours l’atteignent via l’envoi d’une alerte personnalisée par SMS. Véritable assistant commercial virtuel, Perfarmer permet ainsi aux agriculteurs de vendre leur récolte avec plus de sérénité. [...] Un gage de confiance important alors que l’agriculture est confrontée à un enjeu de sécurité alimentaire à l’échelle mondiale. « Le défi est considérable, il va falloir nourrir plus de 10 milliards de personnes en 2050 avec moins d’eau, moins d’engrais, moins de pesticides, moins d’agriculteurs et moins de terres », note Edgar Chaput, qui estime que « la technologie est un levier de compétitivité ». Présentée au Salon de l’agriculture à Paris, l’application vise la barre des 1.000 utilisateurs d’ici la fin de l’année. »
« Voilà une dizaine d’années que le marché du financement participatif a émergé en France. S’il a connu une croissance exponentielle, il n’allouait que très peu de place aux projets agricoles. Fort de constat, Florian Breton a créé Miimosa, la première plateforme de financement participatif dédiée à l’agriculture et l’alimentation durables. Petit fils de viticulteur, son objectif principal est d'accompagner les agriculteurs dans les enjeux de transition agricole, alimentaire et énergétique auxquels ils font face. Sa plateforme permet à des particuliers ainsi qu’à des personnes morales de prendre part à la création ou au développement de projets écoresponsables.
[...] Pour participer au développement d’un projet, deux outils de financement sont possibles. Premièrement, le don avec contrepartie, qui permet au particulier d’obtenir une contrepartie en échange de sa contribution : « C’est un outil qui s’adresse assez bien à des petites et moyennes exploitations diversifiées, qui sont dans un processus de transition agricole ou économique, par exemple avec la vente à la ferme, l’agritourisme… », explique Sophie Cucheval, directrice des opérations. Baptisé prêt rémunéré, le second outil de financement permet d’être remboursé du capital investi dans un projet, avec un taux d’intérêt en plus, généralement compris entre 3 et 7%. « Cet outil permet d’accompagner des exploitations sur des projets un peu plus importants en termes de montants : entre 15.000 et 1 million d’euros. On va pouvoir faire intervenir des citoyens, mais également des personnes morales et des entreprises dans les projets », précise-t-elle. Maraîchers, céréaliers, éleveurs, entrepreneurs… Qu’elles soient liées à la production agricole ou à la transformation alimentaire, toutes les filières sont représentées sur la plateforme.
[...] Créé en 2015, Miimosa est devenu en cinq ans le leader du financement participatif dans le secteur agricole et alimentaire. La plateforme a accompagné plus de 3.000 projets, et recensé plus de 220.000 personnes participantes. Au total, plus de 30 millions d’euros ont été récoltés. Un chiffre conséquent, qui a vocation à gonfler. « C’est un chiffre qui est intéressant puisque ces trente millions d’euros ont été investis par des citoyens, mais également par nos partenaires au service de la transition agricole, alimentaire des exploitations françaises. Nous continuons à développer l’activité », poursuit Sophie Cucheval. Si les chiffres témoignent d’un réel engouement, la plateforme connaît également un succès d’estime, de la part des porteurs de projet notamment. « On a un outil qui est inclusif, ce qui signifie que, pour le don comme pour le prêt, vous avez plusieurs de dizaines, voire centaines d’épargnants qui sont derrière votre projet et qui le suivent. Quand vous avez 100, 200 personnes qui contribuent à votre projet, qui vous laissent des commentaires, ça donne envie de continuer à faire ce que vous faites, et ça vous sort aussi d’une certaine forme d’isolement. »
Parallèlement aux apports des technologies de pointe, l'innovation agricole est aussi bien présente dans l'intérêt croissant porté à l'agroécologie scientifique, qui cherche à opérer un ressourcement de l’agronomie dans les principes de l’écologie. Il s'agit là de tirer le meilleur parti des mécanismes naturellement à l'oeuvre dans les écosystèmes, plutôt que s'y opposer frontalement, par exemple en faisant appel à l'aide d'insectes auxiliaires pour combattre les nuisibles plutôt que de produits phytosanitaires. Enrichies en connaissances plutôt qu'en intrants, issues tant de la recherche agronomique que des expériences menées par des paysans-chercheurs qui font foison, les pratiques agroécologiques sont multiples et les résultats obtenus n'ont souvent rien à envier en terme de rendements à ce qu'on observe dans l'agriculture dite intensive.
« Professeur d’agronomie, ex-titulaire de la chaire d’agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech, Marc Dufumier prône un changement de paradigme agricole en refusant le modèle imposé par les industriels et en considérant les milieux naturels cultivés dans leur globalité et leur complexité. Son livre L’agroécologie peut nous sauver vient de paraître aux éditions Actes Sud.
[...] L’agroécologie scientifique est une branche de l’écologie consacrée aux écosystèmes aménagés par les agriculteurs. Elle vise une compréhension la plus précise possible des milieux naturels domestiqués, et ce dans toute leur complexité : les interactions entre les végétaux, les hommes et les animaux mais aussi les éléments biologiques, physiques, climatiques, etc. C’est une approche systémique qui tente de comprendre comment les pratiques agricoles modifient, simplifient et fragilisent éventuellement les écosystèmes, et de proposer des solutions pour les faire fonctionner sans trop simplifier, ni trop fragiliser. Pour être efficace, il faut d’abord bien connaître le fonctionnement de l’écosystème dans sa globalité.
[...] En 1968, je suis parti en mission à Madagascar. J’étais un jeune agronome sortant de l’école, formaté et pétri de certitudes concernant le bien-fondé des engrais de synthèse, des variétés végétales à haut potentiel de rendement et de toutes les techniques agrochimiques. Les rizières inondées fourmillent de vie : poissons, escargots, grenouilles, canards qui s’occupaient de manger les ravageurs et les mauvaises herbes… Tout ce système fonctionnait très bien, et me voilà qui arrivais avec mon riz high-tech, mes produits chimiques, et qui tuais tous ces poissons, ces canards, ces escargots, bref, toutes les sources de protéines. Ces femmes malgaches m’ont dit : « Votre riziculture améliorée merci, mais on trouve que c’est plutôt une riziculture empirée. » Elles avaient entièrement raison ! J’ai eu la chance de me rendre compte très tôt que leur objet de travail était un agroécosystème d’une profonde complexité et que raisonner uniquement en termes de génétique, de rendement, d’engrais, etc., ne menait nulle part. Pour être efficace, il faut d’abord bien connaître le fonctionnement de l’écosystème dans sa globalité.
[...] Sur un plan technique, une agriculture inspirée de l'agroécologie peut parfaitement nourrir la planète. Il n’y a pas de recette unique : chaque écosystème est différent. Mais il existe des points communs, comme faire usage du plus intensif à l’hectare de ce qui est le moins coûteux économiquement : l’énergie solaire, le gaz carbonique et l’azote atmosphérique pour que les plantes fabriquent glucides, lipides et protéines. Il faut également limiter au maximum l’emploi d’énergies fossiles et de produits de synthèse. Pas d’inquiétude, on peut largement nourrir 10 milliards de personnes avec une agriculture intelligente et durable.
[...] L'agriculture industrielle n'est pas durable, c’est certain. Elle est extensive et grignote toujours plus de forêts et d’espaces naturels, au lieu d’intensifier à l’hectare l’emploi de ce qui ne coûte rien. Elle repose trop sur les énergies fossiles pour le fonctionnement des engins et la fabrication d’engrais azotés et de produits pesticides, dont on s’aperçoit aujourd'hui qu’ils sont nocifs pour l’environnement voire pour la santé. En outre, elle a remplacé par des machines une force de travail agricole qui est pourtant surabondante à l’échelle mondiale, autrement dit, au prix de la pauvreté de millions de gens qui ont dû quitter l’agriculture et vivent dans des bidonvilles plutôt que de tirer un revenu et de la nourriture du travail de la terre.
[...] Les tenants de l’agrochimie brandissent toujours le rendement à l’hectare comme argument massue. Ce qui est important, c’est, selon moi, d’accroître la valeur ajoutée à l’hectare, c’est-à-dire de prendre en compte ce qu’on produit, mais aussi ce qu’on détruit. L’agriculture productive produit certes beaucoup, mais elle est aussi destructive puisqu’elle emploie des produits chimiques toxiques et des carburants fossiles. Son bilan net est très faible, de l’ordre d’un cinquième du produit brut. Dans les pays industrialisés, nous ne devons pas produire plus, nous devons produire mieux.
[...] L’agroécologie ne refuse pas les innovations agronomiques, tant qu’elles respectent le fonctionnement de l’écosystème ! La plus grande erreur de l’agriculture est d’avoir oublié que l’écosystème est un enchevêtrement d’interactions incroyablement complexes. Or, nous avons misé depuis plus d’un siècle sur un seul cheval : le rendement de variétés à haut potentiel, d’abord grâce à des croisements, puis grâce à la génétique, la chimie… Cela a imposé de modifier l’écosystème afin de le rendre conforme à ce potentiel et, ce faisant, nous l’avons fragilisé, voire menacé. Résultat, nous avons obtenu des cultures certes plus productives, mais également gourmandes en engrais et sensibles aux ravageurs. Sans oublier que des espèces résistantes aux traitements commencent à apparaître. Problèmes que le lobby agrochimique compte résoudre avec d’autres variétés, OGM ou non, d’autres molécules chimiques, etc. C’est une éternelle fuite en avant qui n’a aucun sens. »
« De nombreuses menacent pèsent sur le système alimentaire, résultant des bouleversements écologiques et climatiques sur les écosystèmes sauvages et cultivés : ils affectent la croissance des végétaux et l’activité des cultures, ils dégradent et artificialisent les sols, ils épuisent les ressources et créent l’effondrement de la biodiversité. Les ressources en eau sont sous tension, impactant les productions agricoles. C’est un constat parfaitement clair et démontré dans la seconde édition du rapport « Vers la résilience alimentaire » de l’association Les Greniers d’Abondance.
[...] L’agroécologie permet l’optimisation de l’utilisation des ressources et services apportés par la nature pour réduire au maximum l’utilisation d’intrants de synthèse, engrais, pesticides ou antibiotiques. Ces intrants sont remplacés par des facteurs « naturels » qui s’appuient sur les outils que nous procure la nature : les pollinisateurs qui transforment les fleurs en fruits, l’agroforesterie où les arbres font barrage au soleil trop fort ou au vent ou servent aussi de refuge aux oiseaux et aux rapaces pour réguler les attaques d’insectes, la polyculture-élevage ou l’art d’associer l’animal et le végétal pour une meilleure culture, la diversification des semences… On peut aussi, par exemple, jouer sur les rotations de cultures pour limiter les risques d’apparition de maladies des plantes, ou cultiver des légumineuses qui captent l’azote pour remplacer les engrais. L’agroécologie peut aider à améliorer la production alimentaire mondiale, ce qu’a officiellement reconnu l’ONU en 2018, pour devenir l’agriculture de demain.
[...] France Stratégie a analysé vingt-trois cahiers des charges publics ou privés relevant de démarches agroécologiques ou s’en revendiquant. Parmi ceux regroupant le nombre le plus important d’exploitations : l’agriculture biologique (AB), la Haute Valeur Environnementale (HVE), les mesures agroenvironnementales et climatiques systèmes (MAEC systèmes), les fermes DEPHY, LU’Harmony et AgriCO2. Il existe par ailleurs des labels officiels, présents sur les produits alimentaires, mais ne relevant pas explicitement de l’agroécologie. C’est le cas par exemple du Label rouge et de la certification de conformité des produits (CCP). Ces labels ne présentent pas tous un haut niveau d’exigence. Grâce à une typologie basée sur la réduction d’utilisation d’engrais et de pesticides et sur l’intensification des pratiques favorables à la préservation de la biodiversité, des sols et des ressources en eau, il est possible de distinguer deux grandes familles : D'une part, les exploitations présentant un haut niveau d’exigence, comme l’AB ou la certification HVE, où l’ensemble du système de production a été repensé pour favoriser l’autonomie et la préservation de l’environnement. La production y est régie par des contraintes et des restrictions, et les produits peuvent être facilement repérables par le consommateur grâce à des étiquettes. D'autre part, les exploitations présentant un nombre d’exigences environnementales moins important, comme les MAEC systèmes où le système de production reste fondé sur les principes de l’agriculture conventionnelle, mais des engagements supplémentaires sont mis en œuvre, par exemple sur la réduction d’usage des pesticides.
[...] Bien que les indicateurs varient (marge brute ou directe, excédent brut d’exploitation…), de même que les échelles de temps et les filières (viticulture, maraîchage, céréales…), l’analyse de littérature montre clairement que les exploitations agroécologiques, l’AB en particulier, sont en général plus rentables que les exploitations conventionnelles, alors que leurs exigences environnementales sont élevées. Pourquoi ? Parce que les exploitations bio réalisent des économies sur les charges en intrants (engrais, produits phytosanitaires) et que les prix des produits bio sont plus élevés. À quoi s’ajoutent des prix moins volatiles et une plus grande diversité de productions, assurant dans leur ensemble des rendements plus stables sur le temps long. Or ces bénéfices font plus que compenser les coûts induits par des rendements plus faibles et par les charges supplémentaires liées à la mécanisation du désherbage ou au recours à davantage de main-d’œuvre. Un exemple pour s’en convaincre : en 2016 l’excédent brut d’exploitation des exploitations conventionnelles en viande bovine était de 3 euros par hectare contre 180 euros en bio. Plus généralement, la littérature scientifique montre que le gain de marge directe en AB, quoique très variable selon les productions, est en moyenne de 103%.
[...] Plusieurs études ont été menées sur les performances économiques des filières agroécologiques. Les résultats montrent que l’agroécologie est le plus souvent rentable. Les exploitations agroécologiques présentent même des résultats économiques à moyen terme supérieurs à ceux d’exploitations conventionnelles, malgré une baisse des rendements. [...] L’AB assure également à l’agriculteur une meilleure stabilité économique, avec des rendements plus stables sur le long terme en raison d’une production plus diversifiée et plus résistante aux bioagresseurs. L’AB apparaît clairement comme la plus performante d’un point de vue économique mais aussi environnemental. Les productions HVE présentent également un haut niveau d’exigence environnementale. Les exploitations mettant en œuvre des MAEC systèmes sont généralement rentables à moyen terme. Les produits ne bénéficiant pas de prix plus avantageux, contrairement à l’AB, les agriculteurs restent cependant dépendants des prix du marché. Les fermes DEPHY sont rentables à moyen terme mais pas dans tous les cas, les bénéfices étant liés à la réduction d’utilisation des pesticides.
[...] En l’absence d’aides de la PAC, certaines exploitations agroécologiques coûtent plus qu’elles ne rapportent, en comparaison des exploitations conventionnelles. Dans certains cas, le prix des produits bio seul ne permet pas de compenser la baisse de rendements. La transition agroécologique peut impliquer de moindres rendements et ainsi affecter la rentabilité des exploitations agricoles : accroître la compétitivité par des aides et une montée en gamme auprès des consommateurs pourraient ainsi aider les agriculteurs à engager cette transition. [...] L’agroécologie est un mode de production qui peut être à la fois rentable et respectueux de l’environnement et répondre aux attentes des consommateurs. Parvenir à une transition agroécologique soutenable et réussie à l’échelle nationale implique un ajustement des subventions de la PAC, un soutien accru à la conversion vers l’agriculture biologique et un changement radical et durable de nos modes de consommation.
[...] Les aides de la PAC assurent la rentabilité des exploitations européennes de manière générale. Certaines subventions spécifiques sont de plus dédiées aux référentiels agroécologiques. L’AB par exemple bénéficie d’aides à la conversion. Mais il y a un hiatus : ces aides publiques sont déconnectées des exigences environnementales et ne sont pas proportionnées au service environnemental rendu par les exploitations, ni même toujours au manque à gagner effectif lié à leur transition agroécologique. C’est ce que montre le rapport de France Stratégie dont les auteurs ont confronté le montant des aides attribuées aux exploitations à leur « score d’exigence environnementale »… et constaté leur décorrélation. En grandes cultures par exemple, les montants totaux d’aides à l’hectare sont plus importants pour les référentiels MAEC systèmes que pour le référentiel AB. Autrement dit, c’est la production moins exigeante du point de vue environnemental qui reçoit plus. Les exploitations agroécologiques se voient verser des aides de la PAC, au même titre que les exploitations conventionnelles. Or ces aides rémunèrent uniquement un manque à gagner (coût post-transition) et non les bénéfices pour l’environnement. Les niveaux de rémunération ne sont pas proportionnés aux exigences environnementales. [...] Mieux aider la transition écologique de notre agriculture passe donc par un réel ajustement des aides publiques versées aux efforts financiers consentis par les agriculteurs pour réduire leurs impacts sur l’environnement ou par un changement d’approche permettant de mieux rémunérer le service environnemental rendu. Une approche qui pourrait consister en un système de bonus-malus, le produit des malus sur l’usage de pesticides et d’engrais venant financer les bonus aux pratiques agroécologiques par exemple.
[...] Pour ce qui est des référentiels utilisés, France Stratégies préconise trois recommandations : 1. Soutenir en priorité les labels qui sont associés à des hauts scores d’exigence environnementale et qui génèrent des bénéfices économiques, comme l’AB : il apparaîtrait nécessaire de renforcer leur reconnaissance par le consommateur pour permettre un consentement à payer, rémunérant justement l’agriculteur et mieux informer les exploitants agricoles et les consommateurs des bénéfices économiques engendrés par ces labels. 2. Analyser les coûts de la transition agroécologique pour les différentes exploitations, en développant un système de suivi sur le moyen terme. 3. Pour les référentiels « à haut score d’exigence environnementale » qui présentent, eux, des bénéfices économiques pour les exploitants, il serait souhaitable de mieux tenir compte de la plus grande intensité en main d’œuvre, à l’origine de surcoûts, dans le paramétrage des dispositifs d’aides publiques qui leur sont attribués. Enfin, pour les référentiels « à faible score d’exigence environnementale » mais à coût faible ou nul, il s’agirait de diffuser et de généraliser les bonnes pratiques, notamment en termes de réduction d’usage de pesticides.
[...] Ajuster les aides et mieux soutenir les référentiels à forte exigence environnementale sont des leviers nécessaires pour développer l’agroécologie. Mais ils ne seront pas suffisants. Pour assurer la transition de notre système alimentaire vers la durabilité, les pratiques des consommateurs doivent aussi évoluer, notamment vers un régime moins et mieux carné. C’est à cette double condition que le système agricole français pourra changer au profit d’un modèle plus soutenable permettant de nourrir la population, de faire vivre les producteurs dignement, de réduire notre dépendance aux intrants de synthèse et d’améliorer la protection des sols et la qualité de l’eau. Il faut absolument prêter attention aux préconisations des différents acteurs du secteur agricole, comme à celui de la communauté scientifique. Il s’agit là d’une alerte des auteurs du rapport : « Sans transformation radicale du système alimentaire, c’est le risque d’une décroissance subie et d’un retour des pénuries qui plane. » « Les pratiques agroécologiques sont issues de connaissances toujours plus poussées sur les agrosystèmes, les cycles bio-géochimiques, les interactions avec la biodiversité sauvage. Elles font la synthèse de plusieurs siècles de recherches scientifiques et de découvertes empiriques. »
« On la croyait cantonnée à la permaculture, aux potagers, aux vergers, aux petites exploitations et à un marché de niche. Erreur : l'agroécologie estime disposer des atouts pour conquérir de plus grands espaces. Synonyme d'agriculture durable, l'agroécologie sème ses graines, notamment dans sa déclinaison la mieux connue : la permaculture.
[...] Issue de la fusion de permanence et de culture, la permaculture ne se réduit pas à des seules techniques comme la culture sur buttes qui permet de densifier les semis, de mieux drainer l'eau, d'améliorer la fertilité, ou les bombes à graines, dont la dispersion stimule la biodiversité. Elle se pique de philosophie humaniste, trouvant son fondement dans une approche holistique de l'environnement et des espèces, y compris l'homme, qui en dépendent pour se nourrir. Cette philosophie prend en compte les interactions au sein des écosystèmes et s'inscrit dans une vision à long terme focalisée sur la préservation de la fertilité naturelle des sols en jouant sur la diversité des productions. D'où le rejet de l'agriculture intensive, accusée d'abuser des intrants chimiques, de la spécialisation à outrance et de la maximisation des rendements à court terme qui épuisent la terre.
[...] « Historiquement, les pionniers de la permaculture ont diffusé leurs pratiques sur de petites surfaces dédiées au maraîchage et aux vergers. Mais rien n'interdit de s'en inspirer pour l'élevage et les grandes cultures », explique Bertrand Noiret. Cet ingénieur conseil en agronomie qui promeut l'agroécologie, dont la permaculture, au sein de l'association Fermes d'avenir constate un engouement pour ses nombreuses pratiques. Ainsi en va-t-il de l'agriculture de conservation, qui évite le labour pour préserver la fertilité du sol. De l'agroforesterie, qui, grâce à la plantation d'arbres ou de haies le long des parcelles cultivées, limite l'érosion par le vent. De la polyculture, qui, en combinant élevage avec céréales, génère des bénéfices mutuels, à l'instar de ces moutons qui en pâturant en janvier-février le blé d'hiver stimulent la production d'épis et enrichissent le sol de leurs déjections. Enfin, la permaculture inspire des rotations innovantes associant plantes herbacées et céréales : fauchés et laissés sur place, le trèfle ou la luzerne étouffent par exemple les mauvaises herbes et fournissent de l'engrais au blé à venir.
[...] Toutes ces techniques sont prometteuses, mais les adopter requiert d'en passer par une « courbe d'apprentissage », reconnaît Bertrand Noiret, qui pointe plusieurs obstacles. Endettés par des investissements dans le matériel et des bâtiments agricoles, les agriculteurs conventionnels ne peuvent sortir de ce système sans essuyer de lourdes pertes. Les freins sont aussi psychologiques : ces techniques qu'ils doivent apprendre vont à l'encontre de ce qu'ils ont toujours fait.
[...] Mais des projets d'agroécologie à grande échelle émergent çà et là. Dans le Berry, le château de Châteaufer et ses 100 hectares de terres agricoles exploitées jusque-là en conventionnel relève le pari. Côté agroforesterie, plus de 10.000 arbres, notamment des chênes, ont été plantés pour enrichir les sols et fournir du bois. L'exploitation développe en parallèle le maraîchage bio en permaculture et envisage déjà de se lancer dans l'élevage ovin et la culture sous serre chauffée par géothermie. Dans l'Essonne, la ferme pilote de l'Envol entend suivre la même trajectoire en se consacrant, sur 75 hectares, à l'agriculture bio et l'agroécologie avec des activités de maraîchage, d'arboriculture, d'élevage (production de lait, fromage et oeufs) et un atelier céréalier boulangerie.
[...] Reste encore à démontrer que la triple performance économique, environnementale et sociale que garantissent les défenseurs de l'agroécologie se maintient quand on passe de la microferme à la grande exploitation. En attendant, l'association Fermes d'avenir se plaît à rappeler que le modèle dominant ne fait pas forcément mieux, pointant sur son site que « 50 % des exploitations françaises auraient un résultat courant avant impôt négatif sans les aides de la PAC ». Si le débat se poursuit sur le modèle à prévaloir, force est de constater que les lignes bougent. L'été dernier, l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) a déclaré vouloir s'engager dans une transformation agroécologique qui passera par la diversification des assolements, le retour des haies et la valorisation des circuits courts. »
« Nombreux sont ceux qui ont déjà entendu le mot, très en vogue dans les milieux alters, mais peu savent le définir. Il faut pour cela passer par un stage d’initiation, voire une formation de plusieurs semaines. Moi et mes compagnons apprentis n’avons que deux jours pour nous immerger dans le monde permacole. La tâche paraît ardue...
[...] « La permaculture, c’est une démarche, une philosophie, explique Tom. Le but est de prendre soin de la nature, des Hommes et de partager équitablement. » Autrement dit : concevoir des cultures, des lieux de vie autosuffisants et respectueux de l’environnement et des êtres vivants. Comment ? En s’inspirant du fonctionnement des écosystèmes et des savoir-faire traditionnels. Une éthique, et beaucoup de bon sens. Mais attention, elle ne se résume pas à l’agroécologie. « Aujourd’hui, on cherche à créer une culture durable, permanente, en prenant en compte tous les domaines de la vie humaine », explique Simon.
[...] Le livre fondateur, la « Bible », date de 1978. La permaculture a donc plus de trente ans d’existence et d’expérience. Sans compter qu’elle se fonde sur des principes vieux comme le monde, comme l’observation minutieuse de la nature. Charlotte égrène les noms des fondateurs, Mollison, Holmgren... Dans les années 1970, les deux Australiens participent à l’émergence de la conscience écologiste. Ils font un constat simple : l’agriculture industrielle menace la biodiversité et la fertilité des sols, il faut donc créer et développer des systèmes agricoles stables et résilients. En 1978, ils publient un livre, Perma-Culture 1, une agriculture pérenne pour l’autosuffisance et les exploitations de toutes tailles.
[...] Pendant plus de vingt ans, les fondateurs de cette démarche ont eu à cœur de transmettre leurs connaissances. Ils ont mis en place de nombreux outils, dont le plus connu est le design. Dans le « jargon » des initiés, design signifie « conception, réalisation, maintenance et réévaluation » d’un espace. Nous nous mettons donc dans la peau d’un designer, avec un cas très concret, la maison du frère de Simon. Notre mission est de proposer un aménagement de l’espace extérieur, le plus harmonieux possible. Observer et identifier les atouts, les contraintes du lieu. Chaque élément doit se retrouver à la place la plus judicieuse, pour qu’il n’y ait ni gaspillage, ni perte d’énergie. « On cherche l’efficacité et le confort, dit Tom. Dans l’idéal, la permaculture nous donne le temps de regarder pousser nos tomates. » Quelles plantes sont les plus adaptées au relief ? Comment faire pour récupérer au mieux les eaux de pluie ? Et pourquoi pas des toilettes sèches, pour produire du compost ? Armés de crayons de couleur et de guides botaniques, nous gribouillons un plan du futur jardin.
[...] Au-delà des jardins, ces principes se retrouvent aussi dans les « villes en transition ». Initié par un enseignant en permaculture, Rob Hopkins, le mouvement vise à passer « de la dépendance au pétrole à la résilience locale », en réduisant les consommations d’énergie, en relocalisant les activités et en intensifiant les relations humaines. Il y a aujourd’hui des centaines d' « initiatives de transition » à travers le monde. Pour Charlotte, il s’agit de changer de paradigme : « La permaculture peut permettre de faire évoluer notre façon de faire de la science, passer d’une approche cartésienne à une approche systémique et holistique. » « Ce n’est pas réservé aux alternatifs qui vivent en communauté au fin fond des Cévennes », conclut l’un des participants. »
« Alors que l'agriculture occidentale n'a eu de cesse de se développer à coups de brûlis, coupes et destructions des forêts depuis le néolithique, des chercheurs et agriculteurs entendent aujourd'hui la réconcilier avec les arbres. Un pari de doux dingues ? Non, c'est celui de l'agroforesterie, et il semble couler de source quand on constate que ce sont bien les arbres qui s'emparent majoritairement des terres lorsqu'on laisse la nature faire. Et ce n'est pas tout : puisqu'elle navigue à contre-courant de la nature, l'agriculture intensive a recours à beaucoup de travail, de traitements et de ressources... Dont les arbres pourraient la dispenser. C'est pourquoi l'agroforesterie apparaît comme l'une des solutions écologiques et durables pour les exploitations agricoles de demain. Mais pour convaincre les agriculteurs, elle doit encore parvenir à lever quelques freins et démontrer sa viabilité économique.
[...] Pour comprendre la logique de remplacement des arbres par les champs de cultures, il faut remonter au berceau de l'agriculture, dans les grandes steppes d'Asie centrale. Tout son déploiement, en Afrique du Nord et en Europe occidentale, s'est réalisé en imitant les paysages de steppes qui dominent dans cette région du monde : C'est-à-dire en supprimant les arbres et en développant des monocultures de plantes annuelles (des plantes qui réalisent leur cycle de vie en une seule année). Un « paradoxe » selon Charles Hervé-Gruyer, propriétaire de la ferme du Bec Hellouin qui travaille en agroforesterie : « Dans la nature, l'écosystème dominant sous nos latitudes, et à peu près partout dans le monde, ce sont les forêts. Nous, bizarrement, on cultive surtout des plantes annuelles, qui représentent moins de 1% des végétaux présents dans la nature ! Évidemment, c'est beaucoup plus gourmand, en travail du sol, en énergie, en semences... Donc avec un impact beaucoup plus important sur la planète. »
[...] Dans son industrialisation galopante et son dopage en engrais et pesticides, l'agriculture a depuis quelques décennies poussé ce modèle de monoculture bien au-delà de ses propres limites. Il se retourne aujourd'hui contre lui-même. « On arrive à des impasses techniques, étant donné qu'on a limité depuis 50 ans la diversité génétique dans les parcelles. » explique François Warlop, chercheur agronome au GRAB (groupe de recherche en agriculture biologique) et coordinateur de l'étude sur l'agroforesterie du Bec Hellouin. « Dans un contexte de changements climatiques et de transports de marchandises mondialisés, on voit bien que dans des systèmes hyper simplifiés, hyper dégradés, au niveau de la parcelle et au niveau de l'environnement, on arrive à des cultures très fragiles, très précaires, à la merci du premier bioagresseur ».
[...] À contre-courant de cette agriculture dominante, l'agroécologie explore des modèles systémiques, tenant compte de l'ensemble des cycles, des échanges et des transformations que la nature opère de manière autonome. L'agroforesterie s'inscrit dans cette démarche, en faisant de l'arbre un maillon clé de la production : de sa croissance à la perte de ses feuilles, l'arbre peut pleinement contribuer à la fertilisation des sols par l'apport de matières organiques et de l'azote, dans une certaine quantité. Un rôle très précieux à l'heure de l'agriculture intensive et de son recours aux fertilisants azotés. En effet, si ce dernier est nécessaire au bon développement des plantes, il est aussi responsable de la destruction des matières organiques présentes dans le sol. Ajouté en trop grande quantité, et sous l'effet cumulé de plusieurs facteurs (irrigation, réchauffement climatique qui modifie les périodes de photosynthèse, motorisation...) le risque est de rendre un sol uniquement minéral et assujetti à l'érosion.
[...] Mais attention, « les associations peuvent être complètement ratées ! » prévient Martin-Chave, chercheur à Agroof : les modèles agroforestiers requièrent la mise en place de conditions bien particulières pour éviter la compétition entre les arbres et les cultures dans le sol (il faut des sols profonds et de la disponibilité en eau) mais aussi en surface (pour assurer une complémentarité d'accès à la lumière aux différentes périodes de l'année). Et l'agroforesterie « n'est pas LA solution unique et miracle qui se prête à chaque situation » précise François Warlop avant de rappeler que les études dans ce domaine sont très récentes et que plusieurs années seront nécessaires avant de pouvoir en tirer des conclusions générales du fait du long temps de croissance des arbres. Le manque de données « est aujourd'hui la limite principale rencontrée par l'agroforesterie » ajoute Ambroise Martin-Chave. Pour l'heure, l'agroforesterie séduit tout de même une part non négligeable des agriculteurs : en Europe, un tiers sont prêts à y réfléchir et se lancer, un tiers demandent à voir et un tiers sont contre, selon la dernière étude menée par Agforward en partenariat avec Agroof. L'étude relève un certain nombre de freins à lever pour que la pratique s'étende tels que la non-propriété des terres par les agriculteurs (ce qui est fréquent), la réglementation en cours et les outils agricoles à adapter.
[...] Dans le Gard, Denis et Virginie Flores se sont installés depuis 2010 sur une parcelle de peupliers et de noyers pour cultiver leurs fruits et légumes (tomates, courgettes, fraises...). Ils font partie du programme Arbratatouille initié par Agroof pour expérimenter et collecter des données de terrain. Cette étude nous apprend par exemple, qu'en poussant sous des « têtards » (des arbres taillés pour laisser passer 50% du rayonnement solaire), les plants de tomates produisent globalement de façon équivalente, en termes de production et de rendements, par rapport à une plantation témoin, et les fruits y sont de meilleure qualité car souffrent probablement moins des stress thermiques. « Donc oui, confirme Ambroise Martin-Chave, On peut dire que ça fonctionne, mais il faut bien voir que cela nécessite de la gestion », avant de rajouter : « Il ne faut pas oublier que l'arbre n'a pas qu'une fonction d'ombrage ou de participation à la fertilité : s'il pousse dans de bonne condition ET qu'il est bien taillé ET qu'on a le débouché commercial, le bois produit peut constituer une source de revenus complémentaires intéressante. On peut aller de quelques euros le mètre cube jusqu'à plus de 2.000 euros pour des bois précieux. »
[...] À la ferme du Bec Hellouin en Normandie, Perrine et Charles-Hervé Gruyer ont eux, opté pour différents modèles agroforestiers dont trois « forêts-jardins » suivant la théorie du pionnier britannique Robert Hart. Une forêt-jardin est un jardin conçu sur sept strates, allant d'arbres fruitiers en hauteur aux tubéreuses cultivées sous terre. Son design est pensé pour optimiser au maximum la production d'aliments et de matériaux. Après trois années d'existence, la mini forêt-jardin du Bec-Hellouin donne des résultats déjà « très impressionnants » se félicite Charles Hervé-Gruyer, qui a l'ambition de démontrer l'intérêt économique de ce modèle beaucoup plus autonome : « Le temps de travail est considérablement réduit. À la troisième année, nous avons travaillé une centaine d'heures seulement, c'est très peu. Et sur un terrain de 220m2, nous arrivons à un chiffre d'affaires de 57 euros par heure travaillée sur le terrain ! ».
« L’agriculture conventionnelle est dans une impasse. Elle est cantonnée à la production non rentable de matières premières pour l’industrie alimentaire, devenue dépendante de trop d’intrants chimiques et de pesticides, assujettie à l’industrie des semences et des plants, endettée par des équipements colossaux, maintenue artificiellement en vie par la Politique agricole commune, et décréditée par l’opinion publique pourtant toujours demandeuse d’une nourriture peu chère. Même si elle n’en a pas l’entière responsabilité, le bilan écologique de cette agriculture est assez catastrophique, qu’il s’agisse de la matière organique des sols, l’érosion de la biodiversité et la disparition visible des insectes et des oiseaux, les émissions de gaz à effet de serre. À ce lourd bilan, il faut rajouter le scandale des élevages industriels et de l’instrumentalisation de la vie animale et rappeler qu’aujourd’hui, le principal débouché de l’agriculture est la fourniture des aliments pour l’élevage.
[...] Pour sortir de l’impasse actuelle, il nous faudrait donc une politique alimentaire nouvelle, clairement identifiable et que l’on pourrait désigner par le néologisme de nutriécologie. Il s’agit d’afficher une volonté ferme de gérer en même temps, la santé publique, la protection de l’environnement et l’avenir de l’agriculture. Jusqu’à présent, on a cru pouvoir gérer la santé humaine par des recommandations nutritionnelles déconnectées des modes de production de terrain, comme si la gestion de la santé commençait au supermarché. Cette approche réductionniste s’est avérée bien peu efficace pour gérer la santé publique et très dangereuse pour la préservation de l’environnement. La donne a changé : à partir de diverses approches, on peut maintenant définir les caractéristiques suffisamment universelles d’une alimentation bonne pour l’homme et la planète et adaptables à quasiment tous les territoires.
[...] Nous n’avons pas besoin d’une agriculture productiviste si nous avons une consommation moins carnée. En effet, il existe une interrogation récurrente sur les possibilités de l’agriculture bio de nourrir le monde, puisqu’en moyenne, elle est moins productive que l’agriculture conventionnelle. En fait, il s’agit là d’un faux problème puisque dans ce type d’agriculture, la majeure partie des productions agricoles est dévorée par les animaux d’élevage, avec au final un impact plutôt négatif pour la santé publique. Pour passer d’une agriculture conventionnelle à l’agriculture bio, il suffit d’utiliser les productions animales comme variable d’ajustement. Et c’est à l’ensemble des citoyens d’ajuster leur comportement alimentaire pour permettre une telle évolution. Si on veut concilier la production agricole avec la préservation de l’environnement, il faut donc responsabiliser l’ensemble des citoyens et des acteurs professionnels. C’est à ce niveau qu’intervient la nutriécologie, en nous invitant à. consommer une alimentation très variée en produits végétaux, afin de nous sevrer d’un excès de calories animales et des aliments ultra transformés, produits d’aboutissement du système alimentaire dominant.
[...] La nutriécologie implique donc la société tout entière pour fonder l’agriculture de demain. L’agriculture biologique a ouvert la voie à une production agricole sans béquilles chimiques et sans pesticides et l’agroécologie s’est ingéniée à développer des modes de production qui augmentent la vie microbienne, la matière organique et la fertilité des sols. L’agroécologie s’est appliquée aussi à définir des systèmes agraires compatibles avec le maintien d’une activité paysanne et la préservation des écosystèmes naturels. La nutriécologie complète ces deux démarches en précisant les caractéristiques de l’offre alimentaire dont les hommes ont besoin pour la gestion de leur santé. En additionnant les acquis de l’agriculture biologique et de l’agroécologie, les enseignements nouveaux de la nutriécologie, l’humanité pourrait être mieux armée pour assurer son avenir alimentaire. Mais nous aurions besoin aussi que l’industrie alimentaire et la grande distribution réforment en profondeur leurs pratiques, selon l’éthique portée par la Nutriécologie qui doit devenir notre bien commun.
« Ils participent activement à la transformation des pratiques agricoles. Mais ils le font selon leurs besoins, à leur manière et surtout avec un objectif : concilier un revenu décent et une agriculture respectueuse de la biodiversité, des sols, des paysans eux-mêmes ; bref : de la planète. Ils sont issus de la lutte anti-OGM ou ont vu leurs champs s'éroder, leurs cultures griller. Ils ont été pionniers de l'agriculture biologique ou n'ont simplement plus voulu travailler comme leurs parents. Une chose en tout cas les rassemble : ils estiment qu'ils doivent être au centre de la recherche en agronomie, et non pas simplement appliquer des recettes élaborées en laboratoires. Car qui connaît leurs terres mieux qu'eux ? [...] Ces paysans-chercheurs ont donc arrêté le labour, planté des arbres dans leurs champs, associé plusieurs cultures dans une même parcelle, ou tout simplement replanté leurs propres semences. Ils l'ont fait en commun, avec l'aide de réseaux, de chercheurs, d'instituts. Ils ont expérimenté, tâtonné, échoué parfois, mais aucun d'eux ne reviendrait en arrière. Souvent, ils sont retournés à des pratiques pas si anciennes, que le modèle agricole productiviste d'aujourd'hui a oublié, voire a cherché à éliminer. Mais ils ne sont pas réactionnaires, au contraire. Ils innovent. Rencontre avec ces paysans-chercheurs qui ont repris en main leur métier.
[...] Le Gers est le département où siège l’association française d'agroforesterie, plateforme d'échanges et de partenariats entre agriculteurs, chercheurs, décideurs ou encore collectivités. Avec pour but de redonner leur place aux arbres dans les fermes, après des années d'élimination des haies, arbres, arbustes, et autres futaies par les agriculteurs. Et de fait, même s'il restent minoritaires, ils sont de plus en plus nombreux, notamment dans ce département très agricole du Sud-Ouest, à replanter dans leurs champs ces arbres qui stabilisent les sols, les drainent, les irriguent, accueillent des oiseaux, des champignons, des insectes, et font de l'ombre aux animaux d’élevage. Sans compter leur potentiel productif : fruits, bois, biomasse.
[...] Réunis au sein du CIVAM, qui depuis plusieurs dizaines d'années promeut le partage d'expériences entre agriculteurs pour une « agriculture plus autonome et plus économe », Claude Souriau, François Michaud, et Bruno Joly ont fait des essais d’associations de cultures, principalement céréales et protéagineux, pour voir de quelle manière ces associations pouvaient stabiliser les rendements face aux aléas climatiques, réduire les apports d'engrais, les maladies et le travail du sol, et diminuer in fine les intrants, tout en préservant l'environnement de leur territoire. Un projet mené en partenariat avec de nombreux réseaux. [...] Cette multiplicité d'acteurs est à l'image de la bio diversité que cherchent à promouvoir ces paysans chercheurs. Car en associant les cultures, ils ont attiré dans leurs sols, sur leurs terres et dans leurs plantes une multiplicité d'êtres vivants, insectes (notamment les carabes) ou champignons, dont l'action permet notamment de se passer de phytosanitaires.
[...] S'il est un domaine où la recherche en agronomie a toujours été active, c'est celui des semences. Leur marché est très réglementé, pour pouvoir être commercialisées, elles doivent être inscrites dans un catalogue. Cette inscription nécessite plusieurs critères, ce qui donne des semences standards, homogénéisées, qu'achètent l'immense majorité des cultivateurs. Si ces semences s'adaptent parfaitement à l’agriculture conventionnelle (apport de phytosanitaires et d'engrais notamment), elles ne sont pas compatibles avec l'agriculture biologique et son cahier des charges. C'est donc parmi ces agriculteurs bio qu'ont commencé à circuler les semences paysannes, et c'est avec eux que se sont mis à travailler des chercheuses de l'INRA et de l'ITAB. Ces semences « hors la loi », c'est-à-dire non homologuées dans un catalogue de semences, se révèlent pourtant plus variées et plus adaptables à leur environnement. Elles proviennent directement des graines mises de côté par les agriculteurs eux mêmes avant que tout ne soit sélectionné en laboratoire. Comment ces semences paysannes s'adaptent-elles, comment évoluent-elles selon les saisons, les terroirs, ou le moment de plantation etc. ? C'est tout cela qu'observent en commun Véronique Chable de l'INRA, Estelle Serpolay de l'ITAB, et le maraîcher bio Jean-Martial Morel, qui travaille au sein d'une AMAP. Parmi ses carottes, choux, radis, tomates ou haricots, il a sélectionné quelques rangs de terre où il sème des dizaines et des dizaines de variétés différentes d'un légume, et observe lesquelles réagissent le mieux, pour en récolter ensuite les graines et les échanger ou les vendre au sein de son réseau de semences. »
« Installés depuis 2003 au Bec-Hellouin (Eure), Perrine et Charles Hervé-Gruyer ont développé une exploitation et une méthode novatrice – l’écoculture, fondée sur l’imitation des écosystèmes naturels – qui s’adresse à la fois à des agriculteurs professionnels mais également aux jardiniers amateurs souhaitant produire eux-mêmes tout ou partie de leur alimentation. Au sein de cette ferme, devenue célèbre grâce entre autres au film Demain, des études scientifiques, menées par l’INRA, AgroParisTech et l’université de Gembloux, ont validé l’existence d’une productivité tout à fait exceptionnelle et durable – 1.000 m2 de maraîchage au Bec Hellouin produisaient en 2015 une valeur commercialisée de 55.000 euros, quand la production moyenne du maraîchage bio en France était de l’ordre de 30.000 euros par hectare. Ces recherches ont exercé une profonde influence sur l’agriculture biologique en France et inspiré la création de nombreuses fermes naturelles dans le monde entier. Entretien.
[...] On pratique une agriculture qui prend la nature pour modèle et on cherche à faire tout à la main. On travaille sur de toutes petites surfaces. Implantée sur 20 hectares environ, le cœur intensif du Bec Hellouin aujourd’hui se concentre sur une parcelle de 1,2 hectare et procure un emploi à cinq-six personnes. On prend des sources d’inspiration dans les pays du Sud, dans les régions tropicales. On s’inspire aussi de formes d’agriculture naturelle du passé, mais la ferme est aussi extrêmement connectée aux sciences du vivant contemporaines. Ça donne une ferme qui cherche à prendre le meilleur de différentes civilisations, le meilleur du passé, mais également du présent. Nous nous efforçons de créer une agriculture qui peut nourrir durablement les générations à venir dans le respect de la planète.
[...] Le terme permaculture, né dans les années 1970 en Australie, désigne un système conceptuel qui propose des outils de design pour créer des installations durables et appliquées à l’agriculture… Nous, on a cherché à manier cela avec l’agriculture bio, professionnelle. Cette connexion s’était très peu faite en France. On utilise la permaculture comme sorte de logiciel global pour penser notre ferme, mais à l’intérieur de la ferme on utilise beaucoup de techniques d’agriculture naturelle qui ne sont pas spécifiquement dans le champ de la permaculture. Aussi, on a trouvé judicieux d’utiliser ce mot écoculture, terme formulé dans la mouvance des travaux de l’agronome américain Wes Jackson, qui intègre d’autres influences que ceux de la permaculture, notamment l’agroécologie.
[...] On a observé qu’on arrivait à produire beaucoup sur de toutes petites parcelles cultivées très intensément et totalement à la main. Du coup, on peut libérer une grande part de notre territoire pour planter des arbres, élever des animaux, etc. La ferme redevient un milieu complexe, avec des niches écologiques, produisant beaucoup de biomasse. Ainsi, on peut, à production égale, laisser toute une part du territoire sauvage. Et on arrive à subvenir aux besoins des humains tout en guérissant la terre et régénérerant la biosphère. Autre bonne nouvelle, des études scientifiques menées dans notre ferme ont montré que la petite fraction cultivée produit une nourriture abondante de qualité tout en améliorant les sols. Nos sols stockent jusqu’à plus de 10% de carbones organiques par an, ce qui est colossal. Ainsi, on va transmettre une terre bien plus fertile que celle qu’on a trouvée.
[...] On est persuadé que les solutions de demain, on peut les trouver en observant la nature, c’est une démarche bio-inspirée et les résultats scientifiquement validées qu’on obtient au Bec Hellouin sont porteuses d’espoir parce qu’ils montrent qu’on n’est pas obligé de bousiller la planète pour subvenir à nos besoins. Ce qui me passionne c’est de constater l’explosion de la vie sur notre petite ferme, de plus en plus belle, où il y a de plus en plus d’oiseaux, avec des espèces rares, c’est de voir que notre terre devient de plus en plus noire, profonde, fertile… avec des récoltes toujours plus grandes. En cherchant à aller dans le sens de la vie, on est gagnant sur tous les plans. On a un meilleur revenu, une meilleure qualité de vie, on produit de la qualité, on n’a pas besoin d’utiliser de produits phytosanitaires… tout le monde est content dans cette démarche. »
Si l'usage massif de produits phytosanitaires, engrais et pesticides confondus, a permis de démultiplier les rendements agricoles dans les dernières décennies, en s'avérant d'une grande efficacité en particulier pour lutter contre les nuisibles qui menacent les récoltes, il a montré quelques limites. Certains produits se sont en effet avérés dangereux pour l'environnement, favorisant à terme l'appauvrissement des sols et détruisant la biodiversité, voir pour la santé humaine. Des alternatives se multiplient, portées par des innovations tenant autant de la technologie de pointe que de la recherche agroécologique.
« Faut-il interdire les pesticides ? Les pesticides sont-ils dangereux ? Je suis incapable de répondre à cette question. Et d’ailleurs, personne ne l’est. Parce que « les pesticides », ça ne veut rien dire. C’est aussi général, comme mot, que « les médicaments ». On est tous d’accord qu’il serait idiot de vouloir interdire « les médicaments » en général après un accident sur un antidiabétique. Les pesticides, ce sont plusieurs classes de produits. Des herbicides, dont le plus connu et le plus vendu en France est le glyphosate. Des insecticides, des mollucicides, des régulateurs de croissance des végétaux, des fongicides et des bactéricides. Les fongicides servent à lutter contre les champignons et les moisissures. Certaines de ces champignons sont mortels pour l’homme. C’est le cas de l’ergot de seigle. Les fongicides, bactéricides et herbicides sont les plus utilisés. Au total, on a utilisé 70.000 tonnes de pesticides en France en 2017. Si l’on rapporte ce tonnage à la surface agricole, l’utilisation en France est dans la moyenne européenne et dans le bas du classement mondial.
[...] Il est important de comprendre que chaque produit a ses caractéristiques propres. Un herbicide, par exemple, ne tue pas les insectes. Ce n’est pas son rôle. Chaque produit a une toxicité potentielle différente. D’ailleurs, chaque produit est évalué séparément par les autorités sanitaires. Car oui : tous ces produits reçoivent des autorisations de mise sur le marché de la part d’une autorité sanitaire indépendante, en France, elle s’appelle Anses. Pour chaque produit, il y a une notice, des précautions d’usage, vis à vis de l’eau, des animaux, des habitations. L’Anses n’est pas particulièrement cool. En 2019, elle a déjà retiré près de 160 autorisations de mise sur le marché de produit. Elle en autorisé seulement 21. [...] Tous les pesticides - et je ne fais ici aucune distinction entre les pesticides naturels et bio et les pesticides de synthèse - sont des principe actifs. Aucun n’est anodin. Tous quels qu’ils soient sont assortis de précautions d’usage. Tous présentent un risque plus ou moins important, plus ou moins grave pour la santé, l’environnement la biodiversité, s’ils sont mal utilisés ou à dose trop importante. Le produit n’est pas mauvais en lui-même : c’est la dose qui fait le poison. Et ça, ça vaut pour les pesticides comme pour le sel de table, pour l’alcool et même pour l’eau qui tue si l’on en boit trop. Voilà : à chaque produit, un risque. Alors pourquoi utiliser un produit qui présente un risque… Et bien parce que ce risque est contrebalancé par un bénéfice. Pour qui ? Je vous vois, les taquins qui répondent « pour les vendeurs de pesticides ».
[...] Il y a des bénéfices pour les agriculteurs. Un herbicide sélectif, cela évite que le blé soit mélangé à d’autres plantes qui, elles, ne se mangent pas. Un insecticide, ça évite que les fruits soient mangés par des petites bêtes avant d’être mûrs. Un fongicide, ça évite que les récoltes soient détruites par un champignon. Economiquement, c’est important de ne pas perdre une récolte. L’usage de pesticides a fait beaucoup progresser les rendements à l’hectare. Est-ce mal ? Non. Cela évite de devoir déforester pour augmenter les surfaces cultivées par exemple. Mais ça n’est pas le seul bénéfice d’un pesticide. Certains évitent des dégâts sur la santé humaine. Un blé qui serait contaminé avec de l’ergot de seigle, un maïs contaminé par des champignons que l’on appelle les mycotoxines, c’est dangereux et c’est même mortel. Ces mycotoxines, par exemple, touchent près d’un quart du maïs quand on ne le traite pas. Donc : on arrête de voir la main des lobbies derrière chaque pesticide et on réfléchit. Quel est le risque, quel est le bénéfice d’un produit. De quel côté penche la balance une fois qu’on a tout envisagé. Et seulement là, on se demande si un pesticide doit être utilisé ou pas. »
« Une légende tenace et bien entretenue veut que le bio soit une forme d’agriculture qui n’utilise pas de pesticides ou de produits phytosanitaires. Le diable est dans les détails. L’agriculture biologique n’utilise pas de pesticides de synthèse ou chimiques. Mais elle utilise des pesticides qualifiés de naturels. La distinction entre pesticides chimiques ou naturels ne veut strictement rien dire en termes sanitaires, en termes de danger ou en termes d’effets sur l’environnement. Naturel signifie que les molécules existent à l’état naturel, qu’elles n’ont pas été inventées dans un laboratoire. Cela ne veut absolument pas dire qu’elles sont anodines ou sans danger.
[...] La nature nous a donné les amanites phalloïdes, la ciguë ou le curare. Tout ce qu’il y a de plus naturels et tout ce qu’il y a de plus mortel. L’agriculture bio dispose de dizaines de produits labellisés. Une partie de ces produits reposent sur des dérivés pétrochimiques : l’huile de paraffine, le soufre. Une autre partie sur le cuivre. D’autres sur des bacilles, d’autres encore sur des huiles essentielles. Parlons d’abord du cuivre ou de soufre. Leur usage principal est d’éviter les moisissures, comme le mildiou qui touche les fruits. Cuivre, soufre et leurs dérivés – comme ce que l’on appele la bouillie bordelaise - et les autres produits bio représentent le quart des ventes de phytosanitaires en France, ils sont utilisés indifféremment par toutes les formes d’agricultures.
[...] Ce sont des produits qui font débat. Les autorités sanitaires européennes s’inquiètent de leurs effets sur la santé des humains et des sols. Le cuivre est un métal lourd qui s’y accumule et le stérilise. L’Efsa a hésité avant de reconduire les autorisations pour le cuivre en 2018, mais le problème, est qu’il a une réelle utilité pour protéger les plantes et qu’il n’y a pas d’alternative dite « naturelle ». De la même façon, la pharmacopée bio contient des produits très controversés comme l’insecticide Spinosad, qui est toxique pour les abeilles, ou l’huile de Neem, qui nuit à la reproduction et aux milieux aquatiques, qui est interdite en agriculture conventionnelle et qui ne peut être utilisée que sous abri en agriculture bio. Les produits phytosanitaires utilisés en agriculture biologique ne sont pas plus anodins que les autres, ce sont des principes actifs qui sont évalués dans les mêmes conditions que les autres. Ils ont beau être composés d’atomes présents dans la nature, ils sortent tout de même d’usines et sont commercialisés souvent par les mêmes entreprises.
[...] Quel est le but de cette démonstration ? Certainement pas de jeter l’opprobre sur l’agriculture bio. Elle a le mérite de faire réfléchir aux pratiques, de tester, de faire évoluer globalement l’agriculture. C’est une bonne chose de dire que l’agriculture biologique utilise aussi des produits pour traiter les plantes. C’est une nécessité pour récolter et nourrir. Les cultures, bios ou pas, sont attaquées en permanence par des ravageurs, par des maladies, par des moisissures, par des champignons. Les réponses peuvent être différentes. L’agriculture biologique privilégie des variétés qui sont parfois plus résistantes à telle ou telle attaque… Même si elles produisent moins. Les rendements de blé bio, par exemple, sont inférieurs de moitié à ceux du blé conventionnel. Les réponses bio incluent AUSSI des phytosanitaires. C’est pour ça qu’il faut en finir avec le marketing du bio sans pesticide de synthèse. Il faut aussi en terminer avec l’opacité sur les tonnages utilisés en bio par exemple. Ce flou finira par nuire aux agriculteurs bios eux même. Or, ils ne font que leur travail. Les agriculteurs bio n’ont pas plus que les autres à avoir honte de le faire. On a tous à gagner à la vérité des pratiques. Une vérité qui évite les peurs irrationnelles. Car la peur n’a jamais aidé à prendre de bonnes décisions. »
« Une équipe américano-canadienne de toxicologues a estimé l’évolution, entre 1992 et 2014, de la « charge toxique » de l’agriculture américaine pour les insectes. En un peu plus de vingt ans, celle-ci a été multipliée jusqu’à près d’un facteur cinquante, l’essentiel de cette envolée étant attribué aux nouvelles générations d’insecticides systémiques, dits « néonicotinoïdes ». [...] Ces travaux quantifient, pour la première fois à l’échelle d’un grand pays agricole, les effets potentiels de l’adoption généralisée de ces produits ; ils déconstruisent l’idée que le déclin général des insectes serait surtout dû au changement climatique, aux pathogènes naturels, aux espèces invasives, etc.
[...] Pour mener leurs calculs, les chercheurs ont considéré l’évolution, au cours du temps, des quantités de produits phytosanitaires utilisés par l’agriculture américaine, en les classant par famille de produits. Ils ont ensuite construit un indice de la « charge de toxicité aiguë d’insecticide » des pratiques agricoles, fondé sur les tonnages de chaque famille d’insecticides utilisée, sur sa toxicité aiguë pour les insectes (avec l’abeille domestique comme référence) mais aussi sur sa rémanence moyenne dans l’environnement. Pour ce qui est de la toxicité orale (par ingestion de pollen ou de nectar, par exemple), cet indice a été multiplié par 48 entre 1992 et 2014 ; calculé avec les valeurs de toxicité par simple contact, il a crû d’un facteur quatre au cours de la même période.
[...] En 2014, les « néonics » étaient responsables de 61% de la charge toxique par contact et de 99% par voie orale. « En utilisant notre indice de toxicité orale par classe de pesticides, les néonicotinoïdes comptent pour près de 92% de la charge toxique totale pour les insectes entre 1992 et 2014 », écrivent les chercheurs. [...] Les cultures ayant le plus participé à cette envolée toxique sont le maïs et le soja, expliquent-ils. « On s’attendait à une contribution importante des néonicotinoïdes, mais pas à un effet aussi considérable », explique l’écotoxicologue Pierre Mineau. Les « néonics » sont fréquemment appliqués de manière préventive en enrobage de semence, à de faibles doses à l’hectare, mais leur très haute toxicité pour les insectes et leur persistance dans les sols en font des produits au profil particulier. D’autant qu’ils sont dits systémiques, c’est-à-dire qu’une fois présents dans les sols, ils peuvent être repris par les cultures ultérieures ou les plantes sauvages, imprégnant tous leurs tissus, des racines aux feuilles en passant par la fleur, le nectar et le pollen.
[...] « Au début des années 1990, les néonicotinoïdes ont été adoptés très rapidement en remplacement des carbamates et des insecticides organophosphorés, dont on commençait à réaliser la haute toxicité pour le développement cérébral des humains. On cherchait désespérément des alternatives moins dangereuses, explique Pierre Mineau. Dans les premiers rapports de l’Agence américaine de protection de l’environnement, avant même que ces produits ne soient utilisés, les scientifiques fédéraux américains anticipaient “des effets dramatiques sur l’écologie des systèmes terrestres ou aquatiques dans lesquels ces produits seraient utilisés”. Tout ce qui s’est produit était prévisible, sinon prévu. »
« Plusieurs études ont été consacrées à la rémanence des produits phytosanitaires dans l’air et l’eau, mais peu de travaux avaient été menés sur les sols et encore moins à l’échelle d’un paysage agricole comprenant des parcelles traitées mais aussi des champs bio, des prairies et des haies. On sait désormais que les pesticides migrent dans tout l’environnement.
[...] Spécialiste des vers de terre à l’Inrae, Céline Pelosi se penche depuis longtemps sur les impacts des pesticides sur ces acteurs essentiels de la fertilité des sols. « On s’est aperçu qu’il n’y avait pas eu de recherches faites sur la présence de "cocktails" de multiples pesticides dans les sols non traités, les haies et les petits bois considérés comme des refuges pour la faune et la flore et on a voulu corriger ce manque », explique la chercheuse. Ses travaux viennent d’être publiés dans la revue scientifique Agriculture, Ecosystems & Environment. Ils révèlent une contamination ubiquitaire n’épargnant aucun élément de la nature.
[...] Au printemps 2016, les chercheurs ont choisi 60 zones de 1 km² où ils ont prélevé des échantillons de sol sur 5 centimètres de profondeur, capturé des vers de terre (de l’espèce Allolobophora chlorotica vivant à la surface du sol et donc plus exposée aux épandages de pesticides que les espèces vivant plus en profondeur). 53 prélèvements ont été faits sur des champs de céréales traités aux pesticides, 7 sur des parcelles en bio, 34 dans des prairies traitées, et 26 sur des prairies permanentes non traitées. 60 sols de haies ont également été récupérés. Au total, 180 échantillons de sol et 155 vers de terre (qui étaient absents de 25 lieux échantillonnés) ont été analysés.
[...] Les chercheurs ont procédé à une analyse multi-résidus. Ils ont cherché 31 produits phytosanitaires répandus, la grande majorité d’entre eux en usage actuellement et 2 interdits d’usage depuis quelques années. Aucun des échantillons de sol n’est indemne de traces de pesticides et 90% contiennent plusieurs molécules en mélange d’herbicide, fongicide et insecticide. Ce sont bien des pesticides d’usage courant qui ont été retrouvés le plus souvent à des concentrations invraisemblablement élevées. Ainsi, l’herbicide diflufénican a été retrouvé dans 162 échantillons sur 180 avec un record de concentration de 1361 nanogrammes par gramme (ng/g) alors que la valeur maximale attendue dans les sols est de 405 ng/g. L’imidaclopride, un néonicotinoïde qui à l’époque du prélèvement était autorisé (il a été interdit en 2018, mais des dérogations ont été demandées et obtenues par la filière betteravière récemment) a été détecté dans 160 échantillons avec un record à 160 ng/g, un peu en dessous de la valeur maximale attendue à 184 ng/g.
[...] Les vers de terre ont également révélé des concentrations très fortes de l’insecticide Imidaclopride allant jusqu’à 777 ng/g soit des teneurs très supérieures à celles retrouvées dans le sol. Mais la plupart des pesticides recherchés ont été détectés chez ces animaux. « Comme les teneurs sont supérieures à celles retrouvées dans le sol, c’est le signe que les vers de terre accumulent ces pesticides, expose Céline Pelosi. Les teneurs trouvées dans les sols et cette bio-accumulation pourraient avoir de nombreux effets physiologiques et écologiques, en particulier des effets néfastes sur la reproduction d’après les valeurs seuils des tests de toxicité. » Des mesures faites sur les poils de mulots sylvestres et de musaraignes et dans l’organisme des carabes vont faire l’objet de nouvelles publications scientifiques. Au premier abord, elles semblent révéler une imprégnation similaire.
[...] Les chercheurs de l’Inrae et du CNRS à l’origine de ces résultats ont également pris des échantillons pour une détection du glyphosate, l’herbicide suspecté d’être cancérogène qui sera interdit début 2022 en France. L’article est en cours de parution. Ces résultats montrent que la contamination par les phytosanitaires n’épargne pas les zones qui n’ont pas subi d’épandage. « Même les sols non traités des champs de céréales bio et des haies font l’objet de "cocktails" revêtant un risque élevé avec par exemple 22 échantillons, soit 37% des haies qui présentent des résidus parfois importants de pesticides », écrivent les chercheurs. Ce qui vient d’être décrit, c’est une contamination globale des campagnes. »
« Le très controversé glyphosate n’a d'autorisation de mise sur le marché en Europe que jusqu’au 15 décembre 2022 et sa prolongation est très discutée. En 2019, le gouvernement français a ainsi décidé de la mise au ban d’ici trois ans de cet herbicide, le plus vendu au monde, fortement suspecté d’être cancérogène. Le produit a valu à son propriétaire, le groupe européen Bayer, une cascade de procès aux Etats-Unis. Ces procédures ont été réglées le 25 juin 2020 avec la décision de Bayer d’indemniser les victimes aux USA à hauteur de 10 milliards de dollars pour solde de tout compte. Cet accord « renverra également les débats sur l'innocuité et l'utilité des herbicides à base de glyphosate dans l'arène réglementaire et dans le cadre de la science », a déclaré Werner Baumann, directeur général de Bayer, montrant ainsi sa satisfaction de tourner la page justice.
[...] L’Inrae vient d’apporter une nouvelle contribution à ce débat « dans le cadre de la science » en publiant son évaluation économique des solutions alternatives au glyphosate pour les grandes cultures (blé, maïs, colza, tournesol…) après celles consacrées en 2019 à la viticulture et à l’arboriculture. Cette demande du gouvernement sera transmise à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en charge des AMM des produits phytosanitaires et biocides. L’Anses est en effet l’organisme qui décidera in fine du retrait total de l’herbicide. L’exercice est donc principalement réglementaire. « Nous avons fait notre évaluation dans le strict cadre du règlement qui encadre les AMM et qui stipule que le retrait d’un produit est possible s’il existe une alternative d’usage courant sans impact économique majeur » rappelle Alain Carpentier, l’un des auteurs de l’étude. Il s’agit donc d’un travail qui ne considère pas les solutions alternatives telles que l’agroécologie ou l’agriculture biologique mais la réalité des 90% de la surface agricole utile qui utilise toujours des produits chimiques. Dans ce cadre, dans 98% des cas, l’alternative « d’usage courant sans impact économique majeur », c’est le labour. Ce qui plonge le dossier glyphosate dans un océan de paradoxes.
[...] En s’appuyant sur l’étude de 17.300 parcelles en agriculture conventionnelle représentant 90% des champs exploités en grandes cultures en France, les chercheurs ont déterminé que près de 20% des surfaces reçoivent au moins un traitement au glyphosate par an pour une dose moyenne de 825 grammes par hectare. Les applications se font dans 75% des cas entre deux cultures pour brûler les adventices et les repousses de la culture précédente, le reste concernant des destructions de couverts végétaux et des retournements de prairies. Le glyphosate est quasiment sans concurrent. Le dicamba et l’hormone 2.4D sont plus chers et plus toxiques.
[...] Les chercheurs ont détaillé l’usage de l’herbicide selon les différentes méthodes de travail du sol, du semis direct sans labour au labour en passant par les différentes méthodes techniques que sont le travail très superficiel du sol et le travail profond sans retournement du sol. Il apparait alors que le semis direct implique l’usage de glyphosate dans 85% des cas contre 7,6% avec un labour profond annuel systématique. Plus le sol est retourné, moins il est besoin d’herbicide puisque les adventices sont enfouies. Dans les techniques culturales simplifiées ou le travail du sol est minimum, 40% des champs reçoivent du glyphosate contre 24% pour le labour occasionnel. Autre enseignement : plus l’exploitation est de grande surface, plus on utilise d’herbicide. L’interdiction du glyphosate implique donc en l’état actuel des pratiques des passages plus fréquents dans les champs ce qui augmente les dépenses en carburant et en usure des matériels et les heures de travail. Ce surcoût varie de près de 80 euros pour le semis direct à 4,5 euros pour le labour profond. Ce sont les agriculteurs sortant le plus la charrue qui souffrent le moins de la disparition de l’herbicide.ntillons avec un record à 160 ng/g, un peu en dessous de la valeur maximale attendue à 184 ng/g.
[...] Le paradoxe, c’est que le labour est une pratique très néfaste pour le climat au contraire du semis direct. Le retournement des sols libère de grandes quantités de carbone, les appauvrit en matière organique, met la terre à nu une grande partie de l’année provoquant l’érosion par les pluies et le vent et est facteur de perte de biodiversité du fait d’un couvert végétal soit absent soit uniforme. Le semis direct est unanimement reconnu par les analyses scientifiques comme améliorant la fertilité des sols et la biodiversité animale et végétale. Mais ces techniques de couvert permanent des sols imposent d’utiliser des herbicides pour réduire une trop forte croissance des végétaux.
[...] L’analyse de l’Inrae est cependant incomplète. Elle n’envisage qu’une situation de substitution dans le cadre d’une agriculture conventionnelle existante et ne tient pas compte de la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Les « alternatives d’usage courant sans impact économique majeur » ne peuvent rivaliser avec l’herbicide dans la mesure où le système conventionnel est tout entier organisé autour de son usage. Ce travail pointe donc la nécessité d’un bouleversement profond des techniques culturales aujourd’hui majoritaires. « Notamment, l’allongement des assolements sur 7 ans incluant des cultures de légumineuses est central pour réduire la dépendance aux phytosanitaires », rappelle Christian Huygues, directeur scientifique de l’Inrae. La fin du glyphosate implique donc des changements majeurs de pratiques dans les campagnes. »
« A chaque civilisation, ses démons. La nôtre a le sien : le glyphosate. Comment cet herbicide en est-il venu à incarner le mal aux yeux de ses détracteurs, bien que la science démente ses supposés méfaits ? Un retour en arrière s’impose. En 1996, lorsque la communauté internationale bannit les essais nucléaires, l’ONG Greenpeace se trouve privée de son combat historique. Pour survivre, elle doit s’en trouver un autre. Monsanto sera l’épouvantail idéal : la multinationale de l’agrochimie a déjà sale réputation pour avoir produit l’agent orange, défoliant utilisé lors de la guerre du Vietnam. Monsanto est alors en train de lancer ses premières plantes OGM. Or, l’entreprise n’a pas développé des plantes résistantes à la sécheresse ou à un parasite… mais capables de survivre à un herbicide qu’elle vend elle-même depuis 1974 : le Round up. Jackpot pour Monsanto qui vend à la fois les semences et le désherbant. Ce cynisme est, pour Greenpeace, un argument en or. D’autres ONG sud-américaines, d’abord, s’en saisissent. Puis les mouvements altermondialistes. Le glyphosate devient symbole de l’OPA de Monsanto sur l’agriculture mondiale. Et qu’importe si la molécule est tombée dans le domaine public en 2000. Qu’importe que 80% du glyphosate mondial soit produit aujourd’hui par d’autres firmes. S’opposer au glyphosate, c’est s’opposer à une multinationale sans foi ni loi. C’est vrai, Monsanto n’est pas une entreprise sympathique. Cela fait-il de son Round up un tueur de masse pour autant ?
[...] Les effets nocifs sur la santé du glyphosate, pesticide le plus utilisé au monde, ne sont pas démontrés. Pour ses opposants, le fait que le CIRC, une des agences de l’Organisation mondiale de la santé, l’ait classé « cancérogène probable » en 2015 a clos le débat. Voilà qui hérisse les scientifiques. Car l’avis n’est qu’une estimation de danger. « Le danger est, en toxicologie, la propriété d’une molécule d’avoir un effet toxique. Il n’est pas synonyme de risque. Le risque est la probabilité d’être exposé au danger à une dose toxique », précise la toxicologue Dominique Parent-Massin, dans une note de l’Académie d’agriculture. Pour elle, « interdire un produit sur la base du danger équivaut à interdire à tous les avions de voler parce qu’ils peuvent tomber. »
[...] Les 11 agences sanitaires au monde ont un avis unanime sur le glyphosate : correctement utilisé, il ne présente pas de risque. L’Efsa a, en 2015, passé toute une palette de sujets de santé en revue, avant de réitérer l’autorisation du glyphosate. Le 11 janvier dernier, l’agence Health Canada a fait de même. Le 30 avril, et malgré la lourde condamnation de Monsanto par la justice américaine à verser 79 millions de dollars à Dewayne Johnson, un jardinier californien atteint d’un cancer qu’il attribue au glyphosate, l’EPA américaine n’a pas cillé devant ce qui est un acte judiciaire, émotionnel, et non scientifique. « L’EPA maintient qu’il n’y a pas de risque pour la santé publique lorsqu’il est correctement utilisé. Il n’est pas cancérogène. », écrit l’agence. L’Anses, l’agence française, est en train de lancer à son tour une nouvelle revue du produit. Mais elle est plus mal à l’aise que ses homologues car elle a été déjugée par le gouvernement qui, sans tenir compte de son avis et sans justification scientifique, a décidé d’interdire le produit d’ici à 2021. Seul en Europe.
[...] Pour les détracteurs du glyphosate, cette unanimité scientifique est suspecte. Ils accusent Monsanto d’avoir produit lui-même la littérature scientifique justifiant l’autorisation de son produit. « Absurde. Ce processus est la norme, explique Antony Fastier, toxicologue, ancien de l’Anses. Les études réglementaires doivent être fournies par les entreprises. Elles ne font pas ce qu’elles le souhaitent. L’OCDE édicte les directives, la liste des tests à pratiquer, et il faut respecter les bonnes pratiques de laboratoire. Toute l’industrie est logée à la même enseigne. Par ailleurs, il est irréaliste de penser que c’est au secteur public de réaliser les études. Une firme dépense en moyenne 250 millions de dollars pour cela. » Que Monsanto ait fait du lobbying ne fait pas de doute. Que le produit doive son homologation au lobbying ne relève que de la supposition.
[...] Pour le toxicologue, les agences de santé intègrent en outre toute la littérature produite sur le sujet. Et sur le glyphosate, il y en a eu plusieurs dizaines. Aucune d’alarmante. « Les diverses études du biologiste Séralini et de l’institut Ramazzini, qui ont tenté de démontrer la cancérogénicité du glyphosate, encore brandies par les opposants au produit, sont à mettre à la poubelle », assène Antony Fastier, qui a participé à l’Anses à l’expertise des travaux de Gilles-Eric Séralini, aujourd’hui unanimement rejetés par la communauté scientifique. Il poursuit : « Ces études ont été bâties pour répondre à des conclusions pré-écrites et sont truffées de biais. Celles sur la tératogénicité éventuelle du glyphosate, c’est-à-dire ses effets fœtaux, ne montrent rien. Rien non plus pour la mutagénèse, la neurotoxicité. Les études sur les perturbations endocriniennes ont adopté des méthodes étranges qui faussent les résultats. » Et puis il y a les retours d’expérience. Voilà quarante ans que le glyphosate est utilisé. Les cohortes d’agriculteurs étudiés par la Mutualité sociale agricole (Agrican sur 180 000 personnes) et AHS (50.000 agriculteurs sur vingt ans, aux Etats-Unis) ne montrent pas de risques accrus de cancers chez ceux qui sont pourtant exposés au glyphosate au premier rang, sauf sur une forme rarissime de lymphome.
[...] Las. Contre toute raison, l’accumulation d’études rassurantes est balayée d’un revers de main par les opposants au glyphosate qui réclament l’application du « principe de précaution », défini dans la déclaration de Rio adoptée par l’ONU en 1992. « L’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour ne pas interdire », dit en substance le texte. Imparable ! Personne n’a démontré que le glyphosate était toxique, mais il est impossible de démontrer qu’il ne l’est pas de façon absolue, puisque le champ des recherches est infini... L’opinion publique, travaillée au corps par les procès perdus de Monsanto, les études alarmistes, les fichiers secrets d’opposants, la peur entretenue, est mûre pour l’intoxication. Au point, obsédée par le glyphosate, d’oublier de se pencher sur d’autres pesticides, naturels ou de synthèse, peut-être réellement dangereux mais toujours autorisés. Avec le glyphosate, ce n’est pas notre santé qui est en danger, c’est notre raison. »
« On fait croire au consommateur qui recherche des produits naturels qu’il a été trompé pendant des années en buvant du vin bio. C’est inacceptable ! » Patrick Guiraud, le président de SudVinBio, une association interprofessionnelle de vignerons du sud de la France, ne décolère pas. En cause : la décision européenne de réduire en 2019 les quantités de dérivés du cuivre, la fameuse bouillie bordelaise notamment, utilisables en agriculture conventionnelle mais aussi en bio. Or, la filière du vin bio, qui représente désormais 10% du vignoble français, en a fait son arme principale contre les maladies les plus courantes et craint de voir son image entachée. Le problème posé est pourtant réel, le cuivre étant classé parmi les « substances toxiques ».
[...] Ce terme correspond à un mélange en quantité variable de sulfate de cuivre (CuSO4) et de chaux (hydroxyde de calcium, Ca(OH)2), inventé au 19e siècle. Mais il désigne aussi plus largement toute une série de composés du cuivre et d’autres produits, comme le sulfure de cuivre, utilisés pour protéger les cultures de vigne, pommes de terre, tomates, pommiers, etc. Car le cuivre est un métal aux propriétés fongicides, utilisé à titre préventif contre les maladies, principalement le mildiou et le black rot. Celles-ci provoquent d’importantes baisses de qualité et de rendement, voire la destruction des récoltes. Mais dans les vignes et vergers, comme dans les jardins de particuliers où elle est souvent utilisée, la présence de ces bouillies bordelaises n’est pas anodine. Particulièrement en France où son usage, ancestral, est très répandu. Au point que sa concentration est, dans certaines régions, notamment viticoles, jusqu’à des dizaines de fois plus élevée que celle du cuivre naturellement présent dans les roches. En effet, le cuivre est un produit dit de contact, se déposant sur la plante sans y pénétrer, au contraire des pesticides de synthèse qui sont des produits dits systémiques. C’est pour cela qu’il faut renouveler souvent les applications. « Le cuivre finit par s’accumuler dans les sols, où il est très peu lessivé. En excès, il est toxique pour la plante et la vie microbienne, explique Christian Gary de l'Inra. Or, les micro-organismes du sol sont fondamentaux, car ils aident les plantes à fixer l’azote et les nutriments indispensables. Chez le végétal lui-même, il provoque le jaunissement des feuilles et freine le développement. »
[...] Auparavant, les limitations de l’usage du cuivre portaient sur la seule agriculture bio : l’épandage de 30 kg au maximum par hectare sur cinq ans était autorisé, soit 6 kg par an et par hectare en moyenne. Avec un lissage possible (davantage ou moins une année, selon les besoins) pour la vigne qui est une plante pérenne, mais sans lissage pour les annuelles comme la tomate ou la pomme de terre. Jusqu’à ce que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) procède en 2017 à une réévaluation des effets du cuivre en vue de renouveler son homologation en tant que produit phytosanitaire, alors que les Pays-Bas et le Danemark l’ont définitivement proscrit. D’où la disposition européenne en vigueur depuis 2019. Désormais, pour l’agriculture bio et conventionnelle, 28 kg sont autorisés par hectare sur sept ans, soit 4 kg par an en moyenne, lissés ou pas. Et c’est ce qui fait bondir les vignerons bio. « Il faut savoir que nous perdons jusqu’à 30% de la récolte par rapport à l’agriculture conventionnelle, même en traitant au cuivre. En outre, celui-ci est préventif, non curatif, et nous ne pouvons pas utiliser des produits de synthèse pour soigner contrairement aux non-bio, souligne Benjamin Hessel, gérant du Château des Annereaux, l’un des rares vignerons bio du Bordelais. Or l’offensive du mildiou en 2018 a été exceptionnelle par son ampleur. » Conséquence : selon l’enquête réalisée par l’Observatoire national des vignerons indépendants, 54% des vignerons bio ont utilisé plus de 4 kg de cuivre par hectare sur l’année, 19% allant même jusqu’à plus de 6 kg. D’où leur crainte, si de telles années se multiplient, de se retrouver hors la loi ou de voir les conversions en bio ralentir.
[...] Pourtant, il existe des méthodes alternatives. Pour les recenser, l’Inra a réalisé une étude intitulée « Peut-on se passer du cuivre en agriculture biologique ? » Cinq leviers d’action ont été identifiés. Le premier consiste à remplacer le cuivre par d’autres substances biocides d’origine naturelle (extraits de prêle, d’écorce de saule, d’ortie, huiles essentielles d’agrumes…). Mais si de nombreux essais sont en cours, la plupart de ces produits ne sont pas homologués ou peu disponibles dans le commerce. Autre possibilité : pulvériser sur les cultures des micro-organismes antagonistes, qui feront concurrence au mildiou. Le seul produit homologué à ce jour, Esquive, fabriqué par l’industriel Bayer, concerne d’autres maladies, notamment l’eutypiose. La stimulation des défenses naturelles, ou « élicitation », est une autre solution. « Nous testons en laboratoire et en champ des extraits de rhubarbe et de bourdaine qui contiennent des stilbènes, des molécules connues pour déclencher des phénomènes de protection chez les plantes. De minuscules nécroses se forment sur les feuilles, qui constituent une barrière à la prolifération du champignon agresseur », souligne Marc Chovelon, animateur de la commission viticulture à l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) et membre du Groupe de recherche en agriculture biologique (Grab), deux associations indépendantes. Quelques traitements par « isothérapie » (pulvérisation d’extraits du parasite) ont même été tentés, mais peu de données sont disponibles.
[...] À côté de ces méthodes dites de biocontrôle, il existe une autre stratégie : rendre les plantes résistantes aux maladies, en procédant à des croisements. « La génétique est un levier majeur. Mais il faut pour cela que la plante dispose de plusieurs gènes de résistance au parasite, sinon celui-ci finit par s’adapter », explique Christian Gary. « En viticulture, nous avons mis au point plusieurs cépages résistants qui se comportent bien lors de la vinification. Certaines appellations réfléchissent à les adopter », poursuit le chercheur. Certes, mais peut-on vraiment changer la vigne sans changer le goût des crus ? Les enjeux sont énormes. « Il faut mettre tous ces leviers en œuvre de manière combinée », résume Christian Gary, en les associant à des outils d’aide à la décision comme les modèles de prévision de risque du mildiou et d’optimisation des doses de traitement. »
« Dans la Drôme, un verger détonne. Cinq cents arbres ont été plantés sur 1.6 ha en 2018. Des arbres disposés en cercles concentriques. « Pour se passer de pesticides, on est partis d'une page blanche » explique la responsable de cette expérimentation Sylvaine Simon, agronome au domaine INRAE de Gotheron. Ce verger circulaire ressemble à un village gaulois. En guise de palissade extérieure, une haie végétale, première ligne de défense contre les insectes ravageurs. Ensuite, les chercheurs en alternant abricotiers, pêchers, pommiers, framboisiers veillent à créer la zizanie chez l'ennemi. « Dans ce verger, on alterne les fruits à noyaux et à pépins, des pommes, en l'occurrence, pour ne pas avoir de continuité. L'idée c'est de compliquer la dispersion du ravageur ».
[...] Favoriser la biodiversité par la diversification d'espèces et de variété permet aussi de créer un environnement propice aux insectes ou d'animaux amis des arboriculteurs, comme par exemple les araignées. Solène Borne est agronome sur le domaine : « Les araignées vont prédater les pucerons. Ils arrivent au printemps et les araignées sont des auxiliaires présents tout l'hiver, donc prêtes à attaquer les pucerons au printemps ». Pour lutter contre les campagnols, qui s'attaquent aux racines et au collet des arbres, les chercheurs misent sur les belettes et les serpents, à qui ils offrent des refuges de pierres ou de branches. Quant aux rapaces, on leur réserve des poteaux perchoirs, et pour leur faciliter la capture des campagnols, l'herbe entre rangs d'arbres est coupée rase. Aidée de naturalistes ou d'ornithologues, l'équipe scientifique a veillé à ne pas faire un verger utopique insiste Solène Borne : « Ici, on a réfléchi à comment le tracteur pouvait circuler, de façon à passer dans la parcelle pour éviter les tassements de sol et comment on circule pour que le travail soit efficace ».
[...] C'est avec ce même souci de proposer des idées « à la carte », que les agriculteurs pourront s'approprier, que travaille l'équipe d'Époisses près de Dijon. Autre domaine expérimental de l'INRAE. Ici, on cultive 125 hectares en agroécologie exclusivement. La plateforme CA-SYS a été imaginée en partenariat avec les techniciens agricoles, les coopératives, et des agriculteurs. Les parcelles sont d'une grande diversité, de pratiques comme de rotations de cultures. Se passer de la chimie, cela suppose de revoir complètement les pratiques selon Stéphane Cordeau, agronome sur la plateforme : « On ne cherche pas de méthode de substitution à ces produits phytosanitaires. On cherche à reconcevoir complètement les systèmes, à revoir la rotation des cultures, le mélange des variétés ou le recours au désherbage mécanique par exemple » détaille t-il. Le travail du sol, une technique utilisée en agriculture biologique, a l'inconvénient de nécessiter plus de temps pour les agriculteurs et d'utiliser du gasoil. L'autre technique pratiquée consiste à ne pas travailler le sol afin de le préserver. Mais pour ne pas avoir à désherber entre deux récoltes, il faut concurrencer les mauvaises herbes avec des plantes choisies. Sarrasin, moutarde, pois chiche ou féveroles... on teste beaucoup de chose à Époisses. « On tire parti de la capacité des légumineuses à fixer l'azote de l'air pour le restituer ensuite au sol » explique Stéphane Cordeau. Les chercheurs mesurent ensuite dans quelle mesure la quantité d'azote fixée sera suffisante au colza qui sera ensuite planté. Aux cultures variées, s'ajoutent des bordures de champs enherbées ou plantées de fleurs pour attirer les pollinisateurs et autres insectes bénéfiques pour la lutte contre les bio agresseurs. »
« Insecticides, fongicides, herbicides et autres pesticides de synthèse, conçus par l’industrie de l’agrochimie pour détruire toute forme de vie considérée comme nuisible à l’agriculture et commercialisés sous le doux euphémisme de « produits phytosanitaires », posent pourtant de nombreux problèmes systémiques. À l’instar du glyphosate, des néonicotinoïdes ou des SDHI, pour ne parler que des têtes d’affiche, de nombreux pesticides sont accusés, études scientifiques à l’appui, d’être dangereux pour la santé humaine, de ravager la biodiversité, de transformer les sols en désert et de le faire via la manipulation de la science et le lobbying intense de l’agrochimie.
[...] Fort heureusement, il est possible de se passer de ces produits décriés. On pourrait nourrir les 9 milliards d’êtres humains en 2050 avec 100% d’agriculture biologique, évaluait une étude publiée en 2017 dans Nature communications. Des agriculteurs sur le terrain prouvent tous les jours que cela fonctionne : 5.000 fermes supplémentaires se sont converties au bio en 2018, portant leur total à près d’un dixième des exploitations agricoles françaises, selon l’Agence bio. Autant d’agriculteurs qui renoncent aux pesticides de synthèse et les remplacent en partie par… des pesticides bio. Ces biopesticides, également utilisés en agriculture conventionnelle, sont eux aussi en pleine augmentation. « Entre 2017 et 2018, la quantité de substance active totale des produits utilisables en agriculture biologique augmente de 30% », note le ministère de l’Agriculture.
[...] Pour préserver les cultures tout en se passant de pesticides classiques, les agriculteurs peuvent avoir recours à des produits dits de biocontrôle, que l’Inra classe en quatre catégories. Les macro-organismes : utiliser des insectes, nématodes ou acariens pour lutter contre les ravageurs. Par exemple des micro-guêpes, les trichogrammes, lâchées dans un champ de maïs vont tuer les œufs de pyrale et sont aussi efficaces que les insecticides pour se débarrasser de ce dévoreur de maïs. On peut sur le même principe utiliser des micro-organismes : bactéries, virus, champignons… Le biocontrôle peut troisièmement se faire via des médiateurs chimiques, comme des phéromones pour perturber les odeurs qui attirent les ravageurs vers les plantes. Et enfin, les « substances naturelles » d’origine animale, végétale ou minérale, de l’huile de colza au soufre en passant par le poivre, peuvent être utilisées.
[...] Cela relativise quelque peu le discours parfois un peu trop elliptique qui assimile pour le consommateur l’agriculture bio à une alimentation « zéro pesticide ». Dans leur philosophie et leur pratique, ces biopesticides sont toutefois pour leurs promoteurs censés éviter les effets délétères pour l’environnement et la santé de leurs homologues synthétiques. D’abord parce que ces produits sont pensés comme des solutions de dernier recours, si les autres techniques (rotation et variété des cultures, paillage ou désherbage mécanique, etc.) échouent à prévenir les maladies ou l’invasion de ravageurs. Et parce que le biocontrôle vise à réguler les populations nuisibles plutôt qu’à les exterminer. Ensuite, parce que l’origine naturelle des substances utilisées est supposée limiter les risques de nocivité rencontrés avec des produits de synthèse. Des substances produites par des organismes vivants et déjà présentes dans l’environnement risqueraient moins de déréguler une faune et une flore (ou un corps humain) habitués à côtoyer ces produits. Les molécules produites par des organismes vivants sont en outre dégradables bien plus rapidement dans l’environnement que les pesticides de synthèse dont la persistance pendant de longues années est parfois catastrophique pour la faune.
[...] Cela ne veut pas dire pour autant que les biopesticides ne présentent aucun risque, car leurs atouts font aussi leurs limites : « Ces produits existent naturellement mais s’ils sont moins nocifs, il faut parfois en mettre de plus grosses quantités pour avoir un impact sur les agresseurs. Or, c’est la dose qui fait le poison. Si l’on épand un produit même naturel à une concentration qui n’existe pas dans la nature, cela peut bouleverser l’environnement. Naturel ou pas, cela reste un intrant », souligne Stéphane Cordeau, chercheur agronome à l’UMR Agroécologie de l’Inra Dijon. Autre limite : un produit naturel n’est pas forcément endogène au milieu dans lequel il est épandu et peut donc entrer en concurrence avec des espèces locales ou déséquilibrer les échanges du milieu. « Des micro-organismes de biocontrôle vont tomber dans un sol où se trouvent déjà d’autres micro-organismes. Pour s’y faire une place et occuper l’espace, on doit donc en répandre d’autant plus grandes quantités », explique le chercheur. L’exemple le plus controversé est celui du cuivre, deuxième produit utilisable en bio le plus vendu en 2018 (11%) derrière le soufre (66%), d’après le ministère de l’Agriculture.
[...] Les problèmes de toxicité et écotoxicité sont donc loin d’être absents en agriculture biologique. Ces difficultés seraient même inévitables, produits naturels ou non. « L’agriculture n’est de toute façon pas une opération naturelle. Depuis qu’on a arrêté la cueillette, on n’est plus dans une opération naturelle », rappelle Florent Guhl, directeur de l’Agence bio. L’enjeu ne serait donc pas tant de chercher à avoir un impact nul que de comprendre pourquoi le bio peut avoir un impact bien moindre que l’utilisation de produits conventionnels. « Concernant le cuivre, rappelons d’abord qu’il est massivement utilisé en conventionnel. Le bio ne serait responsable que de 10 à 20% de son utilisation. De plus, l’impact de cuivre sera différent suivant la pratique agricole. Sur un sol vivant, des études montrent que le cuivre sera plus absorbé, tandis que sur un sol mort en agriculture conventionnelle, le cuivre sera emporté par les pluies et s’accumulera en aval des rivières à des niveaux de concentration nocifs », estime Florent Guhl.
[...] Pourrait-on donc imaginer aller encore plus loin dans l’agriculture durable et se passer totalement d’intrants, biopesticides compris ? « De l’agroécologie se passant totalement de biopesticides sur le long terme, aujourd’hui on ne sait pas faire. Ou alors pas de façon environnementalement et économiquement performante », estime Stéphane Cordeau. Mais le chercheur travaille précisément avec ses collègues sur une plateforme expérimentale de 120 hectares, baptisée CA-SYS, qui tente de relever le défi. « On veut tester une agriculture sans pesticides ni moyens de biocontrôle. Ou plutôt que le milieu produise lui-même ses auxiliaires de culture », explique-t-il.
[...] Pour se compliquer la tâche encore davantage, les chercheurs ambitionnent de se passer également de travail du sol. Les deux pratiques jouent habituellement les vases communicants : supprimer les produits phytopharmaceutiques implique un plus grand travail du sol et se passer de travail du sol engendre une plus grande consommation de produits. Le constat est valable en bio comme en conventionnel. C’est même un argument régulièrement employé par les défenseurs du glyphosate, qui assurent en avoir besoin pour pratiquer une agriculture de conservation. L’avantage serait, en ne pratiquant pas le labour et en couvrant les sols, d’en préserver la biodiversité et la richesse naturellement fertile.
[...] En permaculture, certains pionniers arrivent à dégager une rentabilité sans travail du sol ni pesticides, à l’instar de la microferme du Bec Hellouin, dans l’Eure. Mais cela fonctionne en maraîchage pour de petites surfaces, note l’agronome, et nécessiterait une vaste main d’œuvre pour passer à l’échelle supérieure. Autre frein économique que note cette fois Florent Guhl : « Des expérimentations pour se passer de pesticides impliquent l’installation de haies, mares et autres éléments favorisant la présence de prédateurs régulant les populations de ravageurs. On mélange également beaucoup les cultures pour s’approcher d’écosystèmes naturels mais cela implique de trouver des débouchés économiques à tous les produits cultivés, ce qui n’est pas évident. »
[...] Impossible aujourd’hui de savoir si ces expérimentations aboutiront à des résultats probants et si l’on peut rêver d’une agriculture du futur qui aurait à la fois oublié le labour et les pesticides. Mais même sans en arriver là, ces modèles ont la vertu de fixer un horizon : on peut faire mieux avec moins. Les biopesticides favorisent plus de biodiversité que les pesticides de synthèse, ce qui permet à l’agriculture biologique de ne pas subir plus de ravageurs que l’agriculture conventionnelle, et même de subir moins d’infestations pathogènes, montrait une étude parue en 2018 dans Nature Sustainability. Car moins de pesticides signifie plus de biodiversité. Biodiversité indispensable à l’agriculture et à la pollinisation de nombreuses plantes. Il n’est pas inutile de le rappeler alors que la biodiversité continue de s’effondrer tandis que l’usage de pesticides ne cesse de progresser. »
« Pourquoi après dix ans de mise en pratique, les programmes de réduction de l’usage des pesticides ont-ils échoué ? Les doses de produits phytosanitaires devaient diminuer de 25% entre 2014 et 2018. Elles ont augmenté. Et l’objectif de réduction de 50% en 2025 paraît utopique. Directeur scientifique à l’Inra, Christian Huyghe avance une réponse : « Les évolutions agricoles des dernières décennies ont promu des systèmes de cultures sur de grandes surfaces utilisant des plantes génétiquement homogènes qui se sont révélés être très attirants pour les maladies fongiques et les ravageurs et impliquent donc l’usage important de pesticides. » Si l’on veut réduire l’usage des pesticides, c’est tout un système agricole qu’il faut donc changer. Dans sa proposition pour le programme prioritaire de recherche « Cultiver et protéger autrement », l’Inra rappelle donc les outils existants permettant dès à présent une réduction de 20 à 30% des pesticides et détaille les programmes de recherche qui feront émerger dans 10 à 15 ans de nouvelles solutions. Trois voies seront explorées.
[...] 1. La prophylaxie - L’agriculture d’aujourd’hui soigne les maladies des plantes au lieu de les prévenir. Les produits phytosanitaires sont appliqués au moment de l’apparition des symptômes. Pour s’en prémunir, on épand même des pesticides en avance à des doses inappropriées voire inutiles si la maladie n’apparaît pas, et à des moments inopportuns. Ce que préconise l’Inra, c’est de promouvoir d’abord ce qui permet de réduire les bioagresseurs. Les régulations par des macro et micro-organismes des ravageurs, les substances naturelles, les auxiliaires de culture, les stimulateurs des défenses des plantes existent déjà. L’un des plus connus est le trichogramme, un insecte qui pond ses œufs dans l’œuf de la pyrale, une chenille ravageuse du maïs. Mais on peut citer aussi à une autre échelle, les renards et les rapaces contre les mulots. L’éventail des réponses naturelles doit être élargi et leurs conditions optimales d’utilisation mieux connues.
[...] 2. L’agroécologie - Le réseau des 3000 fermes Dephy produit depuis 2011 des résultats importants : baisse de 14% des pesticides en grande culture, de 43% en horticulture, de 38% en arboriculture. La prophylaxie n’est qu’un des moyens utilisés. Ces fermes se sont en effet converties à l’agro-écologie qui agit à l’échelle de la plante, de la parcelle et du paysage. « On peut parler d’une biodiversité planifiée » explique Sandrine Petit-Michaut, scientifique à l’Inra. Aux semences d’une variété unique, ces fermiers privilégient des mélanges de variétés qui possèdent des résistances différentes face aux maladies fongiques notamment ce qui les freinent dans leur progression. A l’échelle du champ, une autre solution, efficace sur les adventices, consiste à mélanger les espèces cultivées pour couvrir les sols et empêcher la montée des herbes indésirables. Les plantations en blé/pois, ou colza/légumineuses sont déjà testées. Des essais ont montré une diminution de 80% des herbes indésirables pour une augmentation de 50% des rendements. Les champs doivent par ailleurs diminuer en taille pour éviter que les invasions ne deviennent incontrôlables. Les haies, mais aussi les bandes enherbées sont à la fois des refuges pour les auxiliaires des cultures et des barrières aux infestations. L’Inra a ainsi démontré que les bandes enherbées étaient un lieu de vie essentiel pour les carabes, gros mangeurs de cicadelles, de pucerons et de limaces. Au niveau plus large du paysage, la disposition des cultures limite le déplacement des ravageurs. Les agriculteurs doivent alors se concerter pour composer leurs assolements selon ce que plantent leurs voisins. Ces techniques sont en cours de développement notamment dans les Groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) créés par la loi « agriculture » de 2014.
[...] 3. La chaîne de valeur - Ces changements ne peuvent s’imposer sans une adaptation des filières de commercialisation. Les produits sortant des champs nécessitent des traitements qui ne sont pas aujourd’hui pratiqués sur des récoltes provenant de semences homogènes et traitées aux pesticides. La réglementation vient ainsi d’autoriser la commercialisation des variétés de blé en mélange et de grands acteurs du marché de la meunerie ont décidé de les adapter à leurs farines. Autre exemple, la coopérative gersoise Qualisol permet aujourd’hui la récolte conjointe de blé et de pois chiche plantés sur les mêmes parcelles parce qu’elle a développé des tables densimétriques qui séparent les deux grains. Le consommateur doit également changer ses exigences en acceptant des fruits et légumes dont l’aspect n’est pas parfait. Les AMAP se diffusent partout en France. Et l’on voit émerger au niveau des collectivités locales et territoriales des circuits courts de commercialisation qui pourrait s’imposer dans un proche futur. Ces « projets alimentaires territoriaux » allient agriculteurs, collectivités locales, les acteurs de l’économie solidaire pour créer des réseaux pour commercialiser les productions agricoles locales. »
« Pour favoriser la croissance des légumes, des céréales et des fruits cultivés sur une exploitation, les agriculteurs et les agricultrices peuvent désormais remplacer les pesticides par des algorithmes. Grâce à des capteurs déployés dans les champs et un usage optimisé des données, l'intelligence artificielle augmente le volume des récoltes, et ce sans utiliser de produits potentiellement toxiques.. D’après une étude réalisée par Research and Markets, le marché de l’IA appliquée à l’agriculture pesait en 2017 près de 518,7 millions de dollars. Il devrait connaître dans les prochaines années une croissance spectaculaire, pour atteindre 2,5 milliards de dollars en 2025. Car les solutions développées par les start-ups et les laboratoires de recherche fonctionnent: testées sur le terrain, elles donnent des résultats concrets.
[...] L'IA intervient de plusieurs façons dans un champ. Tout d'abord, elle permet grâce au deep learning une analyse fine et en temps réel de l'état des sols et des cultures. Ce faisant, elle met à la disposition des agriculteurs et des agricultrices, grâce à une simple application sur smartphone, un outil de suivi des récoltes qui prend en compte une série d'informations essentielles –hydrométrie, température, météo, ensoleillement. En croisant ces informations, elle leur indique comment optimiser leurs cultures. Dans quelle parcelle faut-il arroser en priorité ? À quelle heure de la journée ? Avec quelle quantité d'eau ? Où, quand et combien de graines faut-il planter pour obtenir le meilleur rendement ? Elle améliore ainsi les protocoles d'irrigation et de fertilisation. Présente sur tous les fronts, l'IA permet également de mieux piloter le désherbage des champs, grâce à une application développée par la start-up Carbon Bee, ou encore de connaître en permanence le niveau des stocks de grains, grâce aux capteurs mis au point par la start-up Visio Green.
[...] Grâce aux données, les agriculteurs et les agricultrices sont alertées immédiatement dès qu'un problème survient – contamination des sols, inondation, maladies, présence d'insectes nuisibles. Ils peuvent ainsi prendre sans attendre les mesures qui s'imposent et limiter les dégâts d'un sinistre. Enfin, l'IA met également à leur disposition toute une panoplie d'analyses prédictives, notamment météorologiques, qui les aident à anticiper les risques liés à leur activité. Un exemple de cette efficacité ? En utilisant l'IA et la technologie de vision par ordinateur développées par la start-up Prospera, le producteur de tomates Naturalsweet, implanté en Californie, a vu sa production augmenter de 4% l'année dernière. Les algorithmes pourraient bien, dans les prochaines années, faire disparaître les pesticides, ou du moins limiter leur usage : ce ne serait pas une mauvaise nouvelle. »
« Que faire contre le virus de la jaunisse de la betterave ? Le micro-organisme véhiculé par le puceron vert du pêcher Myzus persicae devrait faire diminuer de 40% les rendements de la betterave en France. De quoi menacer une filière industrielle du sucre dépendante de cette matière première. L’impasse provient de l’interdiction en 2016 des néo-nicotinoïdes, cet insecticide persistant enrobant les graines et se propageant au sein des plantes tout au long de leur croissance. Un hiver 2019-2020 très doux a favorisé la prolifération des pucerons et donc le développement de la maladie. Le ministère de la Transition écologique et celui de l’agriculture ont donc initié un projet de loi pour accorder une dérogation aux betteraviers couvrant les trois prochaines campagnes de semis. Examiné en commissions par les députés en septembre, le texte est violemment attaqué du fait des effets délétères scientifiquement prouvés de ces insecticides sur les pollinisateurs.
[...] C’est dans ce contexte bouillant que Inrae et l’Institut technique de la betterave (ITB) ont présenté leur programme de recherche au ministre de l’Agriculture. Il sera abondé de 7 millions d’euros sur trois ans. Ce plan emprunte trois voies qui tournent le dos aux produits chimiques pour aller vers l’agroécologie. Le virus, ses relations avec son vecteur, le puceron, le mode de vie de cet insecte, les conditions qui favorisent sa prolifération constituent les premières étapes du programme. Elle induit la deuxième marche qui consistera à approfondir les dynamiques de population des prédateurs des pucerons, les coccinelles et les syrphes (insectes ailés de la famille des mouches). Si le virus de la jaunisse s’est disséminé au printemps 2020, c’est parce que l’hiver doux a favorisé l’éclosion des pucerons cinq semaines avant celle de ses prédateurs. « Des hyménoptères parasitoïdes nous intéressent particulièrement parce qu’ils pondent leurs œufs à l’automne dans les larves de pucerons pour qu’ils y passent l’hiver et se réveillent au printemps pour se nourrir de leurs hôtes et empêchent ainsi les proliférations », précise Alexandre Quillet, président d’ITB.
[...] La seconde voie consiste à améliorer la résistance des plantes. La recherche portera sur des éliciteurs, des molécules qui génèrent chez la plante des mécanismes de défense, à la manière d’anticorps. Des études vont également être menées sur l’implantation de plantes émettant des odeurs repoussant les pucerons comme l’œillet d’inde les dissuadant ainsi d’entrer dans les champs.
[...] La troisième voie, la plus ambitieuse certainement consiste à agir sur « le paysage agricole ». Aujourd’hui, la betterave sucrière est cultivée sur de grandes parcelles qui donne cet aspect morne aux plaines du nord de la France. L’adjonction de haies et de bandes enherbées et fleuries ont en théorie un double usage : favoriser l’émergence des auxiliaires des cultures et ennemis des pucerons et donner aux abeilles de quoi butiner et les détourner ainsi des plantes repoussant après les betteraves et qui sont encore gorgées de NNI tant ces produits sont persistants dans les sols. C’est le principe des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) qui demandent que 5% de la surface agricole utile soient destinés à favoriser la biodiversité.
[...] Les produits phytosanitaires étant devenus inefficaces du fait de la résistance qu’ont développé les pucerons, les méthodes de l’agroécologie semblent la seule voie possible. « Il faut cesser de penser qu’on résout un problème en le supprimant, table Christian Huygues. On peut être efficace en le contrôlant et en le régulant. » Alexandre Quillet abonde. « Dans trois ans, la façon de cultiver la betterave aura radicalement changé. »
« Serait-il possible de nourrir la population européenne avec une agriculture débarrassée des intrants chimiques, moins émettrice en gaz à effet de serre et préservant la biodiversité ? Une étude publiée en 2019 par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri, think tank rattaché à l’Institut d’études politiques de Paris) entend démontrer qu’une production entièrement agroécologique est possible à l’échelle européenne dans les prochaines années.
[...] Le scénario établi par les chercheurs de l’Iddri vise à satisfaire plusieurs exigences parfois perçues comme contradictoires : améliorer la qualité de l’alimentation des Européens, diminuer l’impact climatique de l’agriculture et protéger l’environnement. Leur modèle agroécologique repose sur un affranchissement total du recours aux fertilisants de synthèse et aux pesticides. Il implique par ailleurs une désintensification de l’élevage, une augmentation de la surface des prairies permanentes et la replantation de haies, arbres, mares et habitats pierreux. Ces paramètres induiraient une baisse des rendements agricoles, de l’ordre de 10% à 50% selon les cultures, et in fine une baisse de la production de 35%, mais si en parallèle les pratiques de consommation évoluaient, ce scénario pourrait permettre de nourrir les 530 millions d'Européens en 2050, assurent les auteurs de l’étude. Pour cela, il faudrait que les Européens mangent plus de végétaux (céréales, légumineuses, fruits et légumes) et moins de produits carnés, comme le préconisent le Programme national nutrition santé pour la France ou l’Organisation mondiale de la santé. Dans ce scénario, une part de la production – les céréales, les produits laitiers et le vin notamment – peut encore être exportée.
[...] Tandis que l’élevage est montré du doigt comme l’un des principaux contributeurs d’émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, les chercheurs de l’Iddri considèrent que les ruminants ont un rôle à jouer, à condition de proscrire les élevages intensifs et les fermes-usines, et de diminuer les volumes de production. « On a besoin de bovins pour nos prairies, argumente Pierre-Marie Aubert, coauteur de l’étude, pour l’entretien des sols, pour conserver la biodiversité, et parce que les vaches mangent ce que les hommes ne peuvent pas manger. » L’élevage d’animaux dits monogastriques (porcs, volailles, poules pondeuses…, qui se nourrissent de céréales), dont l’alimentation rentre directement en compétition avec l’alimentation humaine, serait, lui, réduit de 70 %.
[...] Un tel cahier des charges permettrait-il au secteur agricole d’atteindre la neutralité carbone ? Pour l’Iddri, la solution ne peut pas, en tout cas, consister en une intensification des cultures et des élevages existants pour améliorer les rendements à l’hectare. Ainsi, ils estiment que si l’agriculture européenne a diminué ses émissions de gaz à effet de serre de 20% entre 1990 et 2015, notamment du fait d’une productivité accrue, cette efficience s’est réalisée au détriment de la biodiversité et des paysages agricoles. Dans leur modèle d’agriculture extensive et sans intrants chimiques, les chercheurs calculent qu’il est possible de diminuer de 40% les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture, par rapport à l’année 2010, en supprimant notamment la « déforestation importée » liée aux achats à l’étranger de soja pour alimenter le bétail.
[...] La question de la viabilité économique d’un tel modèle reste en revanche posée. Celle-ci fera l’objet d’une prochaine étude, mais les chercheurs assurent que leur modèle n’entraînerait pas forcément une hausse de prix. « Quand on évoque la production alimentaire, il faut prendre en compte tous les coûts, y compris les externalités, comme les dépenses de santé ou celles liées à la dépollution de l’eau », explique Xavier Poux, coauteur. « L’analyse économique de notre modèle est encore à construire. Elle doit considérer un processus : comment la puissance politique entend-elle accompagner les changements, tant du côté de l’offre que de la demande ? »
« Le biocontrôle n’est pas la solution miracle à la réduction des phytosanitaires, mais devrait y contribuer largement. Cette technique de protection des cultures met à contribution des mécanismes naturels, tels que les insectes prédateurs de parasites, bactéries tueuses de champignons, substances naturelles végétales animales ou minérales comme le souffre. La coccinelle prédatrice de pucerons, ou encore le trichogramme, un micro-insecte prédateur de la pyrale du maïs qui est largement utilisé dans les grandes cultures de maïs biologique mais aussi conventionnel, font partie des solutions de biocontrôle qui ont déjà fait leur preuves en agriculture.
[...] Le développement de la filière a été mis en haut de l’agenda politique français au début de l'année [...] Le ministère de l’Agriculture a promis une feuille de route pour dynamiser la filière, qui regroupera des mesures de soutien au secteur pour les cinq prochaines années. L’accélération sur ce secteur en France n’arrive pas par hasard. Les chiffres de vente des pesticides ont explosé en 2018. Une contre-performance alors que l’Hexagone vise une réduction de l’usage de phytosanitaires de 50% d’ici à 2025. Dans la foulée de la publication de chiffre de vente des phytosanitaires, la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, a d’ailleurs fait le constat d’« un modèle agricole arrivé à bout de souffle ».
[...] Pour l’heure, la filière du biocontrôle française bénéficie déjà d’un meilleur cadre qu’au niveau européen, explique Denis Longevialle, secrétaire général de l’association française des entreprises de biocontrôle (IBMA). « La France s’est penché sur la question du biocontrôle depuis 10 ans, s’est dotée d’une définition dès 2014 et a prévu le lancement d’une stratégie dont on attend les grande lignes. Les années 2020 vont être les années du déploiement », poursuit-il. Ainsi, en 2018, le biocontrôle a représenté 8% du marché des pesticides, soit 170 millions d’euros, selon les chiffres de l’IBMA. « Et nous serons vraisemblablement à 10% en 2020. Notre volonté́ est d’atteindre 30% en 2030 », explique Denis Longevialle.
[...] Autre facilité, en France, les produits de biocontrôle bénéficient de procédures accélérées et de d’évaluation et d’instruction des demandes d’autorisations de mise sur le marché. Ainsi, lorsque le délais d’évaluation de l’ANSES est de 12 mois pour les phytosanitaires, il n’est que de 6 pour les produits de biocontrôle. Mais ce n’est pas le cas en Europe, ou la question du biocontrôle ne bénéficie ni d’une définition commune, ni de procédure de mise sur le marché adaptées. En effet, la loi européenne soumet les produits du biocontrôle aux mêmes exigences que les produits phytosanitaires, prévues par le règlement général de 2009. En 2017, le Parlement européen avait adopté une résolution sur les produits de biocontrôle demandant à la Commission européenne de simplifier les procédure de mise sur le marché de ces produit. Mais depuis, le dossier patine.
[...] Pour faciliter l’homologation, les différents représentants européens de la filière travaillent à une définition commune du biocontrôle. « Il faut garder à l’esprit que le biocontrôle, ce n’est pas quelque chose qui remplace les phytosanitaire. C’est un changement de pratique » prévient Philippe Noyau, président de la Chambre régionale Centre Val de Loire. Outre les freins réglementaires, les produits du biocontrôle font également face à des enjeux d’efficacité, et de coût. « En biocontrôle il n’y a pas une solution miracle pour un problème et le risque de non efficacité est plus élevé » explique Philippe Noyau. « L’utilisation du biocontrôle va contribuer à faire baisser l’usage des phytosanitaires mais il faut du temps, car aujourd’hui il n’y a pas de solution pour tout, et cela reste coûteux ». « L’enjeu c’est de réduire l’usage des pesticides. Pour cela, le biocontrôle est une solution fondamentale », martèle Denis Longevialle. « Pour cela, le levier principal est l’accélération de la recherche et de l’innovation sur le biocontrôle. Aujourd’hui, il manque beaucoup de solutions notamment pour les grandes cultures par exemple, il faut des incitations à la recherche » conclut-il. »
« Dans une étude publiée en septembre 2019 dans la revue scientifique PLoS One, des chercheurs montrent qu’il est possible de venir à bout du mildiou, une des principales pathologies de la vigne, grâce à une vaporisation d’huile essentielle d’origan. Une innovation qui pourrait offrir une alternative aux pesticides de synthèse utilisés en grande quantité en viticulture.
[...] Introduit d’Amérique en Europe à la fin du XIXe siècle, le mildiou est un redoutable champignon qui fait des ravages dans les vignes. « Pour s’en prémunir, les viticulteurs ont recours soit à des fongicides dits de contact comme la bouillie bordelaise, un mélange d’eau, de sulfate de cuivre et de chaux, qui donne une couleur bleue caractéristique à la plante, soit à des fongicides systémiques qui rentrent dans la vigne et perturbent le métabolisme du pathogène », détaille François Lefort, professeur d’agronomie à l'Hepia de Genève, un des auteurs de l’étude. Or ces substances sont loin d’être inoffensives. Le cuivre et le soufre issus de la bouillie bordelaise s’accumulent dans les sols, avec des effets néfastes sur les microbes et les plantes. Certains fongicides systémiques sont également toxiques. En France, les « inhibiteurs de la succinate déshydrogénase », ou SDHi, sont actuellement au cœur d’un bras de fer entre l’organe d’évaluation des produits phytosanitaires et certains scientifiques et militants. « Ces produits sont suspectés d’être dangereux pour les vers de terre, les insectes pollinisateurs, les poissons, les batraciens et peut-être pour les êtres humains », souligne François Lefort.
[...] « Nous avons porté nos recherches sur les huiles essentielles végétales car ce sont des produits naturels aux effets puissants, dont les propriétés antifongiques ont déjà été démontrées contre plusieurs maladies des plantes », explique Markus Rienth, de la Haute Ecole de viticulture et d’œnologie de Changins, coauteur de l’étude. Afin d’évaluer le potentiel de ces substances sur le mildiou, les scientifiques ont infecté des boutures de Chasselas, un cépage particulièrement sensible au pathogène, et les ont exposées à des vapeurs de différentes huiles essentielles, au sein de serres spécialement conçues pour les besoins de l’expérience. « Notre étude montre que le traitement à la vapeur d’huile essentielle d’origan au cours des premières 24 heures post-infection est capable de réduire le développement du mildiou de 95% », indique François Lefort. Des analyses génétiques et une étude bio-informatique ont par ailleurs révélé que l’exposition à l’huile essentielle déclenchait l’expression de divers gènes impliqués dans le système immunitaire de la vigne. « C’est une étude riche et bien menée, qui démontre l’intérêt des huiles essentielles dans la viticulture, estime Jérôme Muchembled, enseignant et chercheur en agronomie à l’école d’ingénieurs ISA à Lille, en France, qui étudie le potentiel antifongique des huiles essentielles. On savait que certaines de ces substances avaient un effet direct sur des champignons; mais il était moins connu qu’elles pouvaient aussi stimuler les défenses naturelles de la plante. »
[...] Alors, verra-t-on bientôt fleurir des diffuseurs d’huile essentielle à travers les vignes ? Pas si vite. « Il nous faut encore éclaircir plusieurs points avant de mettre cette approche en pratique », concède Markus Rienth. Le mode de diffusion de ces substances actives sur le terrain, mais aussi le moment idéal pour leur application doivent encore être déterminés. « Il faudrait aussi éviter que les substances émises ne gagnent les baies, ce qui pourrait avoir un impact sur leur qualité », met en garde le spécialiste de la vigne. « Dans le contexte actuel, où de plus en plus de substances chimiques sont interdites en agriculture, toute nouvelle alternative basée sur des produits naturels est bonne à prendre, même si ces produits peuvent aussi avoir une forme de toxicité », souligne Jérôme Muchembled, qui croit dans le potentiel des huiles essentielles, dont certaines commencent justement à être homologuées pour des usages agricoles. »
« Christophe Bitauld est arboriculteur à Saulnières en Ile-et-Vilaine, passé en bio depuis 12 ans. Après des recherches et des essais, le Breton a installé des poules dans ses vergers afin de les débarrasser d’insectes nuisibles. Le test a été concluant. « Nous avons fait un premier essai en mettant 80 poules en liberté sur 3 hectares, tout en laissant les autres parcelles sans aucun traitement », indique le producteur. Dès la première année, l’arboriculteur constate que cette solution est efficace. Alors que les arbres fruitiers étaient dévorés par un petit insecte, l’anthonome du pommier, l’appétit des poules a permis de réduire sa présence de 80% sur les parcelles foulées par les gallinacées. Une aubaine, car ces insectes détruisent jusqu’à 90% de la production.
[...] Cette solution a été découverte presque par hasard. Dominique Biche, conseiller arboriculture à la chambre d’agriculture des Côtes d’Armor, menait des recherches pour tenter de débarrasser les pommiers du petit prédateur, sans recourir à des produits phytosanitaires. Au cours de ses recherches, le technicien observe que dans un verger de particuliers, la présence de poules fait drastiquement diminuer les populations d’anthonomes. De passage à l’écomusée de Rennes, ce dernier constate par ailleurs que les poules locales, les poules noires de Janzé, en voie de disparition, sont particulièrement vives. « Elles sont plus puissantes au niveau des ailes et sont capables de se percher rapidement dans les arbres pour échapper au renard », précise le spécialiste. Il en déduit donc que cette race serait parfaite pour dévorer les insectes dans les vergers.
[...] Lorsque Christophe Bitauld explique qu’il recherche une solution naturelle pour se débarrasser des insectes qui dévorent ses pommiers, le technicien de la chambre d’agriculture lui fait part de ses constats. L’agriculteur décide alors de mener l’expérience grandeur nature. Il se procure quelques poules auprès de l’écomusée et commence par faire de l’élevage, car il ne reste que peu de spécimens de cette race ancienne. Puis, il se rend rapidement compte de l’efficacité de cette solution et décide de faire croître le cheptel de ces poules qui gambadent de troncs en troncs pour y manger les insectes. Aujourd’hui, il élève 200 poules noires de Janzé qu’il installe à tour de rôle dans ses parcelles. Elles sont tellement efficaces que le producteur n’a besoin de les laisser sur une parcelle qu’une fois tous les trois ans. L’agriculteur précise qu’il ne nourrit pas les poules mais il les rentre le soir pour éviter qu’elles ne se fassent dévorer par les renards.
[...] Le producteur se réjouit également de la qualité des œufs de ces poules élevées en plein air. « Ils sont excellents et les chefs se les arrachent ! », affirme Christophe Bitauld. Les poules vivent aussi avec les 120 moutons présents dans les 30 hectares de parcelles pour les désherber. Ces dernières ont également débarrassé les moutons des tics, ténia et de la douve. « Les moutons et les poules vivent en symbiose sur les vergers », affirme l’agriculteur heureux.
« En 70 ans, l’utilisation de pesticides dans les cultures n’a cessé de croître. Si dans les premiers temps, beaucoup considéraient ces produits comme pratiques car ils éliminaient les insectes sans effort, les récents scandales sanitaires ont révélé que ces produits étaient potentiellement nocifs pour notre santé et pour l’environnement. Malgré ces conséquences désastreuses, en 2017, plus de 4 millions de tonnes de pesticides étaient encore utilisées à travers le monde. En France, de plus en plus de villes les bannissent et de nombreux agriculteurs cherchent des alternatives. C’est là que la lutte biologique entre en jeu. Son principe est simple : utiliser des organismes vivants que l’on appelle des auxiliaires pour éliminer les insectes nocifs (les ravageurs) aux cultures.
[...] Faire appel aux insectes n’est pas une idée nouvelle car avant l’avènement des pesticides, les jardiniers les utilisaient déjà pour éliminer les nuisibles. Parmi les exemples les plus connus, on trouve la coccinelle qui, une fois lâchée, se débarrasse des pucerons qui sévissent sur les rosiers et les arbres fruitiers. Les cécidomyies peuvent également être libérées dans les jardins pour manger les pucerons. Toutefois, l’utilisation des insectes à grande échelle a pris un tournant dans les années 90 quand une invasion de cochenilles du manioc a failli causer une importante famine en Afrique. [...] L’entomologiste Hans Herren a trouvé une solution naturelle pour combattre ce fléau. Il propose de combattre la cochenille en lâchant dans les cultures Epidinocarsis Lopezi, une espèce de micro-guêpe qui joue les pesticides naturels. Après avoir convaincu les autorités, les insectes sont répandus dans les cultures et, en l’espace d’une saison, le nuisible avait complètement disparu. L’insecte aurait ainsi contribué à sauver plus de 20 millions de personnes selon certaines études. Aujourd’hui, de plus en plus de cultivateurs font appel à la lutte biologique.
[...] Si l’idée de passer à une agriculture utilisant exclusivement la lutte biologique peut sonner comme la solution idéale, son utilisation doit toutefois être raisonnée. Elle a entre autres connu de grands échecs comme ce fut le cas à la fin des années 80 avec la coccinelle asiatique. Importée d’Asie, elle était censée combattre une variété de pucerons ravageurs très présents en Europe et aux États-Unis. Cependant, elle s’est multipliée à grande vitesse, devenant dangereuse pour la biodiversité car elle dévore les autres coccinelles. Pour éviter de reproduire une telle erreur, les scientifiques étudient en laboratoire le comportement des auxiliaires face à un ravageur. Ils regardent comment ils se développent, s’ils prolifèrent, ou encore s’ils ne s’attaquent qu’à une seule espèce. Certains insectes pourraient ainsi être utilisés à l’avenir sur des cultures où l’utilisation de pesticides est interdite, comme c’est le cas avec le maïs. [...] La lutte biologique se présente comme une alternative plus saine et responsable à condition qu’elle soit utilisée de façon responsable. »
« Actuellement, la protection des cultures repose largement sur des substances chimiques de synthèse. Les méthodes du biocontrôle permettent une défense beaucoup plus respectueuse de l’environnement et de la santé humaine », avance Thibaut Malausa, coordinateur scientifique du biocontrôle à l’INRA, auquel l’Institut Sophia Agrobiotech est rattaché. Le biocontrôle consiste à opposer des insectes, des bactéries, des virus ou des champignons aux organismes nuisibles, à disperser des molécules odorantes pour les éloigner, à épandre des substances naturelles pour les tuer ou à réaménager le paysage pour favoriser la présence de leurs ennemis naturels.
[...] « La lutte biologique existe depuis la fin du XIXe siècle, mais elle s’est peu développée parce que les pesticides chimiques étaient très abordables. Aujourd’hui, on y revient », souligne Christian Lannou, chef du département Santé des plantes et environnement à l’INRA. Les efforts du centre de recherche se concentrent surtout sur la protection face aux insectes nuisibles. Cela tombe à point, puisque les néonicotinoïdes seront bientôt interdits en France, et que les agriculteurs ont un besoin urgent d’alternatives à ces neurotoxiques. Or, l’Agence de sécurité sanitaire (Anses) releve que les méthodes du biocontrôle apparaissent « les plus aptes à remplacer immédiatement, efficacement et durablement les néonicotinoïdes ». Pour l’instant, le recours au biocontrôle se fait rare dans les cultures françaises. Malgré une croissance rapide (10% à 15% par an), cette approche ne représente que 5% du marché des insecticides, et son emploi se concentre surtout en serre.
[...] Une quarantaine d’espèces d’insectes, bonnes et mauvaises, sont étudiées à Entomopolis, où l’ingénieur Nicolas Borowiec nous tend une petite fiole qui, au premier coup d’œil, semble vide. « Regardez bien : il y a là-dedans des centaines, peut-être des milliers d’insectes », indique-t-il. Malgré leur petite taille, les micro-guêpes de la famille des trichogrammes qui s’y trouvent sont de puissants ennemis des ravageurs. En leur qualité de « parasitoïdes oophages », elles déposent leurs larves à l’intérieur d’œufs pondus par d’autres insectes. Après quelques jours, les œufs parasités virent au noir et l’embryon hôte sert de nourriture aux jeunes trichogrammes. Avant même sa naissance, le ravageur est éliminé. Les premiers services rendus par les trichogrammes en France remontent aux années 1980, quand les insectes ont été relâchés pour lutter contre la pyrale du maïs. C’étaient les chercheurs de l’INRA à Antibes qui, pendant dix ans, avaient mené les essais. Le trichogramme protège aujourd’hui 150.000 hectares de maïs en France. On doit le relâcher en grand nombre au moment de la ponte du ravageur, c’est ce qu’on appelle la lutte biologique par inondation. Toutefois, quand les entomologistes libèrent une espèce en sachant qu’elle va s’implanter durablement sur le territoire, il s’agit de « lutte biologique par acclimatation ». C’est sur cette seconde option que les chercheurs misent afin de lutter contre le carpocapse de la pomme, l’agresseur qui motive 30% à 40% des traitements d’insecticides dans les vergers en France.
[...] En 2015, Nicolas Borowiec et ses collègues se sont rendus en Nouvelle-Zélande pour récupérer 500 micro-guêpes Mastrus ridens. Ce parasitoïde indigène du Kazakhstan, ennemi naturel du carpocapse, avait été implanté avec succès dans l’archipel et plusieurs autres pays. Toutefois, avant de le relâcher en Europe, l’équipe devait s’assurer que l’insecte ne s’attaquerait pas à des espèces non ciblées. Après des années d’études à Entomopolis, les chercheurs sont maintenant prêts à relâcher les premiers Mastrus ridens dès qu’ils obtiendront le financement. « La probabilité de succès est très grande », selon Nicolas Borowiec. Dans la salle voisine, une autre guêpe miniature occupe les chercheurs. Elle s’oppose à la drosophile suzukii, une mouche d’origine japonaise qui gâche de nombreux fruits, dont les cerises, les baies et les abricots. Les producteurs sont impuissants devant cet agresseur arrivé en Europe en 2008, surtout depuis l’interdiction en 2016 de l’insecticide le plus efficace pour la tuer, le diméthoate, pour des raisons de santé publique. Or, la micro-guêpe Ganaspis, un autre parasitoïde oophage, adore déposer ses larves dans les œufs de la drosophile suzukii. Si tout va bien, les premiers lâchers pourraient avoir lieu en 2019. Toutefois, rien n’est garanti : Ganaspis n’a encore jamais été introduite dans un nouvel environnement.
[...] Evidemment, la lutte biologique à l’aide d’insectes exige des agriculteurs qu’ils adaptent leurs pratiques. Ils doivent guetter très attentivement l’arrivée des ravageurs et, dès les premiers signes, disposer des diffuseurs d’insectes biodégradables dans leur culture. A cause de ces complications, les industriels préfèrent offrir des produits de biocontrôle à base de bactéries, de champignons ou de toxines, qu’ils peuvent vendre en bouteille. D’ailleurs, c’est la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt) qui compose actuellement 70% des ventes de bioinsecticides au niveau mondial. Très prisée en agriculture biologique, Bt cible particulièrement les larves de papillons.
[...] Les chercheurs de l’INRA travaillent donc à identifier de nouveaux micro-organismes pour combattre d’autres nuisibles. Dans une salle de l’Institut, le chercheur Michel Ponchet montre ses dernières trouvailles, les champignons Y3 et Pseudozyma. Dans des boîtes de Petri, on voit les deux mycètes qui neutralisent complètement du mildiou, des pourritures grises et des pourritures blanches. Ces maladies fongiques s’attaquent à un très large spectre de plantes (notamment la vigne, la tomate, le colza). « Les champignons que nous avons trouvés devront maintenant être adaptés industriellement par une entreprise, explique Michel Ponchet. Elle devra décider si elle les vend sous forme de spores, si elle en extrait les toxines ou si elle reproduit les toxines synthétiquement. » En effet, le développement commercial des produits n’est pas le lot de l’INRA. Après l’identification des méthodes les plus prometteuses, l’institut donne le relais au secteur privé, qui s’occupe de les intégrer à des produits vendables. « Ici, nous faisons les travaux fondamentaux qui seront appliqués dans dix ans », résume Christian Lannou. La nature cache une multitude de solutions de rechange aux pesticides chimiques de synthèse, mais il faut prendre le temps de les découvrir. »
« La lutte biologique, ou biocontrôle, est en plein développement. [...] Les chercheurs de l'Inra à Sophia Antipolis accumulent les succès. Exemple, l'éradication du cynips du châtaignier, une micro-guêpe originaire de Chine qui dévaste les exploitations en Europe. La solution a été trouvée en Chine aussi. Un parasitoïde très efficace, le Torymus sinensis, a été adapté en France, puis lâché chaque année depuis 2010 en différents endroits. Aujourd'hui, les régions productrices de châtaignes ont retrouvé leur niveau de production d'il y a 10 ans. « Une grande victoire » dit Nicolas Borowiec, ingénieur à l'Inra, lors d'une visite d'Entomopolis, bâtiment ultra-sécurisé où sont élevés en confinement absolu aussi bien des ravageurs comme les punaises, que les « auxiliaires » qui vont les anéantir.
[...] Le plus connu est le trichogramme, une micro-guêpe parasitoïde qui va pondre ses œufs dans les larves des gloutonnes pyrales, empêchant leur développement. « Nous cherchons à diversifier leur utilisation, connue depuis plusieurs décennies pour le maïs », explique Nicolas Ris, ingénieur. Des trichogrammes pourraient bientôt protéger riz, canne à sucre, ou tomate sous serre. Plusieurs installations expérimentales aident à mieux comprendre ces micro-insectes de moins d'un demi-millimètre de long, si utiles à l'homme. Un serpentin sinusoïdal permet d'étudier leurs déplacements. Sous une plaque de plexiglas reliée à des bouteilles d'huiles essentielles, un olfactomètre, on teste les odeurs qui les attirent ou les repoussent. « Le plant de maïs émet une odeur pour signaler qu'il est attaqué par des ravageurs, et le trichogramme sait reconnaître l'odeur de la plante qui appelle au secours », explique un chercheur.
[...] Les deux prochains défis de l'Inra portent sur l'éradication du carpocapse de la pomme, larve qui se repait du fruit le plus consommé en France, et du drosophile suzukii, moucheron originaire d'Asie qui détruit les cerises et les fraises. Dans le premier cas, les chercheurs acclimatent depuis deux ans un parasitoïde, Mastus ridens, issu du Kazakhstan. S'attaquant à la larve, il a déjà donné de bons résultats aux Etats-Unis, au Chili, en Argentine, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Les premiers lâchers en verger devraient intervenir d'ici à 2019. Contre le drosophile suzukii, la micro-guêpe Ganapsis fait figure de « candidat prometteur », mais l'Inra n'attend pas l'autorisation de l'introduire dans l'environnement avant deux ans. Il faut notamment s'assurer d'abord de son innocuité pour la biodiversité. De quoi faire piaffer les arboriculteurs bio qui attendent une solution naturelle alternative contre le drosophile, alors que le principal insecticide chimique, le diméthoate, a été interdit en France en 2016.
« Parfois on a des loupés », admet le chercheur Xavier Faubergue, en citant la lutte contre la mouche de l'olive. Le parasitoïde introduit entre 2007 et 2010 en France n'a pas fonctionné, « probablement parce que les hivers y sont trop froids ». Côté champignons et micro-organismes contre les fusarioses du blé et autres moisissures des plantes, le potentiel de la lutte biologique est encore plus élevé. La course est lancée pour trouver la molécule naturelle qui vaincra le mildiou sur les vignes ou les tomates. « Les champignons sont des usines à molécules, ils présentent beaucoup de potentiel phytosanitaire et pharmacologique », souligne Michel Ponchet dans son laboratoire. « Les industriels sont d'ailleurs beaucoup plus impliqués dans ce secteur que dans celui des insectes », ajoute Thibaud Malausa, coordonnateur scientifique du biocontrôle à l'Inra. »
« Parce que les coccinelles dévorent les suceurs de sève qui ravagent les cultures, à savoir les pucerons, les coléoptères à pois sont devenus l’emblème de la « lutte biologique ». En agroécologie, cette technique utilise l’appétit d’insectes auxiliaires ou d’autres organismes vivants (bactéries, virus, champignons, etc.), endémiques ou exotiques, pour contrôler les espèces qui déciment les champs agricoles. Le tout, sans recourir aux pesticides chimiques. « Les mécanismes écologiques du contrôle biologique sont bien documentés, affirme Kris A. G. Wyckhuys, entomologiste basé au Vietnam, à la tête de Chrysalis Consulting, une microentreprise de conseils en lutte biologique. Mais en raison de l’hyper-spécialisation des universitaires, leurs aspects économiques ont longtemps été négligés. »
[...] Une négligence que ce spécialiste indépendant tente de combler, à travers une étude, parue en août dans Nature Ecology & Evolution, selon laquelle le bénéfice économique associé au contrôle biologique d’insectes invasifs se situe entre 12,3 et 16,5 milliards d’euros par an pour la zone Asie-Pacifique, soit 23 pays. Un montant quatre fois supérieur au gain économique attribué aux technologies issues de la « révolution verte », dont la recette ne serait que de 3,6 milliards d’euros par an en Asie. La « révolution verte » en Asie désigne la politique courant des années 1960 aux années 1990, visant à augmenter les rendements agricoles à l’aide d’un « paquet technologique » : l’emploi d’intrants industriels, la sélection de variétés à haut rendement et l’irrigation massive. « La “révolution verte” a aidé à résoudre des famines et ses bénéfices économiques sont systématiquement mis en avant. Mais elle a aussi causé d’énormes dommages environnementaux et sociaux », relève-t-il
[...] Les résultats de cette étude renversent l’idée selon laquelle l’agriculture industrielle serait l’option la plus rationnelle d’un point de vue économique. « C’est une analyse originale et, sur le fond, très importante, s’enthousiasme Bruno Dorin, agro-économiste au Centre de recherche agronomique pour le développement (Cirad) à New Delhi. Elle montre que la lutte biologique a des avantages productifs indéniables et qu’ils ont été passés sous silence. » L’économiste relève néanmoins des faiblesses sur le plan statistique. « Ils calculent l’apport économique de la lutte biologique en se basant sur les pertes de rendement évitées, qu’ils estiment et multiplient par un prix, développe-t-il. Mais ces estimations et ces prix sont discutables, de même que la non prise en compte d’autres facteurs que la lutte biologique pour expliquer les hausses de production. » À ce stade, les estimations monétaires seraient donc à considérer comme « une première tentative de quantification, très louable ».
[...] Pour aboutir à ces résultats, les auteurs se sont plongés dans les chiffres de la base de données Biocat, qui recense les conclusions d’expériences en lutte biologique menées à travers le monde. [...] La science progressant par tâtonnement, les introductions d’espèces analysées n’ont pas toutes vaincu l’envahisseur. Sur un total de 252 tentatives étudiées, seules 96 ont abouti sur l’établissement de l’agent de lutte biologique. Et parmi ces 38% d’introductions réussies, la population des ravageurs cibles a effectivement été contrôlée dans 40% des cas. « C’est surtout au début du 20e siècle qu’on tâtonnait. Aujourd’hui, il y a peu d’erreur, les risques sont maîtrisés », insiste l’auteur. Grâce à ce travail, l’équipe a répertorié 75 espèces différentes, dont les micro-guêpes (famille des hyménoptères) et les coccinelles (famille des coléoptères), qui ont réussi à neutraliser ou éliminer un total de 43 envahisseurs nuisibles pour les cultures, eux aussi précisément identifiés.
[...] Maîtriser les prédateurs des cultures est un enjeu majeur en agriculture : ces bestioles peuvent mettre en péril la sécurité alimentaire d’un pays, surtout lorsqu’ils s’attaquent à des productions dont dépend un grand nombre de personnes pour se nourrir. « La chenille légionnaire d’automne, originaire d’Amérique latine et détectée il y a un peu plus de quatre ans en Afrique, ravage essentiellement les champs de maïs, illustre Anne-Sophie Poisot, de la FAO. Elle s’est rapidement répandue en Afrique puis en Asie et au Moyen-Orient, ce qui a créé la panique. » Pour maîtriser cette larve, l’emploi de parasitoïdes spécialisés a prouvé son efficacité. « L’adulte va pondre ses œufs dans la chenille, qui vont la tuer lorsqu’ils éclosent », explique-t-elle.
[...] L’agroécologie ne se résume pas à la lutte biologique, elle requiert une vision systémique. « Ce sont des synergies biologiques entre multiples espèces animales et végétales, au-dessus et en-dessous de la surface du sol, décrit Bruno Dorin. Cela conduit à des paysages hirsutes mais foisonnants, et non plus à des monocultures vert fluorescent et désinfectées comme dans les publicités de l’agro-industrie. » « Les résultats sur le terrain sont spectaculaires ! », se réjouit Mme Poisot, faisant référence aux succès des programmes d’éducation et d’accompagnement vers la lutte biologique et l’agroécologie dont elle assume la responsabilité à la FAO. L’approche se déploie sur plus de 90 pays à travers le monde et a permis de sensibiliser 20 millions de producteurs à l’approche agroécologique depuis sa mise en place en 1989. « Ce n’est encore qu’une goutte d’eau, déplore-t-elle. La recherche agricole, privée ou publique, est majoritairement orientée sur les techniques d’agriculture conventionnelle. » A titre d’exemple, la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, le plus gros philanthrope du secteur agricole, n’a consacré que 3% des 685 millions d’euros de budget consacré à l’agriculture pour financer des projets en lien avec l’agroécologie entre 2015 et 2018, d’après un rapport publié en 2020. »
« Une entreprise britannique a créé un papillon OGM qui s'accouple sur les cultures avec les parasites et les rend stériles. Les scientifiques ont lâché les premiers papillons OGM aux États-Unis sur un champ de choux-fleurs. Il s'agit d'un papillon de nuit. La teigne du chou, qui adore les choux-fleurs et les brocolis, fait de gros ravages dans les cultures. Une start-up britannique, Oxitec, a pris quelques papillons dans la nature, leurs larves, et leur a ajouté un gène qui les rend un peu spéciaux. Quand ils se reproduisent, ils ne font que des mâles. Les larves femelles meurent, donc quand on en lâche sur les choux-fleurs, ils vont s'accoupler aux femelles qui commençaient à grignoter la récolte et comme elles ne vont faire que des mâles, en trois générations la population va finir pas s'éteindre.
[...] Les scientifiques qui les ont mis au point expliquent qu'il n'y a pas de risque qu'ils disséminent leur gène puisque la population finit par disparaître. Il y a quand même une incertitude sur ce papillon génétiquement modifié. D'ailleurs en France, Ségolène Royal, quand elle était ministre de l'Écologie, avait saisi le Haut Conseil des biotechnologies sur les insectes OGM. Les experts avaient conclu qu'il ne fallait pas négliger cette technique car c'était intéressant pour contrôler les populations sans chimie, mais ils avaient recommandé d'attendre en peu avant d'en relâcher partout dans nos campagnes. Le temps de réaliser plus d'études d'impact sur l'environnement. »
« Révolution dans les rizières italiennes. Par décret spécial du ministère de la Santé, les cultivateurs de la plaine du Pô ont reçu l’autorisation de pulvériser un produit novateur, le COS-OGA, bien qu’il ne soit pas encore homologué. En permettant l’utilisation de ce stimulateur de défense des plantes (SDP), les autorités ont répondu à une « requête d’usage en urgence » du Syndicat italien des riziculteurs, démunis face à la pyriculariose. Ce fléau fongique est en effet responsable de la perte de 10% des récoltes depuis l’interdiction en Europe, fin 2016, pour des raisons de toxicité, du très efficace tricyclazole. « Notre stimulateur, breveté en 2006, est déjà autorisé en Italie sur les concombres, melons, poivrons et tomates cultivés sous serre en prévention de l’oïdium, une maladie provoquée par un champignon, expliquent le Pr Pierre van Cutsem, de l’Unité de recherche en biologie cellulaire végétale de l’université de Namur, et Raffaele Buonatesta, directeur de Fytofend, start-up issue de l’université pour développer le produit. Et nos essais en champs ont démontré qu’il était aussi efficace sur le riz en réduisant les symptômes de 70% ! » La décision des autorités sanitaires italiennes témoigne ainsi de la percée d’une nouvelle génération de molécules qui protègent les cultures tout en préservant l’environnement.
[...] Contrairement aux pesticides, les SDP ne tuent pas les bioagresseurs (champignons, virus ou insectes), mais agissent en stimulant les mécanismes de défense très perfectionnés développés par les végétaux, dans l’incapacité de fuir leurs ennemis. Pour cela, les chercheurs se sont lancés dans l’apprentissage d’une nouvelle discipline : la stratégie guerrière… des plantes ! Avec pour mission de leur venir en aide. « Lors d’une attaque, les cellules végétales et leurs prédateurs échangent des signaux chimiques très complexes, que les physiologistes et les pathologistes travaillent désormais à décrypter », souligne le Pr Soulaiman Sakr, d’Agrocampus Ouest à Angers. Sur le qui-vive, les plantes sont en effet capables de détecter des molécules présentes à la surface de leurs ennemis ou excrétées par ces derniers dès qu’ils attaquent. Ce qui leur permet de passer aussitôt en mode résistance. Las ! il arrive qu’elles réagissent trop tard, ou pas du tout, parce que l’agresseur, manipulateur, s’est adapté pour passer inaperçu ou neutraliser les réactions de défense. Et c’est là qu’entrent en scène les SDP, appelés aussi éliciteurs (de l’anglais « to elicit », susciter), qui ont pour objectif de prévenir ces défaillances. « Ils miment l’attaque d’un bioagresseur pour déclencher les défenses de la plante, un phénomène appelé résistance induite, explique Marie-Noëlle Brisset, de l’Inra/Université d’Angers, qui teste les SDP entre autres sur les pommiers. En stimulant son système immunitaire, ils lui confèrent une résistance accrue par rapport à une plante non traitée. » Pour la spécialiste, « ce pourrait être un des leviers d’avenir du biocontrôle ».
[...] Pour vérifier l’efficacité de ces stimulateurs, la chercheuse a breveté une puce mesurant l’activation de 28 gènes de défense chez le pommier, la vigne, la pomme de terre, la tomate et, tout récemment, le blé. De quoi cribler rapidement les SDP pour repérer ceux susceptibles d’être les plus efficaces. Et les candidats ne manquent pas ! Les molécules des éliciteurs peuvent en effet être synthétisées ou naturelles, d’origine organique (chitine des carapaces de crabe, laminarine des algues…) ou minérale (sels de phosphonates…). Il peut aussi s’agir de micro-organismes non pathogènes, comme certaines souches de bacilles. Dans le commerce, on trouve désormais quelques centaines de produits, souvent vendus en mélange avec des fertilisants, qui revendiquent plus ou moins explicitement une action de SDP… sans pour autant avoir fait la preuve de leur efficacité. Car, à y regarder de plus près, très peu d’autorisations de mise sur le marché en bonne et due forme ont été délivrées à ce jour en France. Les stimulateurs sont même ultra-minoritaires sur la liste des 444 produits dits phytopharmaceutiques de biocontrôle autorisés en 2018.
[...] « Il y a très peu d’argent investi pour développer des SDP efficaces ! regrette Michel Ponchet, de l’Inra Paca-Sophia-Antipolis. Pourtant, c’est le sujet de biologie végétale sur lequel le plus d’articles ont été publiés depuis 40 ans. Mais l’arrivée des OGM, dans les années 1980, a occulté cette voie de recherche. » Le phytopathologiste et biochimiste coanime le réseau technologique mixte Elicitra, créé en 2010 par le ministère de l’Agriculture pour accélérer le développement des stimulateurs et instaurer un dialogue entre la recherche académique, les grandes filières agricoles qui possèdent leurs propres labos, et l’enseignement. Même si elles ne font pas partie du réseau « pour éviter les conflits d’intérêts », les grandes firmes phytopharmaceutiques y sont écoutées et certains de leurs produits testés. « Faire la preuve de l’efficacité d’une molécule ou d’un mélange de molécules est difficile, long et coûteux » souligne Philippe Grappin, directeur du projet Labcom Estim, qui vise à évaluer le plus rapidement possible l’efficacité des éliciteurs.
[...] Performants en laboratoire puis en serre, où la température et l’humidité sont contrôlées, les stimulants se montrent encore souvent décevants en conditions normales de production. La plante, soumise à de forts stress environnementaux, peut parfois ne pas les percevoir ou développer des défenses insuffisamment intenses et durables. À grande échelle, le produit peut aussi être mal réparti ou ne pas assez pénétrer dans la feuille. Ainsi, la dose reçue par les feuilles d’un pommier au verger est quinze fois inférieure à celle reçue en serre ! «Si le produit et son mode d’emploi ne sont pas optimisés, les agriculteurs ne l’adopteront pas », alerte Marie-Noëlle Brisset. Pour chaque SDP, les scientifiques peaufinent donc des conseils de bonne pratique aux champs en fonction de la maladie et de la plante concernées… « Notre réseau Elicitra a déjà testé 200 produits de plus de 80 origines différentes », précise Michel Ponchet, mais une petite dizaine seulement semblent efficaces ou prometteurs. Parmi eux, le fameux COS-OGA qui a fait ses preuves sur le mildiou et l’oïdium de la vigne ou le mildiou des légumes ; des bacilles satisfaisants en prévention de la pourriture de la tomate ; l’acibenzolar-S-méthyle, qui a quasi permis d’éradiquer la rouille blanche du chrysanthème… Mais la recherche, menée dans toute l’Europe et aux États-Unis, ne s’arrêtera pas là.
[...] Néanmoins, les équipes françaises émettent d’ores et déjà une réserve : les SDP ne remplaceront sans doute jamais complètement les pesticides car, à ce jour, les niveaux de protection qu’induisent les meilleurs d’entre eux restent très souvent inférieurs à 50% ! « Mais ils peuvent au moins en limiter l’usage ! », assure Philippe Grappin. « Puisqu’ils sont préventifs, un vigneron les utilisera, par exemple, quand la probabilité d’une attaque de mildiou sera élevée en raison de la température et de l’humidité ambiantes, poursuit Michel Ponchet. En cas d’agression sévère, une association avec d’autres méthodes de lutte sera nécessaire pour garantir une bonne protection. Il faudra aussi veiller à ne pas sur-stimuler les défenses des plantes, car cela peut se faire au détriment de leur développement. » Il faudra surtout que les agriculteurs apprennent, comme le dit joliment Marie-Noëlle Brisset, « à regarder désormais la plante comme un partenaire actif ».
« Réduire l’utilisation des pesticides constitue une priorité politique depuis que les dangers liés à leur utilisation sont mieux connus et alimentent les inquiétudes. Le Green Deal européen, qui exige « de plus grandes ambitions afin de réduire l’usage et les risques liés aux pesticides », ainsi que la nouvelle stratégie « de la ferme à l’assiette » le montrent. Récemment, de nombreux produits ont été interdits. Des décisions saluées par des militants et les défenseurs de l’environnement, mais qui réduisent le nombre de substances que les agriculteurs ont à leur disposition. Dans un rapport, l’association des agriculteurs et des coopératives agricoles européens, Copa-Cogeca, souligne ce problème. Elle affirme que depuis 2009, les agriculteurs de l’Union sont confrontés à « des obligations croissantes d’utiliser des techniques alternatives non chimiques de lutte contre les parasites, malgré l’insuffisance des informations, des connaissances et des produits à leur disposition ».
[...] L’ambition de réduire les pesticides ne fait plus guère de doutes. Ce qui est moins clair, c’est la manière dont elle sera concrétisée et celle dont la protection des végétaux sera assurée à l’avenir.
Les pesticides biologiques permettent d’instaurer une forme de biocontrôle en ayant recours à des organismes vivants. Ils incluent les pesticides microbiens, dont l’ingrédient actif est constitué de bactéries ou de champignons. Ces organismes sont naturellement pathogènes pour les parasites ou les supplantent. Les technologies de contrôle biologique deviennent un complément toujours plus important à la disposition des agriculteurs. Elles contribuent à assurer la durabilité future du secteur vivrier. Selon l’IBMA, une association qui représente les entreprises de produits de biocontrôle, les substances à base de microbes constituent un marché de 2 milliards d’euros sur un marché de 3,6 milliards d’euros.
[...] Selon Geraldine Kutas, directrice générale de l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), il ne fait aucun doute que les agriculteurs ont besoin de « solutions efficaces et sûres pour lutter contre les parasites et les maladies ». Autre certitude : avoir la nature pour point de départ offre « davantage de possibilités de développer des produits avec des profils toxicologiques à faible risque, de faibles niveaux de résidus et une décomposition encore plus rapide ». Toutefois, bien qu’il existe en Europe diverses mesures d’incitation pour promouvoir la commercialisation et l’utilisation des biopesticides, il n’existe pas de réglementation spécifique concernant les produits à base de micro-organismes ou d’extraits biochimiques, ce qui signifie qu’ils suivent généralement le même cheminement réglementaire que les produits chimiques.
[...] Près de 40% de toutes les nouvelles substances actives mises sur le marché depuis l’entrée en vigueur du règlement 1107 sont des biopesticides, indique Anika Gatt Seretny, responsable de la communication à l’ECPA. Mais « la mauvaise exécution du calendrier 1107 a clairement entravé le développement de ce type de substances ». Au sein de l’Union, le délai moyen pour qu’un biopesticide soit approuvé est de quatre ans, contre deux aux États-Unis. Un rapport d’Agrow Biopesticides publié en 2018 souligne qu’aux États-Unis, où il existe des voies réglementaires spécifiques pour les biopesticides, l’enregistrement est beaucoup plus rapide et moins cher qu’en Europe. En conséquence, les pesticides microbiens sont mis sur le marché avec 1,6 an d’avance en moyenne.
[...] Isabelle Babrzyński, responsable de la communication et des opérations à l’IBMA, relève que ces solutions de biocontrôle « protègent les cultures et l’environnement d’aujourd’hui et surtout de demain, et constituent une arme de premier choix pour lutter durablement contre les ravageurs et les maladies ». « En Europe, les microbes constituent une partie importante des systèmes de biocontrôle dont bénéficient les agriculteurs », poursuit-elle, ajoutant que la Commission européenne « examine actuellement les exigences en matière de données sur les microorganismes avec les États membres afin de les adapter pour les rendre plus proportionnelles au profil biologique des produits microbiens ». Elle indique aussi que « les États membres cherchent un moyen d’harmoniser leur utilisation des microorganismes et envisagent aussi des mesures d’atténuation pour maximiser l’accès au marché de ces produits, tout en garantissant la sécurité des utilisateurs et des consommateurs ».
[...] Andreas Huber, responsable des activités scientifiques de terrain en Europe pour l’entreprise agricole Corteva, nous a déclaré que « la demande de pesticides biologiques avait augmenté considérablement » en Europe. Il signale donc que Corteva cherche à « étendre ses capacités au niveau mondial, mais surtout en Europe ». « Certains de ces pesticides biologiques sont assez puissants ». « Lorsqu’ils sont combinés à d’autres méthodes de contrôle, ils affichent des résultats prometteurs et représentent une valeur inestimable pour les cultivateurs ». Il ajoute que les agriculteurs sont grandement encouragés à utiliser des pesticides biologiques, car ceux-ci aident à réduire les résidus sur les cultures. De plus, beaucoup de ces composés sont compatibles avec l’agriculture biologique.
[...] Concernant le grand nombre de pesticides récemment interdits, Andreas Huver souligne que « souvent, l’agriculteur ne dispose désormais plus de rien ». « Auparavant, il pouvait utiliser des pesticides tels que les organophosphorés, mais maintenant que ceux-ci ont été interdits, il n’existe plus vraiment grand-chose pour prévenir certaines maladies ». Il avance que les biopesticides microbiens joueront un rôle de plus en plus important dans l’agriculture pour aider à relever les défis liés au le changement climatique. « De nombreux exemples montrent qu’avec le réchauffement du climat, de nouveaux ravageurs arrivent en Europe et qu’il faut vraiment les contrôler », déclare Andreas Huber.
Il affirme que les pesticides biologiques, combinés aux pesticides conventionnels et aux nouvelles techniques numériques, peuvent constituer un atout majeur pour les agriculteurs qui font face à ces nouveaux défis. »
« Plus de 200 millions de tonnes de fertilisants sont utilisés chaque année, soit 25% de plus en 10 ans. Désormais, 2% de la consommation mondiale d'énergie est dédiée à la fabrication d'ammoniac, la principale forme d'engrais azoté. Malheureusement, la moitié de cet engrais est gaspillé, dispersé par le vent lors de sa pulvérisation ou bien lessivé par la pluie lorsqu'il pleut. Transformé en nitrates, il vient polluer les nappes d'eau souterraines, les rivières et les océans, aboutissant à l'eutrophisation des cours d'eau et à la création de gigantesques « zones mortes », privées d'oxygène. Il existe pourtant une alternative à ces engrais polluants : les probiotiques. Ces micro-organismes, du genre Rhizobium vivant dans les racines, fabriquent une enzyme appelée nitrogénase, et sont capables de fixer l’azote atmosphérique. Cependant, ces bactéries ne se trouvent que chez les légumineuses (trèfle, luzerne, lentilles, pois...). Les grandes céréales, comme le maïs, le soja ou le blé, sont, quant à elles, incapables de fixer l'azote ; c'est pourquoi on doit les alimenter avec des engrais chimiques.
[...] La startup américaine PivotBio a réussi à développer un fertilisant naturel à base de probiotiques à appliquer sur le maïs. Ce produit, qui se présente sous forme liquide, s'applique dans le sillon lors de la plantation. Les microbes créent alors une liaison symbiotique avec les racines des plantes qui sont ainsi capables de fixer l'azote. « Le problème est qu'à force de pousser dans un sol saturé en azote, de nombreux microbes ont perdu leur capacité à fixer l'azote », regrette Karsten Temme, le PDG de la startup basée, à Berkeley, en Californie. Afin d'identifier les bonnes souches, la startup a d'abord créé une carte détaillée du microbiome des sols pour déterminer le potentiel de chaque bactérie. Les meilleures sont alors sélectionnées et éditées génétiquement pour réveiller leur habilité à transformer l'azote. « Sans recours aux techniques transgéniques », insiste Karsten Temme qui ne veut pas assimiler ses produits à des OGM.
[...] « Comme les microbes adhèrent aux racines, ils ne sont pas lessivés lors des pluies comme l'engrais chimique », explique Karsten Temme. Ce qui permet à la fois de mieux calculer les doses et d'utiliser moins de produit. De plus, une seule application suffit en début de saison : nul besoin d'asperger continuellement de l'engrais sur les champs. Un gain de temps et d'argent non négligeable pour les agriculteurs : l'économie réalisée s'élève à 8 dollars par hectare sur ce poste. Cette solution sera commercialisée dès 2019 aux États-Unis et la startup vise désormais le Brésil, l'Argentine et le Canada. Après le maïs, de nouveaux produits sont en cours de développement pour le blé, le riz et le soja.
[...] L'agriculture probiotique fait l'objet de nombreuses recherches. La startup Joyn Bio travaille, par exemple, sur des céréales génétiquement modifiées, « auto-fertilisantes », en leur inoculant des bactéries fixatrices d'azote. De son côté, le groupe Lallemand Plant Care, leader mondial du secteur, commercialise des produits à base de bactéries qui solubilisent le phosphore, essentiel à la croissance et la qualité des plantes, ou des champignons mycorhiziens qui stimulent la croissance racinaire de la plante qui sera ainsi capable de mieux se nourrir. Pour PivotBio, cela ne fait aucun doute : les engrais chimiques sont tout simplement voués à disparaître. Une sorte de troisième révolution agricole. »
« Faire pousser des cultures plus rapidement mais sans engrais, chiche ? Chiche, ont répondu les fondateurs de Veragrow. Cette startup normande a planché sur un produit capable de doper la croissance des plantes sans les gorger de produits chimiques. Et pour cause : leur produit est directement inspirée du lombricompostage. Ce procédé consiste à faire cohabiter des vers de terre, les fameux lombrics, avec des matières organiques (effluents d’élevage, bio-déchets…). En interagissant avec ces éléments naturels, les vers vont produire du lombricompost, un engrais naturel. La méthode est bien connue des agriculteurs mais aussi de nombreux urbains férus d’écologie et de zéro déchet qui ont adopté un bac pour composter leurs déchets naturels, épluchures ou restes de fruits et légumes.
[...] La particularité de Veragrow est d’avoir conçu un moyen de reproduire ce procédé à grande échelle de manière automatisée et de récolter ce lombricompost en même temps que sa production, sans que l’activité des vers ne soit interrompue. Ainsi, un chariot alimente les vers en matière organique tandis qu’une grille située sous les vers laisse passer le lombricompost créé par ces derniers. Un convoyeur à bande le récupère et l’achemine pour qu’il puisse être entreposé. Veragrow récupère ensuite cette matière pour le conditionner en version solide, qui doit être mélangée à la terre dès la plantation, mais surtout en version liquide qui, diluée avec de l’eau et pulvérisée sur les sols, devient un redoutable bio-stimulant. La startup vante ainsi les multiples bienfaits du lombricompost : il renforce l’enracinement des plants et augmente leur rétention d’eau, ce qui permet aux agriculteurs d’économiser de l’eau. Mais surtout il enrichit les sols en nutriments, participant activement à leur revitalisation, chère à l’agronomie. »
« Ÿnsect vient d'obtenir le feu vert de l'Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments pour lancer son engrais fabriqué à partir de vers de farines, sous la marque ŸnFrass. La jeune pousse peut ainsi revendiquer être le premier acteur au monde à obtenir une homologation de mise sur le marché d'un tel produit. Il a fallu quatre années de recherche à Ÿnsect avec l'aide de plusieurs instituts de recherche pour mettre au point cet engrais. Conçu à base de déjections (ou « frass ») de Tenebrio Molitor, l'espèce de vers élevés et nourris avec des coproduits céréaliers dans la « Fermilière » de Dole, ŸnFrass est utilisable en agriculture biologique.
[...] Ÿnsect souligne qu'il valorise l'ensemble des composantes des insectes et ne produit aucun déchet. La société vise le marché de l'agriculture, notamment les maraîchers pour la culture des salades et des pommes de terre, les viticulteurs, mais aussi les amateurs de jardinerie. Ainsi que des horticulteurs pour les roses. Son engrais est à 85% composé de matière organique et contient de l'azote, du phosphore et du potassium. C'est un produit sec inodore en granulés, qui se veut « une alternative durable aux engrais minéraux conventionnels ».
[...] Créée en 2011, l'entreprise a déposé 29 brevets. Elle élève des coléoptères très riches en protéines, des Ténébrio Molitor dans des fermilières, qui sont des fermes verticales. « Nos engrais stimulent la croissance des animaux, les poissons d'élevage et des plantes, qui grandissent plus vite qu'avec une alimentation traditionnelle », affirme Ÿnsect. [...] L'entreprise emploie 130 collaborateurs et fait fonctionner une ferme verticale pilote en France depuis 2016. Ÿnsect construit une seconde unité Ÿnfarm à Poulainville près d'Amiens, avec un objectif de production de plus de 100.000 tonnes par an, ce qui en fera la plus grande ferme verticale d'insectes au monde.
[...] L'élevage d'insectes ou entomoculture, en plein boom, regorge de jeunes pousses, attirées par des prévisions très optimistes sur la demande mondiale. Parmi celles-ci InnovaFeed, une autre start-up française qui produit des mouches soldats noires et qui a signé en juin dernier un accord avec le géant américain Cargill pour l'alimentation des poissons d'élevage. Agronutris, du groupe EAP, créée en 2011, mène une levée de fonds pour financer un nouveau site industriel de production de protéines à base de mouches soldats dans les Ardennes. Fungfeed produit, elle, des larves de ténébrions pour l'alimentation animale, avec une production implantée au sein d'une champignonnière. Et Fungfeed vient de lancer chez les vétérinaires une première gamme de croquettes pour chiens et chat faites à 60% de protéines d'insectes. »
« L'urine est en passe d'acquérir un nouveau statut. Passant de celui de déchet à celui de ressource pour se retrouver au coeur de la transition écologique. L'urine que chacun d'entre nous produit à raison d'un litre et demi par jour, recèle en effet de l'azote, du phosphore et du potassium, trois nutriments indispensables à l'agriculture. On l'a oublié mais au XIXe siècle, ce sont les effluents des Parisiens qui, grâce à un système de collecte, fertilisaient les champs de la couronne parisienne. Cette économie circulaire a disparu au siècle suivant avec la généralisation du tout à l'égout et l'avènement de la chimie et des engrais de synthèse. Si le mouvement a été comparable dans la plupart des grandes villes du monde, les choses changent. Après les pays du Nord de l'Europe dans les années 1990, la France s'empare désormais du sujet. « L'utilisation de l'urine permet de réduire la consommation d'énergie pour la production d'engrais et la dépollution des eaux. C'est une approche circulaire très cohérente avec les efforts que l'on doit faire pour répondre aux enjeux du changement climatique », résume Bruno Tassin chercheur au Leesu.
[...] Se débarrasser des urines via nos chasses d'eau inflige une triple peine à l'environnement. D'abord en gaspillant de l'eau potable. Ensuite en se débarrassant de nutriments utiles à nos sols et en produisant des engrais industriels. L'azote est produit par synthèse chimique consommatrice d'énergie. Le potassium et le phosphore proviennent de l'extraction minière. « L'Europe est très dépendante du phosphore qu'elle importe presque entièrement et l'a classé comme une ressource critique », insiste Fabien Esculier, auteur d'une thèse très remarquée sur le système alimentation-excrétion et animateur du programme Ocapi. Le plus dommageable ce sont enfin les rejets dans les cours d'eau de l'azote non traité par les stations d'épuration.
[...] L'Agence de l'eau Seine Normandie finance désormais toutes les expérimentations de séparation de l'urine à la source à hauteur de 80%. « L'agglomération parisienne rassemble une population très importante en augmentation, et 'repose' sur le plus petit des principaux fleuves français dont le débit va diminuer avec le changement climatique. Le défi est de parvenir à limiter les rejets d'eaux usées pour maintenir la qualité de la Seine. Comme il est difficile de freiner l'augmentation de la population, la séparation à la source de l'urine est un moyen de limiter ces rejets », explique Sarah Feuillette. A Paris, les 600 logements du futur quartier Saint-Vincent-de-Paul devraient ainsi bénéficier d'un système de récupération de l'urine à la source.
[...] La Suisse a officiellement autorisé l'an dernier la mise sur le marché de l'Aurin, un engrais à base d'urine concentrée produit par la société Vuna, un spin-off de Eawag. Cet institut de recherche sur l'eau a installé dès 2010 des toilettes à séparation de l'urine que Vuna a pour objectif de valoriser. Elle a mis au point un procédé pour lui ôter toute odeur, éliminer les résidus médicamenteux et la concentrer grâce à un processus de distillation. « Aurin a été autorisé en 2015 pour les plantes ornementales. Depuis trois ans, nous avons perfectionné le procédé et amélioré la qualité en prouvant qu'il n'existait plus aucune trace de médicament. Nous avons obtenu l'autorisation définitive en mars 2018 », précise le président de Vuna.
[...] Encore faut-il convaincre les agriculteurs d'utiliser l'urine comme engrais. En 2017, une étude baptisée Agrocapi menée dans le cadre du projet Ocapi a été très positive avec une « efficacité des urines brutes ou traitées proche de celle d'un engrais minéral » et « une assimilation de l'azote supérieure à un engrais organique classique comme le lisier bovin. » L'Inra poursuit depuis les essais en plein champs à partir d'une collecte réalisée via les urinoirs secs de l'école des Ponts Paris Tech. Il faudra ensuite convaincre le consommateur.
[...] Sous réserve d'un changement profond, Fabien Esculier estime ainsi possible que l'agglomération parisienne puisse se passer d'azote chimique à l'horizon 2050 : « Dans ce scénario prospectif, c'est l'ensemble du système alimentaire et de gestion des excréments qui aurait évolué. Les deux tiers des bâtiments seraient équipés de séparation à la source de l'urine et les habitants auraient adopté une alimentation faisant moins appel aux animaux et produisant moins de déchets azotés. Enfin, les surfaces nécessaires pour alimenter la population seraient divisées par deux, principalement du fait d'une alimentation plus végétale. »
[...] Il reste pourtant encore bien des obstacles à surmonter pour généraliser la réutilisation de l'urine. Les résidus médicamenteux inquiètent notamment en Allemagne, un pays pionnier de la réutilisation de l'urine humaine et qui a mis le pied sur le frein. [...] Le juge de paix sera peut-être celui du modèle économique. Faute d'en avoir trouvé un, la Suède pionnière de cette approche dans les années 1990 a stoppé ses efforts. Jusqu'à présent, les grands opérateurs de l'eau ne s'y sont guère intéressés. Si Suez a mis au point un procédé, Phosphogreen, pour récupérer le phosphore des boues de stations d'épuration, le groupe n'a pas de projet autour de l'urine. Quant à Veolia, qui avait mené un projet sur le sujet à Berlin, le groupe n'a pas poursuivi. « Si les grands opérateurs ne voient pas encore le modèle économique, plusieurs grands promoteurs immobiliers sont sensibles à cette idée et l'on voit plusieurs projets émerger. Des approches au cas par cas pourraient émerger, ce qui nécessite de réfléchir dès le début à des filières », prédit Bruno Tassin. »
« Les antibiotiques, c’est un fait, servent à traiter les infections bactériennes. Pourtant, le traitement strictement médical de certains animaux d’élevage a été, petit à petit, détourné à des fins purement économiques. Dès les années 1950, vétérinaires et zootechniciens constataient empiriquement que l’ajout préventif de petites doses d’antibiotiques dans l’alimentation facilitait la croissance des animaux. Comme si cela les empêchait a priori d’attraper des maladies infectieuses. Aujourd’hui, en France, ce « traitement préventif » aux antibiotiques concerne essentiellement les élevages intensifs, où les animaux sont concentrés en des espaces relativement réduits : les poulets de chair, les poules pondeuses, les porcs et les lapins. Mais les autres animaux sont également concernés.
[...] Cette pratique est aujourd’hui une des principales causes de l’antibiorésistance, qui touche également les humains. L’apparition de l’antibiorésistance est un phénomène naturel de défense des bactéries. Même à une faible dose et à courte durée, la présence d’antibiotiques dans l’environnement est effectivement suffisante pour stimuler la résistance des bactéries. « En 2017, nous avons montré qu’une résistance de la bactérie Salmonelle s’était développée dans un élevage au début des années 1960 au Royaume-Uni, bien avant sa prescription chez l’homme », indique François-Xavier Weill, membre de l’Institut Pasteur de Paris. En raison de l’interaction étroite entre les humains, les animaux et l’environnement, les microbiologistes insistent ainsi sur l’importance de l’approche « One Health » (« Une seule santé »), mise en œuvre par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et son équivalent animal, l’OIE, pour combattre la résistance aux antibiotiques.
[...] Avec le slogan du ministère de la Santé de 2001, « Les antibiotiques, c’est pas automatique », on assiste à une prise de conscience progressive de la part des autorités sanitaires en France et en Europe. « Mais, face aux grands groupes pharmaceutiques comme Bayer, il a été très difficile de combattre cette fausse bonne idée de distribuer préventivement et massivement des antibiotiques aux animaux d’élevage au niveau européen », se souvient Patrice Courvalin, professeur émérite de bactériologie à l’Institut Pasteur de Paris. Mais les résultats sont là : en France, l’utilisation des antibiotiques en santé animale, que ce soit pour les animaux de rente ou ceux de compagnie, a chuté de 37% en cinq ans, dans le cadre du plan national Ecoantibio 1 lancé en 2012. Un plan Ecoantibio 2 a été lancé pour la période 2017-2021. Dans ce cadre, plus de 20.000 prélèvements sont réalisés chaque année pour vérifier la présence de résidus de médicaments vétérinaires, dont les antibiotiques, chez les animaux et dans les denrées d’origine animale.
[...] Quelles alternatives peuvent proposer les vétérinaires à cette pratique ? Le gouvernement français, dans son dernier programme de lutte contre l’antibiorésistance, incite les éleveurs à « développer les mesures de prévention des maladies infectieuses et faciliter le recours aux traitements alternatifs ». Ces derniers peuvent être la phytothérapie et l’aromathérapie, dont les huiles essentielles. Des vétérinaires de Loire-Atlantique expérimentent ainsi l’usage d’huiles essentielles (estragon, eucalyptus, cannelle, cardamome) sur des vaches laitières, fréquemment sujettes à une inflammation de la mamelle, appelée mammite. Dans l’attente des résultats, les promoteurs de l’expérience mettent déjà en avant l’économie réalisée : 30 centimes d’euros pour l’aromathérapie contre 20 à 25 € pour un traitement antibiotique… De même, à l’Inra de Tours, les chercheurs testent actuellement le traitement de poussins stressés au moyen d’huiles essentielles (verveine, marjolaine) proposées aux animaux dans l’eau de boisson. Une première expérience qui s’avère prometteuse. »
« Les antibiotiques sont utilisés depuis des décennies pour lutter contre les maladies des plantes sur des cultures comme les pommes et les poires. Bien que ces médicaments se soient avérés efficaces contre certaines maladies bactériennes, on ne sait pas grand-chose sur l’étendue de leur utilisation dans le monde. Selon une enquête de l’OMS et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, il s’avère en effet que sur 158 pays, seuls 3% d’entre eux ont procédé à une évaluation régulière des types et des quantités d’antibiotiques utilisés dans les cultures. Si le manque de données sur l’utilisation de ce type de composés dans l’agriculture peut donner l’impression que les volumes employés sont insignifiants, dans le cadre de travaux parus dans la revue CABI Agriculture and Bioscience, des chercheurs ont analysé plus de 436.000 dossiers des phytocliniques Plantwise dans 32 pays, et constaté que leur utilisation était recommandée pour plus de 100 types de cultures, souvent en grandes quantités.
[...] Bien que ces antibiotiques soient principalement utilisés contre les maladies bactériennes frappant les cultures, l’équipe a également mis en évidence un nombre alarmant de cas où ceux-ci étaient préconisés pour traiter des problèmes pour lesquels leur efficacité était loin d’être avérée. « Une proportion considérable de conseillers en cultures recommandent l’utilisation d’antibiotiques contre les insectes nuisibles, sur lesquels ils n’ont aucun impact, ou en traitement préventif », estime Philip Taylor, auteur principal de l’étude. Les chercheurs ont découvert que 11 antibiotiques différents étaient recommandés pour les cultures des Amériques, de la Méditerranée orientale, de l’Asie du Sud-Est et des pays riverains du Pacifique. Bien que les quantités utilisées soient faibles par rapport à leur utilisation médicale et vétérinaire, la résistance bactérienne, qui constitue l’un des plus grands défis sanitaires du 21e siècle pour l’OMS, reste une préoccupation majeure.
[...] Des études antérieures ont montré que lorsque des antibiotiques sont mélangés à d’autres produits agrochimiques, les bactéries étaient susceptibles de développer une résistance à ces derniers jusqu’à 100.000 fois plus rapidement. Tandis que la consommation d’aliments crus pouvait également favoriser le développement de bactéries résistantes dans l’intestin humain. Ce que réfutent catégoriquement les partisans de l’utilisation d’antibiotiques pour les cultures, qui affirment qu’il n’existe aucune preuve que la résistance se propage des bactéries pathogènes des plantes aux agents pathogènes humains ou animaux. « Des recherches plus approfondies sur l’ampleur de l’utilisation des antibiotiques dans la protection des cultures sont justifiées car le potentiel d’interactions avec d’autres produits phytosanitaires susceptibles de favoriser la résistance croisée ou la co-sélection pour la résistance aux antibiotiques est considérable », estime Rob Reeder, co-auteur de l’étude. »
Émettrice conséquente de gaz à effets de serre, gourmande en terres agricoles confisquées pour l'alimentation des cheptels et objet d'un souci croissant pour les conditions de vie des animaux, la pratique de l'élevage est aujourd'hui sur la sellette. Si la pertinence du maintien d'un élevage traditionnel n'est pas mis en cause, ni souhaitable y compris dans une perspective écologiste, le développement continu d'une production de viande à échelle industrielle apparaît désormais incompatible avec les contraintes écologiques et l'évolution démographique. Des alternatives végétales à la viande, qui fleurissent déjà dans les rayons des supermarchés, à la viande cellulaire cultivée en laboratoire, en passant par la production de protéines alternatives à base d'insectes, de micro-algues ou même de bactéries, une innovation radicale est ici aussi à l'oeuvre et nourrie par d'importants investissements. En attendant de voir se développer ces alternatives futuristes, dystopiques diront certains, les technologies offrent dès maintenant nombre de solutions pour améliorer le bien-être des animaux d'élevage comme les conditions de travail des éleveurs.
« Fort médiatisée depuis plusieurs mois, dans un contexte environnemental pour le moins perturbé, la « fausse viande » a le vent en poupe. Il faut dire que les chiffres sont alarmants : la Terre devrait atteindre 9,7 milliards d’humains d’ici 2050 selon l’ONU. Autrement dit, 2 milliards de bouches supplémentaires à nourrir, avec des taux de pollution qui ne cessent de monter. L’une des principales causes : les émissions de CO2, dues aux transports, mais également à l’élevage, principalement bovin. Au milieu de cette effervescence, de nouveaux produits industriels apparaissent pour s’accaparer un secteur évalué à 1.700 milliards d’euros. Les spécialistes du cabinet Kearney prévoient une baisse de consommation de la viande animale. Elle devrait diminuer de 33% d’ici 2040, au profit de la fausse viande. Ainsi la consommation de viande végétale augmenterait de 9% entre 2025 et 2050, et la viande dite « cellulaire », de 44%.
[...] D’après les prévisions établies par ce cabinet de conseil en stratégie, les alternatives proposées à la viande d’origine animale ont « le potentiel de surmonter la plupart des défis agricoles éthiques et écologiques, car aucun dommage animal et beaucoup moins de bétail, de terres et d’eau sont nécessaires ». Toutefois « la consommation d’énergie sous forme de chauffage et de refroidissement est actuellement très élevée (bien qu’elle devrait diminuer considérablement au cours de la prochaine décennie) ». Il convient de rappeler que cette étude s’appuie sur des expertises de l’industrie : « Selon les experts de l’industrie, des économies d’énergie de plus de de 80% peuvent être réalisées lors de la production à grande échelle avec des bioréacteurs optimisés ». Aussi le cabinet prévoit une augmentation des ventes de viande végétale à court terme, tandis que la viande cellulaire, encore appelée artificielle, ou cultivée, devrait ensuite prendre le pas dans les prochaines décennies. Cette dernière utilisant des cellules souches, autrement dit fonctionnant sur le principe in vitro, doit encore faire ses preuves : sur le plan financier d’abord, car cette technique est encore bien trop coûteuse pour rivaliser avec la viande animale, et sur le plan éthique.
[...] C’est surtout l’élevage bovin qui est pointé du doigt. Ceci pour trois raisons : la déforestation pour laisser place aux productions fourragères destinées à l’alimentation des animaux, le méthane libéré par les ruminants par éructation (fermentation dans la panse), la consommation d’eau nécessaire. Alors que les pouvoirs politiques peinent à établir un plan efficace d’ordre écologique, social, et financier, ils imposent trop souvent des normes à la limite de l’anecdotique ou inadaptées. Les industriels, eux, ont su prendre une longueur d’avance. [...] L’industrie de la viande semble vouloir faire émerger deux grandes tendances : la production de viande végétale, d’une part, et la production de viande cellulaire, d’autre part.
[...] Concernant la viande végétale, il nous a paru intéressant de nous attarder sur les projets de Beyond Meat. D'après le site de l'entreprise, voici le processus engagé lors de la production : les composants proviennent directement de plantes, plus précisément de pois, fèves, riz brun, haricots mungo, et tournesol. La fibre obtenue à partir de ces protéines végétales nécessite la mise en œuvre d’un processus qui associe des étapes de réchauffement, de refroidissement, et de pression. Cette matière première est ensuite mélangée à d’autres composants : des minéraux (calcium, fer, sel, chlorure de potassium), des graisses (du beurre de cacao, de l’huile de noix de coco, de tournesol, et de colza), des colorants (de l’extrait de jus de betterave, de jus de pomme, et des arômes naturels, dont l’origine n’est pas précisée). Le tout mixé avec une quantité suffisante de glucides, type fécule de pomme de terre, et des additifs alimentaires type méthylcellulose (sous forme de fibre végétale).
[...] De prime abord, les avantages d’un tel produit sont nombreux et « le sujet est porteur et voué au succès, à condition de tenir compte de plusieurs éléments », explique Dominique Fournier, docteur vétérinaire spécialisé en maladies infectieuses et vaccinologie. La distribution de la viande végétale ne peut être réellement abordée sans tenir compte de deux grands principes : un système de production adéquat, et un prix adapté. « Il convient tout d’abord de trouver rapidement un process de production industriel économiquement acceptable pour un produit alimentaire, même cher », poursuit-il. [...] « Le coût actuel de production élevé, et les difficultés techniques pour établir une production à grande échelle, ne peuvent entrer en concurrence avec les prix appliqués à la viande animale, notamment en grande surface. En particulier ceux de la volaille. Si je me mets à la place de celui qui veut lancer ce type de produit, il faut selon moi en faire un produit alimentaire haut de gamme. À un prix donc élevé, quitte à le baisser par la suite. En faire une protéine bon marché ne saurait la rendre compétitive pendant encore assez longtemps face au poulet et au porc. »
[...] « Si ce type de produit peut en effet apporter un complément nutritif fort intéressant pour la santé au sein d’un régime végétarien, végétalien, ou vegan, il n’est pas encore possible de compter sur une distribution suffisamment large pour venir remplacer la viande animale. Et si les entreprises telle que Beyond Meat présentent leur produit comme l’avenir de la protéine, il convient de préciser que cet avenir est encore très lointain. D’autre part, il n’est pas encore démontré que le process de fabrication de viande végétale soit plus écologique et plus respectueux de l’environnement que l’élevage bovin. Par exemple : il y a un besoin important d’énergie pour faire fonctionner les usines de production ; quels sont les rejets et déchets de ces usines ; pour la production de la matière première végétale, besoin aussi de beaucoup d’énergie (et quelle forme d’énergie ? électricité ? pétrole ? …), de traitements pour des rendements élevés, et d’eau. Le bilan carbone de cette production de viande végétale sera-t-il meilleur que celui de l’élevage … ? » Il n’y a pas encore assez de recul pour répondre à ces questions.
[...] Une étude a été menée sur les impacts environnementaux de la production des produits Beyond Meat en 2017. Celle-ci a été commanditée par la société elle-même, ayant fait appel au Centre de soutien au développement durable, rattaché à l’Université du Michigan. D’après cette étude, il semblerait que Beyond Meat émette 90% de moins de gaz à effet de serre ; utilise 46% de moins en énergie renouvelable, 99% de moins en eau usée, et 93% de terre en moins que l’élevage bovin. Il est toutefois très difficile de reconnaître la validité d’une telle étude. [...] Si les auteurs déclarent avoir réalisé une analyse du cycle de vie (ACV), l’analyse des données n’a pu être appliquée à tous les éléments, excluant une étape en particulier, et pas des moindre : la culture de la fibre bambou, et l’isolation de la protéine. D’autre part, les biens d’équipement et l’infrastructure n’ont pas été évalués, même chose pour l’élimination des déchets. En outre, les données analysées ont été majoritairement, et directement, fournies par Beyond Meat. Aucun échantillon, prélèvement, tests n’ont été effectués.
[...] D’après le PDG de Beyond Meat, Ethan Brown, la viande végétale va devenir plus abordable, et même moins chère que les protéines animales. Diplômé d’un MBA en politique publique spécialisé dans l’environnement, et fils d’agriculteur, il cible les dégâts causés par les élevages industriels : l’émission du gaz à effet de serre, le réchauffement climatique, l’exploitation des ressources naturelles. Les éléments constitutifs de la viande – acides aminés, lipides, oligo-éléments, vitamines et eau – sont selon lui abondants dans le domaine végétal, ajoutant que : « Pour le consommateur, cela signifie que nous pouvons fournir une viande au goût délicieux provenant de plantes – une viande qui présente des avantages pour la santé et un avantage environnemental avec (notamment) une réduction de 90% des émissions de gaz à effet de serre ».
[...] Quelles alternatives ? Pour ce qui est de la viande cellulaire, le constat est le même du point de vue du coût. N’étant pour l’instant qu’à l’état de prototype, elle ne peut pour l’instant entrer en compétition avec la viande animale. « Du point de vue la production, il est important d’envisager les pertes, et veiller à ne pas dépasser un certain volume de quantité à traiter : il faut probablement des chaînes de fermenteurs de volume plutôt moyen pour limiter les pertes quand il y aura une contamination bactérienne, et il y en aura forcément de temps en temps. En médical, il est très rare de dépasser un volume de 600 litres. Il faut ensuite trouver une source de milieu de culture à un prix abordable, le dispositif de production de viande cellulaire nécessitant de cultiver des lignées cellulaires en conditions stériles » explique le docteur vétérinaire Dominique Fournier. [...] La viande cellulaire ne peut donc pour l’instant se soustraire à un coût de production élevé. Par conséquent, il risque d’être extrêmement difficile de garantir un niveau de production pouvant subvenir aux besoins de la population mondiale. Il est fort probable également qu’elle soit créée à partir de produits OGM, et de ce fait, risque de rencontrer d’autres obstacles, ceux-ci étant souvent décriés par l’opinion publique.
[...] Certains préconisent les élevages d’insectes, mais « ce type de production demande de mettre en place des élevages énormes pour que ceux-ci soient suffisants en apports protéiniques. D’autre part, un autre aspect est à prévoir, les maladies transmissibles par les insectes, dont il faudra assurer la protection » rappelle Dominique Fournier. Pour le moment, des groupes de scientifiques s’attèlent à la mise en place de cette protection pour éviter que certaines maladies humaines ne se transmettent, mais le processus est encore loin d’être applicable à échelle mondiale.
[...] On ne peut ignorer la pollution émise par la production de viande animale. Compte tenu des évolutions démographiques, il apparaît comme étant crucial de réduire la consommation de viande bovine, principalement dans les pays riches. Le marché financier est à revoir si l’on souhaite y parvenir. Des élevages aussi intensifs que les feedlots, immenses parcs américains d’engraissement de vaches ne semblent pas plus tolérables si l’on pense à l’avenir. En outre, beaucoup de personnes se posent des questions sur le bien-être animal dans ces exploitations de 60.000 têtes. L’élevage industriel, principalement bovin, doit être revu à la baisse, et très certainement réduit sur un plan plus local. Toutefois, ce type de mesure ne peut être pris qu’à travers des décisions gouvernementales. Car l’industrie ne cesse de répéter les schémas de distribution à grande échelle. [...] D’un point de vue environnemental, la distribution à échelle mondiale implique forcément des taux de pollution plus élevés. D’autre part, aucune étude à ce jour n’est capable de calculer les impacts et l’énergie gaspillée lors de la production de la fibre végétale.
[...] Pour l’heure, l’évolution vers un élevage local va à l’encontre de la croissance démographique et de l’urbanisation, et il serait certainement naïf de croire en la disparition de l’élevage industriel, qui au demeurant n’a pas que des défauts. Si l’excès de consommation est répréhensible, ce type d’élevage permet de nourrir le plus grand nombre. L’Histoire a démontré que la famine ne valait guère mieux. En outre, tant que nous n’aurons pas trouvé un moyen de produire à échelle mondiale de la vitamine B12 et du fer, à un prix aussi abordable et dans des conditions d’assimilation semblables à celle des protéines animales, est-il souhaitable de voir ce type d’industrie disparaître entièrement ? Reste que les conditions de traitement des animaux doivent toujours être améliorées. Or, soyons lucides, il ne suffit pas de proclamer l’arrêt de la consommation animale pour régler le problème du bien-être animal. Compte tenu de tous ces aspects, il semblerait en effet que la viande dite cellulaire soit la seule alternative. Encore une fois, sur le long terme, en tenant compte de l’éventuel impact environnemental, et de son coût. Un constat pessimiste dans l’ensemble, pouvant conduire certains à penser qu’à moins de limiter la croissance démographique mondiale, il sera difficile de voir se dessiner une solution efficace, du moins radicale. Limitation qui ne saurait être acceptable d’un point de vue éthique. »
« L'année dernière, Beyond Meat faisait une entrée remarquée en bourse avec son steak végétal. En quelques mois, la société a été valorisée jusqu’à 10 milliards de dollars, soit autant que Carrefour ou le quart de la valeur d’un géant de l’agro-alimentaire comme Danone. Cela témoigne de l’appétit des investisseurs pour les substituts à la viande. Au delà des startups plant<-based (qui travaillent sur des alternatives végétales aux protéines animales), cet événement a aussi mis en marche un mouvement sans précédent de levées de fonds dans le domaine des substituts de laboratoire.
[...] Clean meat, viande de laboratoire ou viande cellulaire… Tous ces noms désignent un même objectif : reproduire artificiellement les protéines issues d’un animal. Il ne s’agit plus d’un sujet de science fiction. Cette année, Memphis Meats a levé 161 millions de dollars pour accélérer son développement et mettre sur le marché sa viande de laboratoire. La technologie la plus répandue est la multiplication cellulaire. Il s’agit de faire se multiplier des cellules issues de l’animal cible (cellules souches ou directement du muscle que l’on souhaite reproduire). La technologie est assez ancienne, les premières expérimentations datent de 1971 et ont été notamment financées par la NASA avec l’objectif de produire de la viande dans l’espace. En 2013, Mark Post, un chercheur Néerlandais, faisait la démonstration du premier steak de boeuf 100% artificiel sur un plateau de télévision à Londres. Notamment financé par l’un des co-fondateur de Google, ce steak avait couté 325.000 dollars. Cette preuve de concept a lancé le mouvement de la viande artificielle avec l’apparition de nombreuses startups dans les années suivantes.
[...] Ces startups ont réussi à baisser le coût de leurs productions et s’approchent aujourd’hui de niveaux acceptables. Le prix est presque totalement lié au « medium », le liquide dans lequel les cellules vont se multiplier. La comparaison entre l’état d’avancement des startups de clean meat avec les premières années des startups travaillant sur des substituts végétaux comme Beyond Meat ou Impossible Foods, créées entre 2009 et 2010, est saisissante. Elles partagent ainsi les mêmes investisseurs. D’un côté des géants de la viande comme Tyson Foods investissent dans de multiples startups de viande artificielle, sur des technologies et de types de produits différents. On retrouve aussi des milliardaires visionnaires comme Bill Gates et Richard Branson, portant une vision d’un monde avec une agriculture limitant son impact sur l’environnement et pouvant assurer une alimentation à une population en augmentation.
[...] Un second type de technologie se développe depuis quelques années. En utilisant des farines modifiées génétiquement et des processus de fermentation, des startups arrivent à reproduire les différentes protéines composant le lait et les oeufs. Alors que les techniques de multiplication cellulaires sont encore au stade de la démonstration, les produits ici sont déjà sur le marché. On peut notamment citer le cas de Perfect Day qui a mis l’été dernier des glaces en vente. Même s’il s’agissait plus d’une preuve de concept et que l’entreprise est orientée vers le marché B2B, cela soulève des questions de fond, notamment sur le nom que peuvent prendre ces produits. Ayant la même composition qu’un produit laitier, comment signaler son origine au consommateur ?
[...] Pour comprendre l’intérêt des protéines artificielles, il est nécessaire de prendre un peu de hauteur par rapport au contexte français et de considérer plusieurs éléments : – la population mondiale est amenée à croître et les surfaces agricoles disponibles pour l’élevage ne peuvent augmenter sans avoir un impact négatif sur l’environnement et au détriment d’espaces naturels essentiels à la biodiversité ; – les nouvelles classes moyennes des pays en voie de développement cherchent à s’affirmer notamment par la consommation de viande. Dans certains de ces pays, notamment la Chine, la sécurité alimentaire et la traçabilité est un véritable problème. La viande de laboratoire y est donc acceptable et perçue comme une avancée. ; – une part de plus en plus importante des habitants de pays développés cherchent à prendre en compte leur impact sur l’environnement et le bien être animal dans leur alimentation. Ces différents points permettent une projection assez radicale de l’avenir des protéines. Fin 2019, ATKearny projetait que dans 20 ans, 35% du marché mondial de la « viande » serait entre les mains des fournisseurs de protéines artificielles. »
« Faire baisser la consommation de viande, oui, mais jusqu'à quel point ? Les rapports se suivent et se ressemblent pour nous enjoindre de changer notre alimentation : 500 grammes de viande rouge par semaine au maximum pour la dernière étude académique française Nutrinet, et même moins de 200 grammes dans l'étude Eat publiée par The Lancet l'année dernière. La viande est dans la ligne de mire des spécialistes de la nutrition, comme de ceux de l'environnement. Pour les premiers, nos régimes trop riches en produits d'origine animale favorisent l'obésité, le diabète et l'apparition de maladies cardiovasculaires. [...] Les seconds pointent l'élevage, responsable à lui seul de 18% des émissions de gaz à effets de serre, dont les deux tiers sont liés à la production de viande et de lait. Sachant que 75% des surfaces agricoles mondiales (en comptant 30% de prairies) sont consacrées à l'élevage, qui consomme en outre plus d'un tiers de la production de céréales.
[...] Pour autant, pourrait-on imaginer une planète sans viande ? L'être humain peut s'en passer, comme il peut trouver des substituts à tous les produits issus des animaux. Les personnes pratiquant un strict régime végan doivent toutefois utiliser des compléments alimentaires pour remplacer certains nutriments indispensables à notre métabolisme. Une planète dont l'élevage aurait disparu est plus difficile à concevoir. « Un modèle alimentaire végan généralisé nous mènerait à une impasse d'un point de vue environnemental », affirme Thomas Nesme, professeur d'agronomie à Bordeaux Sciences Agro. Les animaux assurent en effet différents services, à commencer par la valorisation des prairies qui occupent la moitié des surfaces cultivées dans le monde. Par exemple, dans les zones de moyenne montagne, où il est difficile de cultiver autre chose. « Que ferait-on des prairies, puisque l'homme ne sait pas digérer l'herbe ? Outre cette production alimentaire, elles jouent un rôle essentiel pour la biodiversité faunistique et florale et dans la lutte contre le changement climatique en stockant du carbone. Elles sont importantes pour la régulation des flux d'eau, sans oublier leur rôle esthétique ».
[...] Les animaux consomment également les coproduits de l'industrie agroalimentaire, comme les tourteaux de soja issus de la production de l'huile. Ils produisent surtout des fertilisants grâce à leurs déjections. Dans les pays du Sud, l'élevage fait vivre environ 800 millions de personnes pauvres des pays du Sud. Et l'animal devrait même jouer un rôle dans la transformation à venir. « Il y a interdépendance des systèmes alimentaires et des systèmes de production et de transformation », analyse François Léger, directeur de recherches à AgroParisTech. Une évolution qu'on voit déjà à l'oeuvre avec le développement de l'agriculture biologique, dans laquelle l'animal joue un rôle majeur, puisqu'elle combine polyculture et élevage. « Si le bio se développe, l'animal joue un rôle fondamental dans le transfert de la fertilité vers les cultures », insiste Thomas Nesme, dont le laboratoire doit bientôt publier une étude sur ce sujet.
[...] Des chercheurs ont estimé l'impact de l'alimentation sur la consommation d'espaces agricoles. Bien sûr, comme cela a été largement démontré, plus nos régimes sont riches en protéines d'origine animale, plus on dévore de terre. En revanche, la courbe réserve une surprise, puisque son point le plus bas n'est pas atteint avec une consommation strictement végétale, mais avec un régime intégrant en moyenne 12% de protéines animales, et notamment du lait, comme le révèle une étude menée aux Pays-Bas. « Un monde sans animaux ne serait pas optimal, et la généralisation d'une alimentation végétalienne nécessiterait plus de terres pour nourrir la population qu'un régime modéré en viande », confirme Bertrand Dumont, chercheur à l'Inra et à l'université de Clermont-Auvergne. Les herbivores ne sont pas seuls en cause. On pourrait ainsi nourrir les porcs à l'aide de déchets issus du gaspillage alimentaire et de coproduits de l'industrie alimentaire. « Cela permettrait selon certaines études de réduire d'un cinquième l'utilisation des surfaces agricoles européennes. Ce serait un levier important puisqu'on considère que 30% des aliments produits sont perdus. Encore faudrait-il faire évoluer la législation européenne, qui ne le permet pas aujourd'hui », insiste Bertrand Dumont.
[...] Les critiques convergent surtout vers l'élevage industriel. « Pratiqué de façon très dense comme en Bretagne, en Allemagne du Nord ou au Danemark, ce modèle constitue un problème majeur pour l'environnement », dénonce François Léger. « Répartir l'élevage n'aurait que des avantages agronomiques, en diversifiant les cultures et les paysages et en diminuant les pesticides, puisque les insectes ravageurs seraient moins présents. » Cela supposerait une autre approche de l'élevage. « Il existe une différence ontologique entre produire des animaux et les élever. Il faut revenir à l'élevage avec sa diversité de races, d'alimentations, de compétences en fonction des territoires », assure Jocelyne Porcher, ancienne éleveuse de brebis, devenue chercheuse à l'Inra. »
« La chair s'effiloche en bouche, à la fois tendre et ferme. Le cumin et le poivre, mariés au curry et à la noix muscade, imprègnent la viande pour mieux la relever. Les yeux fermés, les papilles sont projetées au Moyen-Orient, avec cette sensation délicieuse de déguster un poulet chawarma. Les yeux ouverts aussi. Le jus doré des épices laisse percevoir par moments une chair pâle et striée, semblable à du blanc de poulet. Ce plat n'est pourtant qu'un savant trompe-l'oeil. Développé par la start-up hollandaise The Vegetarian Butcher, ce poulet n'est composé que de plantes. C'était le pari de Jaap Korteweg, patron diablement charismatique de cette jeune entreprise spécialisée dans les alternatives végétales à la viande. Cet ancien fermier est parvenu à créer ce qu'il aurait souhaité pouvoir manger il y a dix ans lorsqu'il essayait de devenir végétarien. « C'était impossible de cesser complètement de manger de la viande parce que le goût me manquait trop », se remémore-t-il.
[...] Beyond Meat, Impossible Foods, Moving Mountains, Gold & Green mais aussi Nestlé, JBS ou Tyson Foods… Aujourd'hui, une petite vingtaine d'entreprises, start-up ou multinationales, prospèrent sur la même idée : vendre une réplique de viande exclusivement composée de végétaux. « Ce n'est pas une simple mode mais une révolution alimentaire », soutient Rocco Scordella, chef italien à la tête du prestigieux restaurant Vina Enoteca, à San Francisco. Ce que les projections des analystes de JP Morgan ne contredisent pas, puisque, selon eux, le marché des viandes à base de plantes accostera le palier des 100 milliards de dollars d'ici à quinze ans. [...] Première entreprise du secteur à entrer au Nasdaq, Beyond Meat a été valorisée à plus de 10 milliards de dollars. Le marché est là. « Nous le voyons déjà très bien aux Etats-Unis où les entreprises Beyond Meat et Impossible Foods n'ont pas pu à certains moments soutenir le rythme de la demande », confirme Matt Ball, analyste au Good Food Institute. En Europe, la start-up britannique Moving Mountains, créée en 2017, profite elle aussi d'une conjoncture très favorable. « On écoule environ un demi-million de burgers par mois, vendus au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France et dans les pays scandinaves », assure Simeon Van der Molen, patron et fondateur. L'an prochain, il s'attend à multiplier ses ventes par cinq, porté par un accroissement de sa production.
[...] Une telle expérience ne peut aboutir sans une équipe de scientifiques aguerris. Ils sont au nombre de 130 chez Impossible Foods. « Pat Brown, le fondateur, est un ancien professeur de biochimie de Stanford », explique Rachel Konrad, directrice de la communication. « Il a étudié le thème pendant des années et a découvert que c'est cette molécule qui est à l'origine du goût de fer dans la viande », poursuit-elle. Il l'a ensuite modifiée génétiquement puis brevetée. Trouver la recette du substitut de viande le plus crédible relève donc d'abord d'une guerre technologique. Chez Beyond Meat, l'équipe R&D est plus modeste, 63 personnes, toutes dédiées à la quête du Graal. The Vegetarian Butcher a, lui, dû s'associer à l'université de Wageningue pour bénéficier de toutes les connaissances scientifiques nécessaires. Et dans l'usine de Breda, l'accès au laboratoire est strictement interdit. Tout est confidentiel, secret et breveté. « Il nous a fallu près de trois ans pour développer le premier produit », révèle Simeon Van der Molen. « Ce type de business nécessite d'y investir beaucoup de temps, d'argent et de la détermination. » D'où les levées de fonds démentielles menées par les start-up du secteur. En mai 2019, Impossible Foods bouclait ainsi un tour de table de 300 millions de dollars, portant la somme totale de fonds levés à 750 millions de dollars en moins de huit ans.
[...] Un tel appétit ne pouvait pas laisser indifférents les seigneurs de l'industrie. « C'est un marché à un trillion de dollars qui croît mondialement, il y a un paquet d'opportunités à saisir », justifie Matt Ball. Le numéro 1 mondial de la viande, le brésilien JBS, a lancé son propre burger végétarien, dans un pays pourtant réputé pour ses penchants carnivores. Après avoir un temps investi dans Beyond Meat, l'américain Tyson Foods a également mis sur le marché cet été sa propre gamme de protéines végétales, en commençant par des nuggets à base de pois et de graine de lin. Plus au nord, le géant canadien Maple Leaf s'est offert la start-up Lightlife, spécialisée dans les protéines végétales. En Europe, le groupe Enkco Holding s'est délesté de toutes ses activités dans la production de viande pour se rebaptiser Vivera Foodgroup et se focaliser sur les aliments à base de plantes.
[...] Le secteur de l'agroalimentaire a lui aussi décelé l'aubaine que représentait ce créneau prometteur des analogues carnés. Le géant néerlandais Unilever a ainsi englouti The Vegetarian Butcher fin 2018. « Travailler avec les plus grandes compagnies donne aux consommateurs confiance en nos produits », prêche Jaap Korteweg, qui peut désormais distribuer ses substituts de viande dans les 4.000 points de vente d'Unilever. « Nous avons besoin des grands groupes pour créer cette transition et consolider le marché. Nous sommes encore à l'étape où il faut démocratiser les produits à base de plantes », rassure Simeon Van der Molen.
[...] Des perspectives qui laissent l'ancien fermier Jaap Korteweg rêveur. « C'est tout à fait possible qu'à l'horizon 2045, environ 80% de la viande produite soit composée de plantes. Il y aura beaucoup d'alternatives, beaucoup de choix de protéines, et nous n'aurons donc plus besoin de tuer des animaux. Peut-être qu'un jour la viande d'animaux finira même par être interdite ? »
« La nouvelle hot commodity, c’est le petit pois. Poussées par des véganes en quête de protéines alternatives à la viande, les graines vertes sont devenues la coqueluche des investisseurs, qui s’inquiètent déjà d’une possible pénurie, selon l’agence économique Bloomberg qui a consacré la semaine dernière une enquête fouillée à cette matière première.
[...] Après une récolte décevante et des prix en berne en 2018, les agriculteurs canadiens, premier exportateur mondial, se disaient prêts à donner une seconde chance aux petits pois. Ils prévoyaient en janvier dernier d’agrandir de 8% la taille de leurs plantations à 1,6 million d’hectares, selon le cabinet Mercantile Consulting Venture. Peut-être avaient-ils anticipé le boom des burgers véganes, symbolisé par l’entrée en bourse de la société américaine Beyond Meat, prête à inonder le marché de ses Beyond Burgers ou Beyond Sausages, constitués à partir de protéines de petits pois. Ils ne sont pas les seuls à se lancer sur ce créneau. La marque Lightlife burger débarque sur les étalages américains. Nestlé, à travers sa marque Garden Gourmet, produit également du « bacon », « chorizo » ou des « boulettes de viande » végétariens à base de fibre de pois. Et Ripple Foods propose toute une gamme de produits laitiers de remplacement à base de protéines de petits pois.
[...] De quoi mettre sous pression le cours de la matière première. En Inde, autre marché majeur, la sécheresse de 2018 a déjà largement contribué à l’explosion des cours : +201% sur le petit pois vert à Delhi et +104% sur le pois jaune à Bombay. Et cela pourrait s’accentuer. Les ventes de protéines de petits pois, le produit transformé, devraient quadrupler d’ici à 2025, selon le consultant Henk Hoogenkamp. Le marché atteindrait 200 millions de dollars d’ici à 2023, contre 70 millions en 2007, selon le cabinet d’études Global Market Insights. Chez les producteurs de fausse viande et les négociants de matières agricoles, c’est déjà la bagarre pour sécuriser les sources d’approvisionnement. Lightlife s’est emparé de l’équivalent d’une année de production au vu de « l’insécurité » sur les quantités disponibles, confirme Michael Lenahan, son vice-président marketing. Et le trader américain Cargill a créé une coentreprise avec Puris, leader américain des protéines de petits pois, afin d’assurer que la production « suive la demande mondiale croissante ».
[...] Mais c’est l’agriculture canadienne qui vise la plus grosse part du gâteau. Même si de nouvelles infrastructures de traitement sont en construction en France, en Belgique et en Allemagne, elle espère capter près de deux tiers de la consommation mondiale d’ici à 2020. Il faudra peut-être aussi compter avec la concurrence chinoise, puisque des usines de protéines de soja pourraient y être réaffectées pour profiter de la tendance, selon Henk Hoogenkamp. Car, si le petit pois est devenu grand, c’est aussi parce que le consommateur a décidé de se détourner du soja. La faute à une montée des préoccupations quant à certaines propriétés cancérigènes. Mais surtout en raison de son impact sur l’environnement (déforestation, OGM, contamination du sol par les engrais et les pesticides, notamment le glyphosate). « La seule raison expliquant la soudaine popularité de la protéine de petit pois, c’est que les gens ne veulent pas de protéine de soja », tranche Peter Golbitz, du cabinet Agromeris. Pour lui, si les producteurs actuels ne parviennent pas à augmenter leur production, ils verront très vite de nouveaux arrivants entrer sur le marché. »
« L'Europe doit être capable de produire ses propres protéines pour elle-même, pour consommer comme pour les éleveurs », disait Emmanuel Macron en 2019 au Salon de l'agriculture. Message reçu cinq sur cinq par deux industriels du vieux continent. Le géant agro-industriel français Avril, connu notamment pour les marques Lesieur et Puget, et le chimiste néerlandais Royal DSM, leader mondial des vitamines, viennent de créer une joint venture en vue de construire, à Dieppe, la première usine au monde capable d'isoler la protéine contenue dans la graine du colza. Le procédé, inédit, a été mis au point par DSM. « Il permet d'extraire, sans solvant à partir du tourteau de colza, une protéine comestible dotée d'excellentes propriétés nutritionnelles qui convient à de nombreuses applications alimentaires », détaille la porte-parole du groupe Avril.
[...] Grâce à ce projet, la co-entreprise se fait fort de proposer une alternative européenne au soja importé sur le marché en plein boom des protéines végétales. Plébiscitées par les végans, flexitariens et autres partisans du bien-être animal, celles-ci ont le vent en poupe. Selon le Groupement d'études et de protéines végétales, le nombre de préparations qui en contiennent a été multiplié par vingt en l'espace dix ans. L'imagination de l'industrie agro-alimentaire est sans limites. Blé, soja ou fèves entraient en 2019 dans la composition de 5.400 produits : biscuits, barres vitaminées, yaourts, burgers, saucisses, nuggets... Et sans doute n'est ce qu'un début. DSM prévoit ainsi que le marché mondial des substituts de viande doublera d'ici 2029 pour passer de 4 milliards à 9 milliards.
[...] L'usine dieppoise nécessitera, selon nos informations, un investissement de 80 millions d'euros, vigoureusement soutenu, à hauteur de 4 millions, par la Région Normandie. Laquelle ambitionne de devenir « un territoire de référence dans la production et la valorisation des protéines végétales », dixit son président Hervé Morin. Opérationnelle début 2022, l'installation produira 4.500 tonnes d'un isolat de protéine « non OGM » qui sera commercialisé, en BtoB, par DSM sous la marque CanolaPro. Le tonnage produit augmentera rapidement, précise-t-on chez Avril. « ll est appelé à doubler dans les cinq ans ». De quoi stimuler la filière agricole. Le groupe français, qui transforme déjà en huile, agro-carburant et tourteaux la moitié du colza cultivé dans l'Hexagone, table sur ce projet industriel pour favoriser l'émergence de nouvelles variétés à plus forte teneur en protéine. »
« Il y a une sacrée différence entre l’affichage et la réalité du produit. Si en France, on est encore tout ébaubi par l’arrivée récente de cette nourriture « du futur », aux Etats-Unis, on commence à tirer la sonnette d’alarme. Le coup est parti de Mark Bittman, iconique chroniqueur food du New York Times, infatigable pourfendeur de la junk food. Lassé d’entendre Impossible Food et Beyond the Meat affirmer partout que leurs produits sont bons pour la santé, il a publié sur son site personnel une longue enquête sur le sujet coécrite avec Danielle Laprise. Et le résultat est sans appel : les burgers vegan sont en réalité « plus proches de la chips que de la salade » ! Ils seraient même « plus caloriques qu’un burger normal » et, au final, « moins bons pour la santé que ce qu’ils remplacent ».
[...] Ultra transformées, ces viandes végétales contiennent plus de 21 produits différents pour Impossible Food et 18 pour Beyond Meat. Et parmi eux, tout un tas de cochonneries comme des conservateurs, du sucre, de la methycellulose (aux vertus laxatives puissantes), des agents de saveurs, des colorants, des exhausteurs de goût… Un gloubi-boulga qui ferait passer le bon vieux Big Mac pour healthy. Et qui conduit Mark Bittman à dénoncer l’émergence d’une « fake food ». A cela s’ajoute la présence de léghémoglobine dans les burgers végétaux fabriqués par Impossible Food. C’est même leur ingrédient phare puisque c’est cet additif qui leur donne l’apparence, l’odeur et la saveur du bœuf. Or, cette substance provient d’une levure génétiquement modifiée, puisqu’il y faut y intégrer le gène du soja. Au final, le burger vegan vendu en fast-food est donc plus toxique qu’un Big Mac. Et en plus, il est plus cher ! D’authentiques burgers vegan, qui ne cherchent pas à imiter le goût du steak haché, existent pourtant sur le marché sur de la restauration rapide. Comme le Léon, lancé chez Big Fernand où le steak végétarien, fabriqué sur place selon une recette maison, n’est composé que de haricots rouges, pois chiche, pommes de terre et quinoa. Et c’est tout. »
« Emissions de CO2, épuisement des ressources, maltraitance animale… l'élevage intensif est souvent présenté comme l'une des causes majeures des maux du 21e siècle. Pour certains, la solution serait de remplacer la viande traditionnelle par de la viande créée de toute pièce à partir de cellules animales. Un procédé qui ne nécessite ni de passer par l'élevage ni par l'abattage.
[...] Cette viande « artificielle » est entièrement fabriquée en laboratoire. On parle de carniculture. Même s'il en existe plusieurs types, une technique est aujourd'hui majoritairement plébiscitée pour élaborer cet aliment. Elle repose sur le procédé naturel de régénération des tissus musculaires. Un prélèvement de cellules souches est effectué dans le muscle d'un animal, sur un bovin si l'objectif est de créer du bœuf par exemple. Ces cellules sont ensuite placées dans un environnement de culture propice à leur prolifération, dans des bioréacteurs qui reproduisent les mêmes conditions qu'à l'intérieur du corps de l'animal. Les cellules prélevées se différencient en cellules musculaires. Elles forment alors une fibre musculaire appelée « myotube ». Une fois placés dans un gel, ces myotubes prennent progressivement du volume pour devenir un petit morceau de tissu musculaire. On compte, en moyenne, 44 jours pour ce processus.
[...] Les premiers projets de viande artificielle ont été lancés dans les années 2000. Un programme de la NASA visait à synthétiser de la viande grâce à du tissu musculaire de poisson rouge pour nourrir les astronautes en mission de longue durée. Mais c'est en 2013 que l'idée de la viande in vitro fait véritablement parler d'elle, avec la très médiatique dégustation, à Londres, du tout premier steak artificiel. [...] D'autres projets plus spectaculaires ont suivi. En 2019, un cosmonaute a produit de la viande artificielle à bord de la Station spatiale internationale. Menés par la jeune pousse israélienne Aleph Farms, les tests ont permis de concevoir des tissus de bœufs, de lapin et de poisson à l'aide d'une imprimante 3D.
[...] À ce jour, il est encore impossible d'acheter un steak de viande artificielle. En effet, l'industrie agroalimentaire exige un passage à l'échelle du processus de production qui n'est pas encore d'actualité. La première et principale limite est le coût des procédés de culture. Ils sont dûs à l'utilisation d'enceintes stériles pour éviter les contaminations microbiennes, ainsi qu'aux incubateurs, bioréacteurs et milieux de culture, qui sont très onéreux. Mais plus les recherches avancent et plus ces dépenses baissent, car le processus devient plus efficace.
[...] Une étude du cabinet de conseil AT Kearney estime qu'en 2040, 35% de la viande consommée dans le monde proviendra de la viande cultivée, et 25% des substituts végétaux de seconde génération, type Beyond Meat. Le principal argument avancé est que la viande artificielle répondrait mieux aux attentes des consommateurs moyens, qui restent encore attachés au profil sensoriel de la viande traditionnelle. Mais l'étude note également que l'agriculture cellulaire n'a attiré que 50 millions de dollars en capital-risque en 2018, comparé aux 900 millions de dollars pour les produits de substitutions de première et de deuxième génération. De plus, elle rapporte que le prix actuel de 100 grammes de steak haché est de 0,80 dollars, le prix de 100 grammes d'un burger végan est de 2,50 dollars, et le prix actuel de la viande en laboratoire est de 80 dollars pour 100 grammes; un prix qui pourrait baisser pour arriver à 4 dollars les 100 grammes d'ici 12 ans.
[...] Les substituts végétaux ne seraient donc qu'une phase de transition pour habituer les consommateurs à de nouvelles habitudes alimentaires. Mais est-ce que ces derniers, principaux intéressés, se laisseront prendre au jeu ? Une étude publiée en 2008 dans la revue Journal of Agricultural and Environmental Ethics, a identifié plusieurs points modulant l'acceptation des nouvelles technologies alimentaires par les consommateurs. Une première série de déterminants repose sur la perception des avantages et des risques de la technologie pour le citoyen, la société et les promoteurs de ladite technologie. Une seconde série est liée à la technologie elle-même : la croyance générale dans la science, le caractère artificiel du produit et la confiance dans le cadre réglementaire. Enfin, les différences socio-culturelles et le niveau de sensibilisation aux nouvelles technologies influent également sur la réaction des consommateurs. »
« Les cultivateurs de viande vont-ils remplacer les éleveurs ? Tandis que les prototypes à base de viande cultivée se multiplient, beaucoup s’interrogent sur les perspectives offertes par l’agriculture cellulaire. Chaque seconde, les Terriens consomment plus de 10 tonnes de viande. Et chaque année, la demande ne cesse de croître, notamment en Asie où l’alimentation « à l’occidentale » tend à devenir la norme. La viande de culture, obtenue à partir de cellules animales, pourrait-elle un jour nourrir la planète ? Certains estiment qu’après la chasse et l’élevage, cette viande sortie non pas des abattoirs mais des laboratoires marquera une troisième étape dans l’alimentation humaine.
[...] « Il s’agit de prélever des cellules souches sur un animal lors d’une biopsie indolore pour lui, explique Nathalie Rolland, spécialiste de l’agriculture cellulaire. Après leur avoir donné une substance nutritive, ces cellules sont mises en culture dans un bioréacteur qui reproduit les conditions favorables à leur multiplication. On obtient ainsi du muscle animal. Cette technique est issue de la médecine régénératrice spécialisée dans les greffes de peau ou de tissus humains. » Dotées de gros bioréacteurs, les usines de production pourraient ressembler à des brasseries. Nathalie Rolland les imagine ouvertes au public : les curieux verraient ainsi comment est élaborée cette viande. « Une seule vache "donneuse" pourrait fournir 175 millions de burgers, alors qu’actuellement, il faut élever et tuer 440.000 animaux pour parvenir à ce résultat », calcule la chercheuse.
[...] Dans le monde, entre 30 et 40 start-up investissent dans cette technique. Elles sont notamment établies aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en Allemagne ou encore en Israël, un pays marqué par une forte pression animaliste. Pour l’heure, ces entreprises n’ont livré que des prototypes. Selon Nathalie Rolland, les premières viandes cultivées pourraient s’inviter aux tables des restaurants d’ici deux ans, avant de gagner les rayons de la grande distribution.
[...] La France n’est pas en avance mais une première start-up vient d’émerger : baptisée Suprême, elle est basée à Evry, dans l’incubateur du Genopole. « Nous allons produire le premier foie gras issu de l’agriculture cellulaire, s’enthousiasme Nicolas Morin-Forest, l’un des associés. Les cellules utilisées pour notre culture proviennent d’un œuf de canne. Trois semaines sont nécessaires pour réaliser notre foie gras, contre trois mois dans la filière traditionnelle. » Le choix du foie gras n’est pas neutre : « Nous souhaitions mettre la barre très haut, or ce produit incarne un pilier de la gastronomie française, estime Nicolas Morin-Forest. L’objectif, c’est de réinventer ce symbole de notre savoir-faire, d’autant qu’un sondage a révélé que les trois quarts des Français préféreraient consommer un foie gras éthique, autrement dit sans gavage. » Avant de parvenir à son objectif, l’entreprise se donne entre trois et cinq ans, le temps de maîtriser ses coûts de production.
[...] Outre le foie gras et la viande bovine, l’éventail de l’offre potentielle semble large. Des entreprises comme Memphis Meats ont conçu des prototypes de saucisses, boulettes, croquettes, nuggets, ainsi que de la viande hachée, créés à partir de cellules de poulet, canard ou porc. L’entreprise israélienne Aleph Farms a même présenté un steak en 3D, autrement dit un « morceau » de viande. D’autres sociétés, comme Finless Foods ou Shiok Meats, travaillent sur les poissons (saumon, carpe, thon rouge) et les fruits de mer (raviolis à la crevette ou au crabe). Difficile de s’avancer sur le prix de tels produits, mais certains acteurs du secteur estiment qu’ils devraient être abordables et stables, car imperméables aux cours de la viande, aux aléas de la pêche ou aux épizooties. Mosa Meat, start-up néerlandaise, évoquait récemment un coût de production de 9 euros pour un hamburger.
[...] Les avantages sont d’abord éthiques : la viande de culture n’implique ni l’élevage, ni le transport, ni l’abattage d’animaux. D’un point de vue environnemental, l’agriculture cellulaire pourrait considérablement diminuer les émissions de gaz à effet de serre liées à l’élevage, également trop gourmand en eau, en énergie et en surfaces agricoles. « Le meilleur contrôle du processus de production pourra aussi réduire les risques pathogènes, comme la bactérie de l’Escherichia coli », estime l’économiste Nicolas Treich. « Les risques sanitaires apparaissent bien moindres que dans la viande conventionnelle, enchaîne Nicolas Morin-Forest, de Suprême. Les produits sont élaborés dans un environnement stérile, loin des abattoirs où les risques de contamination, notamment par des salmonelles, sont multiples. De plus, la viande cultivée offre les mêmes propriétés que celle traditionnelle, mais elle ne contient ni hormones ni antibiotiques. »
[...] Sans surprise, la viande de culture rebute Culture viande. Ce syndicat qui regroupe les principales entreprises françaises d’abattage, de découpe et de transformation de la viande estime que « la prolifération cellulaire débouchera sur l’obtention d’une masse dont la consistance, le goût et la flaveur ne sont en rien comparables à la viande naturelle. » L’agriculture cellulaire inquiète pourtant la filière viande, comme le reconnaît Jean-Baptiste Moreau. Le député de la Creuse, rapporteur de la loi agriculture et alimentation, ne mâche pas ses mots : « Ce que je pense de la viande cultivée ? Forcément, pas du bien ! Pour moi c’est dangereux, pire que les OGM. Une multiplication cellulaire, ça s’appelle un cancer. On joue aux apprentis sorciers. Autant manger des gélules. » Selon cet éleveur de vaches, la viande in vitro n’a pas sa place aux côtés des barquettes de côtelettes d’agneau ou de filet de veau. « J’espère que le consommateur va se rendre compte que c’est de la merde. Je condamne déjà toute confusion : il faudra, le cas échéant, que le mode de fabrication soit clairement stipulé. »
[...] David Chauvet, docteur en droit et animaliste, prévoit que la commercialisation de cette viande de culture s’accompagnera de polémiques, voire d’une « diabolisation médiatique ». Pour aborder les questions éthiques avant même qu’elles n’émergent dans la société, il prépare un ouvrage collectif intitulé « Plaidoyer pour une viande sans animal ». L’une des questions posée est la suivante : si l’on propose aux gens une viande cultivée présentant les mêmes propriétés et qualités gustatives que la viande conventionnelle, pourquoi continuer à manger celle qui entraîne la mort de l’animal ? Yves Bonnardel, coauteur de cet ouvrage et pionnier de l’antispécisme, estime que ceux qui feront ce choix voudront symboliquement manifester leur supériorité sur les animaux et se maintenir dans leur position de prédateurs. Une hypothèse qui peut sembler caricaturale, mais qui pose clairement les choix auxquels nous pourrions être confrontés demain. »
« D’après la communication des startups du secteur, la production de viande cultivée ne présenterait que des avantages. Elle permettrait de réduire de manière drastique l’impact environnemental de la production de viande ainsi que le risque de maladies infectieuses transmises de l’animal à l’être humain. De plus, le goût de la viande cultivée serait proche de celui d’une viande conventionnelle. L’agriculture cellulaire est vantée par de nombreux auteurs, tels que Paul Shapiro, auteur du best-seller « Clean Meat : How Growing Meat Without Animals Will Revolutionize Dinner and the World » et PDG de la société The Better Meat Co. Selon lui, la viande cultivée serait indispensable pour nourrir une population mondiale qui avoisinera les 9,5 milliards en 2050, tout en respectant l’animal et en préservant l’environnement.
[...] Au-delà des effets d’annonce des startups, la production à grande échelle de viande cultivée soulève cependant certaines craintes quant à son impact environnemental réel. Certes, La première comparaison scientifique réalisée en 2011 entre viande conventionnelle et viande cultivée était très flatteuse pour cette dernière. Comparée à la viande conventionnelle, elle permettrait une réduction de gaz à effet de serre de 78 à 96% et nécessiterait 7 à 45% d’énergie et 82 à 96% d’eau en moins. Mais des études plus récentes suggèrent que son impact environnemental pourrait être supérieur sur le long terme à celui de l’élevage. Contrairement aux travaux précédents, ceux-ci ont pris en considération non seulement la nature des gaz émis, mais aussi le coût énergétique des infrastructures nécessaires aux cultures cellulaires.
[...] Les animaux disposent d’un système immunitaire les protégeant contre les infections, notamment bactériennes. Or, ce n’est pas le cas des cultures cellulaires, ce qui pose de sérieux problèmes. En effet, dans un milieu riche en nutriments, les bactéries se multiplient bien plus rapidement que les cellules animales. Si l’on veut éviter d’obtenir un steak de bactéries, il est donc indispensable que les cultures soient réalisées dans des conditions de haute stérilité, afin d’éviter les contaminations. Dans l’industrie pharmaceutique, les cultures cellulaires sont réalisées dans des « salles blanches », très contrôlées et aseptisées. La stérilité y est le plus souvent garantie par l’usage de matériel en plastique à usage unique. Ce qui réduit considérablement les risques de contamination, mais multiplie la pollution par les plastiques dont le niveau dans les écosystèmes est déjà alarmant. Certes, une partie du matériel de culture, en acier inox, est stérilisable à la vapeur et par des détergents. Mais cette opération a aussi un coût environnemental.
[...] De plus, le bétail fournit de nombreux produits dérivés autres que la viande. Il participe également au recyclage de quantités importantes de déchets végétaux non consommables par l’humain et produit de l’engrais. Les pâturages permettent aussi une séquestration du carbone. Par quoi seront-ils remplacés ? Le coût environnemental à long terme d’une transition de la viande conventionnelle vers la viande cultivée est donc extrêmement complexe à évaluer.
[...] Chez l’animal, le volume musculaire croît lentement et les cellules satellites musculaires se multiplient peu. Pour obtenir en quelques semaines in vitro ce que l’animal met plusieurs années à fabriquer, il faut stimuler de manière continue la prolifération des cellules satellites musculaires par des facteurs de croissance, dont des hormones sexuelles anabolisantes. Ces hormones sont présentes chez l’animal et chez l’être humain, ainsi que dans la viande conventionnelle. Elles stimulent la synthèse des protéines dans les cellules, entraînant une augmentation de la masse musculaire. Elles peuvent donc être présentées à juste titre par l’industrie comme des facteurs de croissance naturels. Cependant, une surexposition à ces hormones a des effets délétères biens établis. En Europe, l’usage d’hormones de croissance en agriculture est interdit depuis 1981. [...] Quelle sera la concentration finale de ces hormones dans la viande cultivée ?
[...] En outre, un nombre croissant d’études documentent la toxicité des produits en plastiques d’usage courant. Des perturbateurs endocriniens, composés capables d’interférer avec le système hormonal et de le perturber, peuvent être transférés par les emballages plastiques aux aliments. Sans surprise, le même phénomène a été documenté lors de cultures cellulaires réalisées dans des récipients en plastique pour des fécondations in vitro. À moins de bannir l’usage de plastique lors de la production de viande en culture, celle-ci risque donc d’être particulièrement contaminée par ces substances avant même l’emballage. »
« En février 2019, une étude estampillée Oxford fait quatre fois le tour d’Internet : alors que tout le monde commençait à admettre l’impact écologique de l’élevage, on découvre que la viande cultivée en laboratoire pourrait être encore plus polluante à long terme. Intitulée « Les limites du système de l’alimentation durable », son propos peut se résumer ainsi : l’élevage pollue, certes, car il produit du CO2, mais aussi du méthane. Or le méthane, si son impact sur le réchauffement climatique est 25 fois plus fort que celui du CO2, finit par se dissoudre au bout d’une douzaine d’années, contrairement au CO2. Conclusion des chercheurs d’Oxford : si la production de viande cultivée n’est pas capable de réduire ses inévitables émissions de CO2, elle pourrait, à terme, pourrir l’atmosphère plus efficacement encore que si l’on s’en tenait au cocktail classique de l’élevage : CO2 + méthane.
[...] Évidemment, il y a un twist. Pour Nathalie Rolland, spécialiste de l’agriculture cellulaire auprès de ProVeg, organisation internationale de sensibilisation aux protéines alternatives, « l’étude n’évoque que la pollution de l’air dans le pire scénario possible en ce qui concerne la construction des ateliers de production. Or les start-up du secteur entendent bien utiliser les techniques les moins polluantes et les énergies vertes ». [...] À bien examiner les graphiques de la fameuse étude d’Oxford, en effet, la courbe du pire des scénarios – celui où les bioréacteurs carburent au pétrole et au charbon, grosso modo – ne dépasserait les courbes de l’élevage tel qu’on le connaît aujourd’hui qu’au bout de… quatre siècles d’exploitation. Il est là, le fond de l’étude : quoi qu’il arrive, la viande cultivée offre au climat du répit jusqu’au XXVe siècle…
[...] Côté américain, les producteurs de viande conventionnelle qui investissent dans ce nouveau domaine parlent volontiers de « cultured meat », ou alors – mais le terme a tendance à vexer les éleveurs – de « viande propre ». Propre, car le jour où la viande cultivée quittera les laboratoires de recherche pour passer aux ateliers de commercialisation, le monde aura changé, et les formes de la production énergétique aussi. « La viande cultivée ne sera pas comme celle des prototypes, fabriquée à un prix très élevé. Comme pour tous les nouveaux produits, les prototypes coûtent cher, mais une fois qu’il y a des ventes, on peut faire des économies d’échelle, les prix baissent et on produit en usine », poursuit Nathalie Rolland. Propre, ensuite, car, faut-il le rappeler, cette viande de culture sera l’œuvre de producteurs que personne ne sommera de s’expliquer un jour devant un tribunal pour maltraitance animale. Propre, encore, parce qu’il ne sera pas nécessaire de shooter aux antibiotiques les cellules mises en culture.
[...] Notons enfin que l’étude d’Oxford ne prend pas en compte la quantité de terres libérées par la fin des repas quotidiens pour les milliards d’animaux domestiques que compte cette planète. Autant de terres qui pourraient reprendre leur travail de captation du CO2, voire servir à la production d’énergies vertes. [...] « Ce qui va coûter de l’énergie, concède Nathalie Rolland, c’est de chauffer les bioréacteurs, ces machines qui recréent des conditions idéales pour que les cellules se développent. Il s’agit de recréer leurs conditions de vie dans le corps des animaux : il faut qu’il fasse 37 degrés. » À noter que la question du poisson cultivé se pose différemment : ce sont des animaux à sang froid, dont la culture sera plus intéressante en matière d’empreinte énergétique. La nature est bien faite…
[...] Un tel plaidoyer en faveur de la viande cultivée ne manquera pas de faire grincer quelques dents. Mais réfléchir à l’impact de cette technique implique de se projeter dans un futur où le péril écologique sera encore bien plus sensible qu’aujourd’hui. Et de lire et commenter les études universitaires de façon moins biaisée. D’autant que la cultured meat présente potentiellement un autre avantage : la confection d’une viande moins « mauvaise » pour la santé. « Ça pourra être des produits sur mesure : on pourrait remplacer le mauvais gras par du bon gras, ajouter des vitamines, des oméga-3, des choses comme ça… » Des additifs, des usines : rien de révolutionnaire, au fond. À quelques milliards d’animaux près. »
« Viande cultivée » ou « viande propre » sont des termes qui tiennent de la novlangue. [...] La viande est la chair d’un animal tué pour le manger. A contrario, la « viande de culture » ne passe ni par l’étape du vivant, ni par celle de la mise à mort. Elle ne peut pas avoir les qualités que confère au muscle d’un animal le fait de vivre, d’être nourri de tout ce que mange le corps auquel il appartient. Elle n’est pas irriguée de réseaux sanguins et lymphatiques, pas habitée de réseaux nerveux lui faisant ressentir une vie de sensations bonnes et mauvaises, pas attachée à des os qui la maintiennent en une tension fortifiante. Elle n’a aucun vécu. Elle n’appartient pas à un être vivant en relation avec des pâtures, avec des congénères, avec la biodiversité sauvage, avec un éleveur qui le soigne, avec un paysage que son action contribue à sculpter. À mes yeux, ce n’est donc pas une viande. L’abus de langage n’est pas anodin, il vise à mystifier le consommateur. [...] Enfin, les auteurs de ces productions osent se ranger sous le vocable « agriculture cellulaire » qui recouvre en fait une destruction de l’agriculture.
[...] C'est un petit monde de l’empire du faux. Outre des faux œufs, on peut fabriquer sans animal des produits laitiers, des fruits de mer, des gélatines, du cuir, de la soie. Nous avons affaire au début d’une offensive économique importante. Les plus grands acteurs internationaux de l’industrie agroalimentaire investissent aujourd’hui dans ces starts-up pour passer au stade industriel. Les 1.400 milliards de dollars du marché actuel de la viande aiguisent les appétits de pouvoir s’en emparer en se débarrassant du maillon de l’élevage. À terme, c’est une concentration de la fabrication de protéines par quelques multinationales et donc économiquement et politiquement une menace sur la souveraineté alimentaire.
[...] Au-delà de la manière de se nourrir, c’est une rupture de civilisation. Depuis le néolithique, c’est-à-dire depuis les débuts de la domestication des plantes et des animaux, l’être humain compagnonne avec la nature. La coévolution est un des fondamentaux de la dynamique des écosystèmes. [...] C’est fondateur de notre civilisation, toutes cultures confondues. Les animaux d’élevage peuplent les contes, les chants, les religions, les traditions culinaires. Le contenu de l’assiette nous relie directement à la nature, aux paysans, aux paysages sculptés par l’agriculture. Il y a une différence philosophique de taille entre savoir que notre vie dépend de la nature et savoir qu’elle dépend du laboratoire et de l’usine. On change de représentation du monde et par là même on influe sur la construction des identités. C’est un pas de plus dans l’extraction de l’être humain de son écosystème. C’est la porte ouverte au posthumain, à « l’homme augmenté », au transhumanisme.
[...] Les artisans de cette révolution technologique sont, au départ, quelques scientifiques qui trouvent un soutien financier direct auprès de milliardaires de la Silicon Valley. Puis très vite, une génération de jeunes biohackers californiens véganes s’emparent des possibilités de la biologie de synthèse et de l’intelligence artificielle pour se lancer dans la viande in vitro et les ersatz à base de protéines végétales. Ils viennent de la politique, du droit, du monde des affaires, ne connaissent rien à l’agriculture et à la biologie, encore moins à l’écologie mais ils sont tous véganes et bénéficient du puissant soutien financier des réseaux philanthropiques de l’altruisme efficace où les végétariens et les véganes sont aux commandes.
[...] L’altruisme efficace est une philosophie et un mouvement dont la figure centrale est le philosophe australien Peter Singer, enseignant aux États-Unis à Princeton. Dans la culture anglo-saxonne où la philanthropie individuelle tient bien souvent lieu et place de politique publique, Peter Singer fait de l’efficacité une morale. Il industrialise le don, calculant à la façon d’un ingénieur les facettes économiques de chaque action charitable. Cette philosophie séduit particulièrement nombre de milliardaires du numérique. L’argent alimente les associations de bien-être animal, les organisations véganes, les start-up de nourriture véganes et les start-up de viande in vitro au motif qu’il faut sauver les animaux et la planète et que tout le monde ne deviendra pas végane.
[...] C’est un projet idéologique au départ. Celui de façonner un monde sans souffrance animale. Un monde où la mort est évacuée de la pensée, ce n’est pas un hasard de retrouver dans cette aventure les transhumanistes et leur rêve de vie humaine pluricentenaire. Mais les végans n’ambitionnent pas de rendre tout le monde végétalien, d’où la production de viande de synthèse pour tenter de satisfaire les omnivores que nous sommes spontanément. Demeure la volonté de nous imposer un régime. Cette tentation hégémonique est audible dès le départ dans leur acharnement à pervertir le langage jusqu’à inventer la catégorie des flexitariens, pour nous inclure dans leur monde.
[...] Les végans arrivent en missionnaires avec une réponse simple à tout. Il suffit de croire en leur dogme et tout va s’arranger. Sauf que chacun de leurs arguments est entaché de biais intellectuels, voire de fadaises, qui ont leur triste succès. Par exemple, accuser le bœuf de consommer 15.000 litres d’eau par kilo de muscle : le calcul prend en compte la pluie qui tombe sur la prairie… Dire que supprimer l’élevage sauverait le climat est une hérésie. D’une part, l’agroécologie fixe du carbone et de l’eau ; d’autre part, sans les déjections animales pour faire pousser les plantes il faudrait encore plus de chimie agricole. Dire que la viande in vitro résout la faim dans le monde est tout aussi faux. La faim se combat géographiquement avec les ressources locales pas avec des méga-usine de chair morte. Quant à la santé malmenée par les aliments, les hormones, les antibiotiques utilisés dans la production de viande industrielle, elle court encore plus de risques avec le caractère ultra-transformé des ersatz de viande.
[...] L’élevage est fondateur de notre relation à l’animal et de notre rapport à la nature, au monde. Supprimer l’élevage et les paysans c’est supprimer la plus belle et essentielle médiation que nous ayons avec la nature. Celle qui nous assigne à notre condition animale avec ses responsabilités et devoirs de par notre position sur la chaîne trophique darwinienne. C’est une rupture de la dynamique anthropologique et une négation de la dynamique de la vie. C’est aussi une rupture du lien au sol nourricier tissé à partir de la révolution néolithique. La production de viande cultivée nous fait aussi basculer dans un autre rapport au temps. Un temps sans limite, disjoint du temps qu’il faut à un animal ou une plante pour grandir. Le temps des clics sur une plateforme numérique pour avoir à volonté n’importe quelle viande imprimée, quelle que soit la saison ou l’heure. Un monde virtuel, aseptisé, sans refus, sans limite. Une barbarie. La barbarie des démiurges 2.0. »
« Et si les insectes, jusqu’ici principalement vus sous nos latitudes comme des nuisibles, devenaient soudainement une manne en se retrouvant dans nos assiettes ? Pascal Kliminowski, qui a fondé l’entreprise Productein, en est convaincu. Depuis 2014, l’entrepreneur élève des vers de farine, aussi connu sous le nom de molitors ou ténébrions. L’entrepreneur souligne d’abord l’intérêt écologique de ces fermes d’un genre nouveau, dont l’impact sur l’environnement est bien plus faible que tous les autres types d’élevages. [...] Une fois la porte franchie, le visiteur découvre des rangées de petits bacs en plastique bleu empilés les uns sur les autres. C’est là que grandissent pendant trois mois les larves qui seront tuées, grillées et assaisonnées en vue d’être dégustées tel quel pour l’apéritif. Pour ceux que l’aspect dérange, Pascal Kliminowski produit aussi de la farine d’insectes, intégrée ensuite dans des pâtes et des biscuits.
[...] « Élever des insectes prend très peu de place et ne consomme presque pas d’eau », précise l’entrepreneur qui nourrit ses insectes avec du son et des carottes déclassées. Autant de produits bio, rappelle l’éleveur, les pesticides étant conçus pour tuer les insectes. « Ceux-ci émettent très peu de gaz à effet de serre, nécessitent peu de terres, ont une haute efficacité de conversion alimentaire et peuvent être élevés sur des produits organiques de faible valeur », précise l’entomologiste Arnold van Huis, grand promoteur de l’entomophagie humaine. Deux kilos de nourriture suffisent à produire un kilo d’insectes, quand il en faut neuf kilos pour produire un kilo de bœuf. Les insectes sont en outre « nutritionnellement intéressants avec une teneur élevée en acides gras ainsi qu’en certains minéraux comme le fer et le zinc », écrit le spécialiste.
[...] Comme Pascal Kliminowski, environ 150 entrepreneurs, regroupés dans la Fédération française des producteurs, importateurs et distributeurs d’insectes (FFPIDI), se sont lancés, un peu partout dans l’Hexagone, en misant sur l’essor de ce marché encore balbutiant. Beaucoup évoquent comme déclic la publication par la FAO d’un rapport sur l’intérêt des insectes comestibles en 2013. [...] Tout reste encore à faire pour structurer la filière. Il n’existe pour se lancer aucune école ou formation. Pendant quatre ans, Pascal Kliminowski a mené des expériences, afin de définir les meilleures conditions d’élevage de ses ténébrions, avant de se lancer dans la commercialisation il y a un an. L’ancien ingénieur de PSA est aujourd’hui en capacité de produire une dizaine de kilos d’insectes par semaine, qu’il vend principalement dans les supermarchés de sa région.
[...] L’entrepreneur attend impatiemment comme beaucoup d’autres acteurs, la clarification de la législation, qui interdit théoriquement la vente d’insectes pour la consommation humaine. Après une phase de tolérance de la part des autorités sanitaires, les contrôles se sont renforcés. La plupart des producteurs font profil bas. Et plusieurs demandes d’interviews auprès d’acteurs importants, comme la société Micronutris, leader du secteur, qui produit des vers de farine et des grillons près de Toulouse, sont ainsi restées lettre morte. Même chose pour l’entreprise Ihou, qui élève et transforme des grillons en Moselle, en misant notamment sur les produits protéinés à destination des sportifs. Certains acteurs ont même dû cesser leur activité. C’est le cas d’Insecteine, fondée par Jacky Petiz, près de Nantes, qui a suspendu son activité de fabrication de burgers d’insectes après un contrôle l’an dernier. « L’application de la législation varie d’un département à l’autre », se désole Jacky Petiz, qui est aussi le vice-président de la FFPIDI.
[...] « La clarification de la législation devient une urgence, on est dans les starting-blocks », déclare de son côté Virginie Mixe, fondatrice dans le Nord de Minus Farm, qui fourmille de projets, dont la création de petites unités de production dans des conteneurs installés dans les centres-villes, ou encore le lancement d’un restaurant qui servirait des burgers d’insectes. « Les Pays-Bas, la Belgique, la Suède et le Danemark sont en avance », relève la cheffe d’entreprise qui envisage de déménager son activité en Belgique où le règlement européen est appliqué de façon plus souple. Il existe un vrai marché, estime la nordiste qui espère séduire avec ses burgers d’insectes tous les flexitariens, ces 70% de personnes entre vegans et ceux qui mangent de la viande au moins une fois par jour. »
« Le ténébrion meunier ou la mouche soldat noire se généraliseront-ils dans les rations des animaux d’élevage ? La question peut sembler paradoxale, puisque l’agriculture et l’utilisation des pesticides sont rendues responsables du déclin de certains insectes dans la nature. « On redonne à l’insecte exactement le même rôle qu’il a dans la nature, de se développer dans les déchets, de transformer cette biomasse en décomposition en sol, et de recycler les nutriments dans la chaîne alimentaire, pour nourrir des oiseaux, des mammifères et des poissons », explique Clément Ray, le PDG d’Innovafeed, groupe spécialisé dans la production de farine d’insectes. A la différence près que les insectes sont ici produits par l’homme à l’échelle industrielle, un domaine dans lequel la France se taille une place de choix, aux côtés de l’Afrique du Sud, des Pays-Bas et du Canada.
[...] Deux des leaders du secteur sont ainsi français : Innovafeed et Ynsect. Ils produisent déjà annuellement 1.000 tonnes chacun de farines d’insectes, dans des sites pilotes. Et s’apprêtent à changer de dimension. Innovafeed va décupler sa production avec la mise en service d’une usine à Nesle, qui produira à terme 15.000 tonnes, avant la construction prévue de cinq autres sites en Europe et aux Etats-Unis. Ynsect, pour sa part, veut construire pour 2021 un nouveau site de production à Amiens : « en capacité totale, on va dépasser les 50.000 tonnes par an d’ici fin 2022 », explique le PDG Antoine Hubert. Preuve que l’activité génère de plus en plus d’intérêt, un meunier breton Paulic Meunerie vient de se lancer en Bourse, pour financer une diversification dans l’alimentation des insectes d’élevage.
[...] Principal argument pour développer une filière industrielle de production d’insectes destinée à l’alimentation animale : l’aspect environnemental. D’autant que l’aquaculture et l’élevage sont montrés du doigt pour leur impact sur les écosystèmes marins ou terrestres. Les producteurs de saumons sont ainsi sommés de changer leurs pratiques après la dénonciation par les ONG des effets délétères sur les océans de la pêche dite minotière, de petits poissons destinés à nourrir des poissons d’élevage. [...] C’est aussi le positionnement de la startup française Tomojo, qui vend des croquettes aux insectes pour les chiens et chats : « On a une protéine de bonne qualité, traçable, qui est très nutritive, bien digérée par le système animal, mais qui n’entre pas en compétition avec l’alimentation humaine, qui ne détruit pas les ressources de la planète », explique Madeleine Morley, co-fondatrice de cette jeune pousse. Tomojo a vendu en 2019 quelque 11 tonnes de croquettes, presque quatre fois plus qu’en 2018 mais une goutte d’eau dans le marché colossal de l’alimentation des animaux de compagnie, qui pèse environ 1,5 milliard d’euros par an pour la seule France. Ce développement encore modeste s’explique notamment par le manque de ressources disponibles : « La petfood est un peu en compétition avec l’aquaculture », qui a de plus en plus recours aux farines d’insectes, explique Mme Morley. Sur un marché de l’aliment pour poissons d’aquaculture pesant 120 milliards de dollars par an, « la part des ingrédients à très forte valeur ajoutée qu’on cherche à remplacer, c’est environ 35 milliards de dollars par an », indique M. Ray.
[...] Poissons et compagnons domestiques ne seront bientôt peut-être plus les seuls à manger de la farine d’insectes : les animaux de la ferme pourraient bientôt y goûter aussi. Bruxelles étudie en effet la possibilité d’autoriser les protéines d’insectes dans l’alimentation des volailles et des cochons. « Les volailles et les porcs mangent naturellement des insectes », relève Antoine Hubert, qui espère une mise en application en 2021. « Après, c’est un marché encore beaucoup plus gros que l’aquaculture à des prix aussi beaucoup plus compétitifs », prévient-il. Cette évolution règlementaire pourrait contrer une autre dérive environnementale : l’importation de soja OGM du Brésil et, à travers elle, la déforestation de l’Amazonie. »
« Un rendez-vous à Solar Foods peut ressembler à un échange d’espions pendant la guerre froide. L’adresse exacte de cette start-up finlandaise n’est pas transmise par e-mail, pour éviter les fuites, et c’est après un bref aparté téléphonique que nous nous retrouvons à Espoo, dans la banlieue d’Helsinki. A l’intérieur d’un entrepôt anonyme, l’ingénieur Sami Holmström s’affaire devant d’imposantes cuves en inox. « Ce sont nos réacteurs biologiques où l’on produit la biomasse, décrit-il. L’élément de base, ce sont des bactéries, des micro-organismes. Vous les mettez dans de l’eau où circule un courant électrique, ce qui va produire de l’hydrogène et de l’oxygène. Ce sont ces gaz qui vont permettre aux bactéries d’utiliser le CO2 et surtout le C du CO2, le carbone, pour le transformer en protéines. »
[...] Le produit final, obtenu après quelques jours, se présente sous la forme d’une poudre grise. « Pour l’instant, elle contient 50% de protéines, mais nous allons faire mieux », assure-t-il. Les technologies utilisées par Solar Foods, l’électrolyse et la culture de bactéries, n’ont rien de révolutionnaire. Elles avaient d’ailleurs déjà été associées dans les programmes spatiaux aux Etats-Unis comme en URSS dès les années 1960. Mais la nécessité de trouver des sources alternatives de protéines pour faire face à l’accroissement de la population mondiale et à l’épuisement des sols leur a ouvert de nouveaux horizons. Un marché dans lequel la Finlande a un coup d’avance, grâce à ses immenses forêts. « Les bactéries jouent un grand rôle dans la transformation du bois et l’industrie du bois, de la cellulose, est très importante en Finlande », rappelle Michael Lienemann, biologiste au VTT, le plus grand centre de recherche finlandais. Toujours à Espoo, le VTT dispose d’un laboratoire de pointe, où les bactéries sont cultivées à très grande échelle : « Les enzymes qu’elles contiennent en font de véritables usines vivantes qui peuvent transformer le gaz carbonique en produits cosmétiques, en graisses, en carburant biologique… et en nourriture », détaille-t-il
[...] Cette production de protéines repose sur des « recettes » qui nécessitent des mois d’expérimentations et de tâtonnements. « Il faut choisir le bon micro-organisme, optimiser les quantités de nutriments et les conditions de fermentation », explique Pasi Vainikka, le PDG de Solar Foods. Des recherches suivies de près par l’industrie alimentaire, dépendante d’une agriculture qui épuise et pollue les sols. Car les bactéries d’Espoo, a contrario, consomment du CO2, ne monopolisent pas les terres, et donnent une matière première qui peut être utilisée de bien des façons différentes : « Vous pouvez la mélanger avec une farine de blé pour faire un pain qui a les mêmes quantités de protéines qu’un sandwich avec une tranche de viande, mais sans avoir besoin de mettre de la viande. On peut faire la même chose avec des pâtes, du porridge, du muesli, des glaces… Il y a beaucoup de groupes de recherche qui travaillent dans ce domaine, il se passe beaucoup de choses, mais je crois que nous allons être les premiers sur ce marché. »
[...] Avant que ces bactéries n’arrivent dans notre assiette, Solar Foods devra obtenir une autorisation de mise sur le marché auprès des autorités européennes, et répondre à quelques questions préoccupantes, dont les réponses se cachent pour l’instant derrière le secret industriel : comment sera maintenue la stabilité de ces milieux de culture lorsqu’ils vont être déployés à grande échelle ? Par des produits chimiques, des antibiotiques ? Comment seront gérés les rejets dans l’environnement ? Une ultime étape, qui ne sera pas la plus facile, sera de convaincre les consommateurs. Pour Michael Lienemann, ces nouvelles protéines ne posent pas plus de problèmes que le yaourt, « qui est aussi le résultat d’une activité bactérienne ». La décision par l’administration américaine d’ouvrir la voie à la commercialisation de la viande artificielle, qui utilise une technique similaire, est aussi perçue comme un bon signal. Solar Foods a d’ores et déjà prévu de construire une usine, dès 2021, qui pourra produire plusieurs tonnes de protéines par jour. »
« Face à l’ampleur des dégâts environnementaux résultant de l'élevage animal, les industries alimentaires se tournent vers des solutions alternatives, comme la viande de synthèse, qui malgré ses nombreux travers, reste moins gourmande en eau et en terres arables. Une autre alternative nous vient de Finlande : une alimentation à base de poudre. L’entreprise Solar Foods a trouvé une manière de développer une poudre protéinée, nommée Solein, avec du dioxyde de carbone, en collaboration avec des chercheurs du Centre de recherche technique de Finlande VTT et de l’université de technologie de Lappeenranta.
[...] Le protocole est plutôt minimaliste : d’abord, l’entreprise utilise de l’électricité pour séparer les molécules d’hydrogène et d’oxygène, présentes dans l’eau. Des microbes vivants sont ensuite nourris par du dioxyde de carbone, mélangé à de l’hydrogène (provenant de l’eau), du potassium, du sodium, et d’autres nutriments. Les microbes créent des protéines, qui sont ensuite séchées pour être transformées en poudre. Selon l’entreprise, cet aliment serait jusqu’à 100 fois plus écologique que les autres sources de protéines animales ou végétales actuellement disponibles sur le marché. Cela s’explique par un moindre besoin en eau (10 litres par kg, contre 2500 pour le soja) et en terres arables. La poudre est composée à 50% de protéines, de 5 à 10% de graisse, et de 20 à 25% de glucides. Son goût s’apparente à celui de la farine de blé, et il peut être mélangé à du yaourt, du pain ou des pâtes, précise le site Dezeen. [...] Solar Foods espère lancer la commercialisation de son produit fin 2021 et produire 50 millions de repas par an d’ici 2022.
La poudre a aussi l’avantage de pouvoir être produite n’importe où, y compris « dans le désert, en région arctique, dans l’espace, et même dans des régions où la production de protéines conventionnelles n’avait jamais été possible », promet Solar Foods. « La production de Solein est complètement libérée de l’agriculture puisqu’elle ne nécessite pas de terres arables, ni d’irrigation, et n’est pas limitée par les conditions climatiques ». La startup collabore par ailleurs avec l’Agence spatiale européenne qui vante le projet sur son site internet « La prochain objectif pour Solar Foods est de produire des protéines transportables lors d’un voyage spatial vers Mars ». Cette initiative entend répondre à la colonisation de l’espace, mais aussi aux besoins alimentaires croissants sur la planète Terre. Selon les Nations Unies, les ressources alimentaires devront augmenter de 50 à 70% d’ici 2050 pour nourrir l’humanité. »
« Elles existaient avant nous et sont présentées comme l'avenir. Les microalgues entrent dans la composition de très nombreux produits et commencent à être intégrées dans certaines recettes culinaires. Elles sont considérées comme une alternative tout à fait crédible à de nombreuses ressources, comme les protéines issues de la pêche ou le pétrole. Leur marché a doublé en cinq ans, les Etats-Unis multiplient les investissements.
[...] Dans son exploitation, Kevin Soulié, producteur de spiruline à Cevenn'Algues à Montoulieu dans l'Hérault, cultive ces micro-algues qu'il préfère appeler des « cyanobactéries ». Des organismes appartenant à « la famille des premiers êtres vivants sur terre qui étaient là avant nous, il y a des milliards d'années », dit-il. Il la cultive, la ramasse puis la filtre. En France, ils sont environ 200 à s'être lancés sur ce marché. Pour certains d'entre eux, « la spiruline est la protéine végétale écologique de demain ». Mais elle n'est pas la seule microalgue à avoir la côte.
[...] Des laboratoires spécialisés ont vu le jour et dans leurs locaux, on observe et on étudie ces micro-algues comme celle qui contient de la lutéine à qui l'on prête des vertus antioxydantes, ou encore la sénédesmus qui est capable de produire du carburant naturel en consommant du dioxyde de carbone. « Dans nos algues, on va retrouver des molécules avec des effets hydratants, anti-rides, anti-âge, des effets anti-bactériens aussi », détaille le docteur Thibaut Michel, responsable recherche et développement du laboratoire Greensea à Mèze dans l'Hérault. L'entreprise fournit ainsi des groupes pharmaceutiques et cosmétiques. D'autres projets sont également à l'étude dans ce laboratoire mais ils demeurent secrets.
[...] Ces organismes intéressent toute une industrie prête à financer des projets de recherche à hauteur de plusieurs millions d'euros, comme c'est le cas du laboratoire Algama, en région parisienne. L'entreprise a levé 9 millions d'euros depuis sa création il y a 6 ans, avec une ambition : développer la nourriture de demain. Grâce aux microalgues réduites en poudre, l'entreprise élabore des recettes pour imiter les produits connus des consommateurs à l'instar de la mayonnaise sans oeuf, déjà dans le commerce. L'entreprise espère produire du lait à base d'algues ou encore du saumon sans poisson. Mais cela n'est pas tout à fait pour demain, comme l'explique Jean-Paul Cadoret, directeur scientifique du laboratoire : « pour le saumon et la viande, il faut travailler sur la texture. Lorsque la viande grille par exemple, elle devient brune, pour le saumon, il faut veiller à ce que le goût ne soit pas trop prononcé... » Très riches en protéines et en oméga 3, les microalgues pourraient devenir indispensables pour nourrir 10 milliards d'êtres humains à l'horizon 2050.
[...] Ces super végétaux sont aujourd'hui convoités par tous les secteurs. Dans la zone industrielle de Fos-sur-Mer, on tente de fabriquer du biocarburant à partir de microalgues nourries aux fumées industrielles depuis juin 2019. Le principe de ce projet de recherche est simple : les fumées chargées en CO2 de trois usines sidérurgiques de Kem One, Arcelor Mittal et Solamat-Merex ont été injectées directement dans des bassins de culture de microalgues. « La partie 'biomasse'de ces cultures est ensuite extraite, déshydratée et transformée en une pâte que l'on envoie" vers une branche spécialisée du CEA (Commisariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), avant d'être raffinée en biocarburant », explique Magali Deveze, chef du département développement durable et valorisation domaniale du Port de Marseille Fos, qui coordonne le projet Vasco 2. »
« L’agriculture de précision est une véritable troisième révolution agricole. Les industriels de la filière des agroéquipements l’ont bien compris et, en conséquence, investissent plus de 4% en moyenne de leur chiffre d’affaires chaque année en recherche et développement. Et l’élevage ne sera pas épargné par cette tendance : analyse des données, taches automatisées, robotique de pointe... les possibilités sont variées. Les avancées technologiques, en particulier l’intelligence artificielle, permettent un meilleur contrôle de ses troupeaux et de sa production, ce qui à terme permet aux éleveurs de coller au plus près aux demandes des consommateurs et aux attentes de la société, tout en facilitant le respect des nouvelles réglementations. Elle réduit également la pénibilité de nombre de tâches, et à ce titre renforce l’attractive des métiers agricoles.
[...] L’analyse en temps réel des données contribue aussi au bien être des animaux d’élevage, avec une optimisation du confort de bêtes et un suivi santé, des conditions de température et d’humidité immédiats. L’enregistrement des toux porcines et des capteurs infrarouges ont aussi permis d’identifier les bêtes malades avant la propagation d’une maladie et de superviser al quarantaine des animaux à risque. L’Asie est pionnière dans ce secteur, mais l’Europe est en train de prendre le pas, après une période d’hésitation due à la question de la protection des données personnelles (le stockage, la durée de conservation, leur utilisation à des fins commerciales). Mais des initiatives comme le RGPD, adopté en novembre 2018, ont permis d’écarter ces inquiétudes en complétant le cadre de protection des usagers de ces nouvelles technologies.
[...] Enfin, l’agriculture de précision a un impact bénéfique sur les performances environnementales de nos exploitations. Les mégadonnées (big data) générées par l’IA peuvent ainsi aider à contrôler et à optimiser l’utilisation de l’eau ou de traitements médicaux. L’IA a ainsi permis de réduire de 30% l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans l’agriculture française. Et nous n’en sommes qu’au début, ces baisses pourraient atteindre 50% en prenant en compte les futures nouvelles technologies disponibles sur le marché. L’animal peut être perçu comme une ressource ou alors comme un partenaire de travail, comme le soulignait l’INRA. « Aujourd’hui nous sommes responsables des conditions dans lesquelles nous élevons nos animaux », explique le biologiste et éthologiste spécialisé dans les herbivores, Xavier Boivin, tenant de la seconde approche. « Il ne s’agit pas simplement de les protéger mais aussi de comprendre leurs besoins et de leur offrir une qualité de vie correspondant à ces besoins ». Une tâche largement facilitée par le smart farming, si toutefois ces outils sont utilisés à des fins éthiques. »
« Les vocalisations ne sont pas seulement un moyen de communication. Elles permettent également d'en apprendre plus sur l'émetteur, par exemple sur sa santé ou encore son état émotionnel. Des chercheurs anglais supposent, dans une étude parue en 2019 9 dans le Journal of the Royal Society Interface, qu'elles pourraient aussi être un indicateur de bien-être chez les animaux d'élevage. Les chercheurs ont analysé les vocalisations de trois espèces largement représentées dans les élevages : la poule, le cochon et la vache. Selon eux, les méthodes pour analyser et classer les vocalisations de manière automatique, souvent utilisées pour l'écologie ou la conservation d'espèces sauvages notamment pour recenser les populations (comme les hydrophones pour localiser les baleines), pourraient également trouver leur place dans les élevages. « Les poulets et les porcs, en particulier, sont des animaux très bruyants et leurs cris indiquent s'ils sont stressés, s'ils ressentent des douleurs ou souffrent de maladies », explique Michael Paul Mcloughlin, co-auteur de l'étude. Actuellement pour identifier des maladies, les professionnels ont plutôt recours à la manipulation ou à des prélèvements « qui peuvent être stressants pour les animaux », souligne le chercheur.
[...] Aujourd'hui alors que les scientifiques ont recueilli beaucoup d'informations sur le comportement et les cris des animaux d'élevage et que les progrès permettent de développer des logiciels audio, utiliser ces technologies de surveillance acoustique pourrait améliorer l'élevage. Installer des microphones dans les fermes permettrait d'enregistrer puis d'identifier, grâce à un algorithme spécifique, les signes de mal-être, notamment en fonction de la durée ou du volume des vocalisations. « Tout au long de la discussion sur les vocalisations du bétail, nous avons mis en évidence un certain nombre de domaines dans lesquels un suivi automatisé pourrait être bénéfique. Ceux-ci incluent la classification automatique des vocalisations de détresse chez les volailles ou la surveillance des interactions agressives entre congénères telles que les morsures de la queue chez les porcs », souligne l'étude. « L'information pourrait ensuite être transmise aux agriculteurs pour qu'ils puissent s'attaquer immédiatement aux problèmes », explique Michael Paul Mcloughlin.
[...] Les auteurs parlent alors d'un « élevage de précision » : grâce à des systèmes automatisés, il deviendrait possible « d'ajuster de manière dynamique » les caractéristiques du milieu de vie. Modifier de manière automatisée la température, l'éclairage ou encore la ventilation du bâtiment d'élevage deviendrait possible simplement en réponse à des vocalisations particulières. « Par exemple, si des râles sont détectés chez les poules, cela pourrait indiquer qu'il n'y a pas assez de circulation d'air dans le bâtiment. Et cela pourrait conduire le système à allumer les ventilateur et à ouvrir les fenêtres pour augmenter le débit d'air », notent les auteurs. « L'application du contrôle de la vocalisation pour un élevage de précision n'est pas nouvelle. Cependant, les efforts précédents visaient les méthodes d'étiquetage et le suivi de la croissance », souligne l'étude. Mais dans ce cas, c'est bien une amélioration du bien-être animal qui est visée. Ces technologies pourraient par exemple permettre de signaler de la maltraitance. « Il existe un lien entre les vocalisations et la douleur chez les porcs, et leurs abondances peut indiquer qu'il y a mauvais traitement », explique le chercheur. »
« Avoir recours à des robots et des logiciels peut aussi contribuer au bien-être animal. C’est la conviction de Pascal Huger, éleveur caprin à Thenay, dans le Loir-et-Cher. A la tête d’un troupeau de 400 chèvres de la race Saanen, l’éleveur qui vend son lait à des fromagers AOP non loin de chez lui, tient à garder du temps pour s’occuper de ses chèvres. « Les robots, cela peut sembler inhumain mais en réalité cela me laisse plus de temps pour mes chèvres. Elles sont curieuses et parfois espiègles, ce qu’elles aiment c’est que l’on s’occupe d’elles ! ».
[...] Pour garantir une production de lait optimale, qui réponde au cahier des charges strict de l’AOP, la qualité de l’alimentation des chèvres est le premier souci de l’agriculteur. « Une bonne alimentation ce sera un bon lait, et donc de bons fromages » résume l’éleveur. Ses chèvres produisent du lait utilisés pour le Selles-sur-Cher, le Valençay, le Sainte-Maure, le Pouligny-Saint-Pierre et le célèbre crottin de Chavignol. Ancien ouvrier agricole, il a racheté la ferme de son patron en 2002 et travaille à son tour avec un ouvrier. Ils ne sont que deux pour gérer cet énorme troupeau, mais les Saanen, en plus d’être de bonne laitières, sont plutôt calmes. Et surtout, les tâches les plus fastidieuses sont dévolues aux machines.
[...] Les bottes de foin, le fourrage vert et l’herbe sont répartis par l’éleveur le long des barrières de l’étable, étudiée pour que les chèvres ne se blesse pas. Mais les compléments alimentaires sont gérés par ordinateur, et distribués par un robot de distribution, ce qui permet de « personnaliser » la distribution. Les chèvres sont réparties dans des enclos séparés selon qu’elles sont en gestation, allaitantes ou non. Les béliers sont aussi maintenus à part. Le robot distribue les quantités adéquates de compléments pour chaque enclos, en fonction des besoins des chèvres. Pour l’éleveur, plus question de préparer ses mélanges à la main et de porter de seaux lourds. Les mélanges sont réalisés par le robot qui les distribue.
[...] La traite est aussi entièrement automatisée. Chaque chèvre est équipée d’une boucle d’identification électronique. Lorsque la chèvre pénètre dans son espace sur la traite rotative, elle est identifiée. Une fois les manchons installés sur ses pis, le lait est envoyé directement dans le tank de stockage et les contrôles sur le lait se font automatiquement. Cela évite les prélèvements manuels réguliers qui perturbent les animaux. D’où un meilleur rendement. Les capteurs de chaque « pulsomètre » gèrent le flux de lait et permettent le décrochage automatique des manchons quand le débit ralentit. Des capteurs à lait qui permettent d’enregistrer la production animal par animal, ainsi que d’un distributeur automatique d’alimentation qui adapte sa ration à chaque chèvre en fonction de sa production. Toutes les informations sont accessibles sur un écran tactile qui signale la moindre anomalie pendant la traite, afin que l’éleveur puisse intervenir rapidement.
[...] Les données recueillies par le logiciel permettent une gestion approfondie du troupeau. Chaque chèvre est répertoriée avec son numéro de lactation, le lot dans lequel elle se situe, son historique de gestation, de production, la qualité de son lait, le suivi sanitaire jusqu’aux déclarations et procédures administratives quand une bête met bas ou qu’elle part pour l’abattoir. Ces informations permettent à l’éleveur de décider du meilleur moment pour mettre une chèvre au repos pour sa période de tarissement (environ deux mois) avant de la remettre en gestation, sachant que la période de lactation est en moyenne de 10 à 12 mois. Ce sont aussi des robots qui nourrissent les chevreaux, tandis que la répartition des cultures sur les terres est gérée par logiciel. »
« Lituus a présenté en janvier, au CES de Las Vegas, son collier connecté conçu pour surveiller les élevages, à commencer par les bovins. Il est muni de capteurs qui détectent des troubles de santé chez les bêtes, les cycles d'ovulation pour optimiser les inséminations ou la proximité d'un vêlage, mais aussi informent sur le bien-être animal, notamment par rapport à des paramètres environnementaux, comme le réchauffement climatique. Après avoir enregistré le comportement habituel de chaque vache, un algorithme peut instantanément repérer et signaler, par SMS sur le smartphone ou message sur l'ordinateur de l'exploitant, un trouble révélateur d'un problème de santé. Une surveillance 24 heures sur 24 qui se fait donc à distance, à 2 kilomètres au maximum. Tout est enregistré sur une plate-forme en ligne que l'agriculteur peut ensuite visualiser.
Ce collier breveté fait gagner beaucoup de temps à l'éleveur, qui, sinon, passe des heures à observer ses bêtes une par une, et peut aussi lui assurer de meilleurs rendements. « Si une vache est malade, on ne peut pas mélanger son lait à celui des autres bêtes. Si l'éleveur s'en rend compte trop tard, il faut jeter toute la production de la journée », souligne Roman Igual, cofondateur avec Viktor Toldov de la start-up, dont ils restent majoritaires après une première levée de fonds l'an dernier, au montant confidentiel, avec des business angels. [...] « C'est le premier objet connecté capable d'évaluer le bien-être de l'animal à partir du confort thermique, lumineux et du pâturage », ajoute Roman Igual. Après des tests réalisés notamment en partenariat avec Prospérité Fermière, coopérative laitière dans le cadre du programme Via Lacta, la jeune entreprise a lancé l'industrialisation de son collier. Elle en a fabriqué une première série de 100 testés actuellement sur des bovins au sein de deux élevages et elle compte lancer rapidement une deuxième série en production. »
« L’agriculture connectée est porteuse de nombreuses promesses pour une meilleure santé et un meilleur traitement des animaux. Mais lorsqu'on équipe des vaches avec des colliers connectés, ne risque-t-on pas de réduire l’animal à un ensemble de données et de standardiser les choses ? Et l’image renvoyée par des animaux hyper connectés, entourés de robots, est-elle compatible avec la demande sociétale ? Pour en débattre, une table ronde réunissait plusieurs acteurs de la santé animale le matin, dont l’éleveur ligérien Christophe Sablé. Pour estimer le bien-être animal, les productions spécialisées sont beaucoup plus avancées à ce jour, mais « des outils se développent en ruminants pour analyser le déplacement, la rumination, et demain le suivi de la température », indique Christophe Sablé. À la ferme expérimentale de Derval qu’il préside, des colliers sont testés sur les bovins pour regarder leur niveau de stress et les conséquences de celui-ci.
[...] Jusqu’où aller dans l’utilisation des nouvelles technologies ? Guillaume Ardillon, directeur digital groupe chez Terrena, rappelle que la coopérative travaille avec une association welfariste sur les questions de bien-être animal. Des applications smartphone pour techniciens et agriculteurs ont été déclinées pour travailler sur cinq axes du bien-être animal et fournir des conseils. Mais Guillaume Ardillon s’interroge sur les limites du développement numérique : « Aujourd’hui, on peut poser sur une vache des dizaines de capteurs, on est capable de le faire. La Chine va le faire, elle a annoncé qu’un milliard de vaches vont être équipées de GPS. Il est aussi question d’équiper des poulets de GPS pour valoriser leur nombre de pas au niveau du consommateur ». Cela revient à « transformer ces pas en valeur marchande. Le poulet qui a aura fait 1 million de pas sera vendu plus cher que celui qui en a fait 900.000. Mais est-ce que tous les pas se valent ? s’interroge Nicolas Fortané, sociologue à l’Inra. Cela dépend du type d’animal, de l’ambiance bâtiment... ».
[...] L’outil numérique est sans doute à concevoir comme complémentaire à l’observation humaine, indique Claire Manoli, responsable de l’unité de recherche sur les systèmes d’élevage à l’ESA : « On est sur l’idée de combiner les choses, et c’est intéressant dans le cadre de l’agrandissement des troupeaux ». Le numérique est conçu par certains acteurs comme un précieux outil d’aide au diagnostic, c’est le cas de « 2e avis » créé par la société en santé animale Pronozia. « Le numérique est bête. Il n’a ni libre arbitre, ni sensibilité, il ne donne pas de diagnostic, souligne Patrice Domas, de Pronozia. Mais il peut aider le vétérinaire à penser à des hypothèses qu’il n’aurait pas envisagées », pour plus de prévention et plus de précision. Aujourd’hui, « l’outil numérique est une troisième main ». Denis Avignon, vice-président de l’ordre des vétérinaires, le rejoint, considérant que les outils numériques doivent participer « à la création d’un vétérinaire augmenté ». Il est persuadé que « les outils vont aider le vétérinaire dans la partie technique du métier et vont lui permettre de se servir davantage de son cerveau droit, celui de l’empathie, de la discussion... ». Et qu’en est-il de la relation de l’éleveur avec ses animaux ? Pour Christophe Sablé, « le numérique change la façon d’appréhender l’observation ». Il apporte des outils d’aide à la décision, avec cette réserve qu’il est nécessaire de former l’agriculteur à son utilisation : il faudra notamment veiller à « ne pas se retrouver enfermé par les alertes qu’il génère ». Et privilégier le « smart data au big data ».
« Elle s’était fixé un délai de soixante jours, six auront suffi. L’éleveuse bourguignonne Emilie Jeannin a bouclé, jeudi 30 juin, son appel à financement participatif de 250.000 euros, lancé sur la plate-forme spécialisée Miimosa dans le but de mettre en œuvre le premier abattoir mobile en France. Le projet, qu’elle espère voir se concrétiser en 2021, consiste en un camion entièrement aménagé, qui se déplacerait sur les exploitations pour y abattre des bovins à la ferme, en présence de leur éleveur. Un tel modèle était jusqu’à peu interdit, l’abattage devant impérativement être effectué dans une structure agréée. Mais une disposition de la loi agriculture et alimentation (EGalim) a ouvert la voie en avril 2019 à l’expérimentation de l’abattage mobile, sans qu’aucun projet ait encore abouti.
[...] En Loire-Atlantique, le projet d’un collectif de 150 éleveurs a lui aussi connu une franche accélération. L’association Aalvie (pour Abattage des animaux sur leur lieu de vie) a lancé, début juillet, un appel à financement sur la même plate-forme Miimosa pour créer une filière d’abattage à la ferme dans le département et en Vendée. Quelques semaines plus tard, elle a récolté près de 50.000 euros, loin de l’objectif final de 1 million d’euros, mais c’était suffisant pour franchir un premier palier et recruter un chargé de projet. La démarche diffère légèrement du projet bourguignon, où toutes les étapes d’abattage, jusqu’à la mise en carcasse, se dérouleraient dans le camion. Les éleveurs d’Aalvie envisagent eux une filière structurée autour d’unités fixes, à construire, et d’une flotte d’une douzaine de « caissons », des remorques faisant l’aller-retour entre les fermes et l’unité centrale. Les animaux seraient étourdis sur leur ferme, en présence de leur éleveur, puis chargés sur un caisson où serait réalisée la saignée, et enfin transportés, sous une heure au maximum, dans l’unité fixe pour le retrait des cuirs, l’éviscération et la mise en carcasse.
[...] Dans les deux modèles, les gestes seraient effectués par des abatteurs professionnels, avec des contrôles vétérinaires ante et post mortem. En Loire-Atlantique, les services départementaux de la protection des personnes et la direction générale de l’alimentation ont assisté à un premier test et l’ont contrôlé, fin février, dans une ferme de Chateaubriant. « On sent une forte mobilisation autour de nous, d’éleveurs, bouchers, restaurateurs et consommateurs », s’enthousiasme Emilie Jeannin. Pour l’éleveuse de Beurizot, « l’avenir, c’est de ne plus transporter des animaux sur de longues distances et de ne pas reconstruire ces grandes cathédrales que sont les abattoirs industriels ».
[...] Ne plus avoir de transport d’animaux vivants est ce qui a principalement motivé ces projets : « Généralement, les animaux sont achetés par un maquignon et ramassés par un camion qui fait le tour d’une quinzaine de fermes, décrit Mme Jeannin. Les bêtes se mélangent, se chamaillent pour remettre une hiérarchie, et sont le soir déposées dans un centre d’allotement, avant de repartir le lendemain, d’être à nouveau mélangées, et d’arriver dans un abattoir où elles sont manipulées par des personnes à qui on impose des cadences. C’est ainsi qu’on arrive à de la maltraitance. » Pour l’éleveuse, abattre à la ferme même où ont grandi les bêtes permet de réduire le stress de l’animal. « Quand le camion vient s’installer sur la ferme, les animaux restent dans leur environnement. Comme l’éleveur est présent jusqu’au bout, l’abatteur est obligé de bien se comporter. »
[...] Le projet de camion d’abattage bourguignon nécessite un investissement de 1,8 million d’euros, celui de caissons mobiles d’Aalvie est évalué à 3,5 millions d’euros. Le financement participatif « nous donne une assise financière, mais c’est aussi un témoignage du bien-fondé de notre démarche », argue Guylain Pageot. L’enjeu est également territorial : « Si on veut garder un peu de souveraineté alimentaire, il faut avoir des outils de transformation locaux sur les territoires », défend Emilie Jeannin.
Pour comprendre l'enjeu des nouvelles agricultures urbaines, il nous faut dépasser l'image d’Épinal des jardins et potagers communautaires en vogue dans nos métropoles. Ces sympathiques initiatives ont le mérite de recréer un lien entre les citadins et la production de leur alimentation. Elles rendent également des services environnementaux, en contribuant à la végétalisation des villes, en y favorisant le maintien d'une certaine biodiversité ou encore en favorisant le recyclage de déchets organiques urbains quand elles s’intègrent dans des démarches d’économie circulaire. Pour autant, leurs rendements sont loin de pouvoir assurer la subsistance des citadins au delà d'une part marginale. Derrière cette réalité, une autre se dessine, celle d'une néoagriculture radicale, qui se matérialise dans des fermes verticales dopées aux technologies les plus modernes, empilant containers et laboratoire éclairés artificiellement, usant massivement de techniques de culture hors-sols comme l'hydroponie ou l'aéroponie. Contre-intuitivement écologiques dans leur principe de fonctionnement, ces innovations de rupture pourraient bien s'avérer à terme des solutions réalistes, même si leur modèle économique est encore fragile, et tenir un rôle majeur dans l'avenir pour nourrir des populations toujours plus urbanisées.
« Les cultures en pleine ville sont en vogue. [...] Ces fermes urbaines poussent comme des champignons dans les tissus urbains et périurbains des métropoles occidentales. Mais présentent-elles un réel intérêt ? Pour le savoir, Christine Aubry, chercheuse à l'Inra, étudie depuis six ans la récolte des 600 m2 de cultures posés sur le toit de l'école AgroParisTech, à Paris. Dans cette version de première génération de l'agriculture urbaine, les cultures se font dans des bacs exposés à ciel ouvert sur les toits, sans produits phytosanitaires, sur du terreau industriel ou issu de biodéchets locaux (déchets verts, bois broyé...), avec ou sans vers de terre. Résultats : toutes les récoltes ont donné en moyenne de 5 à 8 kg par m2 et par an, soit 50 à 80 t/ha. Un bon rendement, comparable à celui d'une production maraîchère bio dans la campagne en Île-de-France.
[...] De là à rendre la ville auto suffisante ? Loin de là ! Même en extrapolant ce rendement aux 80 ha de toitures parisiennes que l'on pourrait utiliser, on ne couvrirait que 6% de la consommation parisienne de fruits et légumes, a calculé la chercheuse. Sans compter que les céréales ou le bétail sont inenvisageables, car bien trop exigeants en termes d'espace. Même si on l'étendait aux friches et aux fermes périurbaines, l'agriculture urbaine ne remplacera donc pas l'agriculture traditionnelle. Elle peut, en revanche, contribuer à l'autonomie alimentaire des villes, en plus de promouvoir les circuits courts et de reconnecter les urbains au rôle fondamental des agriculteurs.
[...] Certes, ces cultures n'utilisent pas de pesticides, mais les légumes poussent dans l'air pollué des villes. Restent-ils comestibles ? Les chercheurs se sont penchés sur les taux de particules fines et autres polluants contenus dans ces végétaux. Bonne nouvelle : ils sont en dessous des seuils de détection. Mais cela ne signifie pas que ce serait le cas partout et tout le temps. En cas de dépassement des seuils, tout dépend du type de particules trouvées. Ainsi, si les émissions d'oxydes d'azote et d'oxydes de soufre ne présentent pas de risque, elles réduisent les rendements. À l'inverse, absorbés, des polluants comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques liés au trafic automobile sont potentiellement mutagènes et cancérigènes. Or, aucune norme ne les encadre encore dans les cultures. Côté métaux lourds, pas d'inquiétude : les légumes urbains affichent des concentrations cinq fois inférieures aux seuils de toxicité définis par l'OMS, comparables à celles des légumes du supermarché.
[...] Le grand atout de l'agriculture urbaine est ailleurs. À l'heure de la high-tech, cette agriculture pourrait bientôt doper ses rendements grâce aux techniques hors-sol, à l'image des serres ultra-optimisées de la start-up parisienne Agricool. Ses fraises poussent dans des containers étagés à l'humidité et à la température contrôlées, sous la lumière modulable de LED et nourries aux racines par des gouttelettes d'eau et de nutriments finement pulvérisées. Ambition annoncée : produire sur 30 m2 la même quantité de fraises que sur 4 000 m2 en plein champ, soit un rendement 120 fois supérieur ! Un chiffre exagéré ? Pas si sûr. Car ces techniques permettent d'optimiser la croissance des plantes et peuvent déjà multiplier le rendement au m2 par 10. Et la culture en étages démultiplie encore le rendement à surfaces au sol égales.
[...] Pourtant, le succès de cette agriculture ultra-productive n'est pas assuré. Le contrôle fin de l'humidité, de la température et de l'éclairage sur de grands locaux est extrêmement complexe, il implique de gros investissements en matériel et d'importantes dépenses énergétiques. Rentabiliser l'espace limite aussi la production aux végétaux de faible encombrement et à croissance rapide, comme les salades. Enfin, devant cette débauche d'infrastructures et d'électronique, des chercheurs remettent en cause, calculs à l'appui, la pertinence écologique globale de ces systèmes. Cela peut faire sens sous des climats extrêmes, dans des environnements urbains ultra-denses, dépendants des importations de nourriture, ou bien pour raccourcir les trajets des légumes jusqu'aux villes. Mais à Paris, où l'on peut s'approvisionner en légumes frais dans un rayon de 200 km, l'intérêt est moins évident. »
« Près de 5000 m² de tomates, fraises, aubergines et autres aromates cultivées en hydroponie (hors-sol dans des substrats irrigués de nutriments). C’est ce que peuvent voir depuis cet été les riverains du toit du pavillon 6 tout juste rénové du Parc des Expositions de Paris. À terme, ce seront près de 14.000 m² agricoles, assortis d’espaces disponibles à la location, que Viparis, le gestionnaire du lieu, aura installé en plein cœur de Paris. Soit la plus grande ferme urbaine au monde. Ce projet d’agriculture citadine, installée par Agripolis (400.000 euros de chiffres d’affaires), est une vitrine des différentes techniques testées pour tenter de ramener l’agriculture au cœur des villes. Un projet qui mobilise depuis une décennie des centaines de néofermiers urbains pour pallier la finitude des terres agricoles traditionnelles, tout en étant plus vertueux d’un point de vue environnemental, et moins gourmands en intrants de synthèse.
[...] Il y a dix jours, l’allemand Infarm, spécialistes de fermes fermées ultra high-tech, a frappé un grand coup en levant 170 millions de dollars pour financer sa R&D. Le groupe, qui utilise des leds, des logiciels, des milliers de capteurs et, depuis peu, de l’intelligence artificielle pour faire pousser en espace fermé des plantes aromatiques ou des salades, est très gourmand en capitaux. Discret sur ses chiffres, il a déjà installé en France une ferme de 80 m² chez le grossiste Métro à Nanterre, et commercialise des modules de 2 m2 implantés dans les rayons des supermarchés où les clients achètent une production « on ne peut plus locale », vante Florian Cointet, responsable France d’Infarm. Bien que le groupe assure utiliser à 90% des énergies renouvelables, ce modèle reste controversé pour son empreinte environnementale. Mais les fonds qu’il réunit prouvent l’attrait pour ces nouvelles manières de cultiver en ville.
[...] La France expérimente déjà une variété de modèles d’agriculture urbaine. Certes, peu de projets ultramodernes et intensifs comme on en trouve en Asie ou au Canada. Mais des centaines des potagers urbains partagés en allant jusqu’à des projets professionnels qui doivent gagner de l’argent. « Le secteur cherche encore ses modèles économiques », reconnaît Anouck Barcat, présidente de l’Association française d’agriculture urbaine professionnelle. Celle-ci fédère plus de 600 projets français professionnels employant 580 personnes, qui vont des microfermes en permaculture urbaines ou périurbaines à des exploitations en aquaponie, en passant par des potagers collectifs en pied d’immeuble. « Vu les petites surfaces disponibles en milieu urbain et les coûts de mise en œuvre, la vente de la production souvent ne suffit pas. » Sauf à vendre les produits trois fois plus cher. « Nous travaillons à quantifier précisément les services et impacts positifs de ces fermes urbaines pour mieux les valoriser auprès des collectivités ou des investisseurs. Cela va du nombre d’emplois créés, à l’amélioration de l’empreinte carbone en passant par la gestion des déchets », détaille Anouck Barcat.
[...] Chez UpCycle (1,5 million d’euros de chiffre d’affaires), qui s’est fait connaître en faisant pousser dans un container des pleurotes sur du marc de café, on revendique ainsi 30% à 40% d’émission de carbone en moins par rapport à des méthodes traditionnelles. Rentable, la start-up, qui a aussi développé des activités de conseils, fait reposer son modèle sur la valorisation de déchets organiques. Son mantra pour des projets viables : développer un projet spécifique à chaque endroit plutôt que de vendre une technologie « prête à l’emploi ». Un de ses fondateurs, Grégoire Bleu, détaille : « Sur les modèles très high-tech comme ceux qui utilisent des leds, il faut une production très “niche” pour que ce soit valorisé. Donc ne nous voilons pas la face, on ne nourrira pas le monde avec cela. En revanche, cela peut venir en complément d’autres techniques. » Ce constat est assez unanime. D’autant plus que les céréales ou les protéines végétales sont très loin de pousser sur les toits. « Dans des zones avec des surfaces contraintes, l’équation financière passe souvent par la diversification et le développement d’activités connexes, résume Julien Blouin, fondateur du cabinet de conseil en agriculture urbaine We Agri. On peut penser à des formations, des espaces arables à louer, du team building, des séminaires ou encore des actions pédagogiques. »
« Les villes sont confrontées à de grands défis environnementaux, comme la dégradation de la qualité de l’air, l’augmentation des îlots de chaleur urbaine ou l’érosion de la biodiversité liée à l’artificialisation des sols. Parallèlement, les consommateurs expriment leur souhait d’accéder à une alimentation locale et durable, ce que confirment l’essor de l’agriculture biologique, le développement de circuits courts et de projets alimentaires territoriaux. Développer l’agriculture en ville apparaît comme un moyen de répondre à ces attentes sociétales et à la nécessaire transition des villes vers plus de durabilité. Mais sortir de l’effet de mode et faire changer d’échelle l’agriculture urbaine implique de lever plusieurs verrous.
[...] L’agriculture urbaine regroupe l’ensemble des formes d’agriculture localisées en ville ou à leur périphérie, dont les produits et services sont majoritairement destinés aux villes. Elle se caractérise par sa multifonctionnalité, dans le sens où elle vise à répondre conjointement à des enjeux sociaux, environnementaux, économiques et territoriaux. Derrière cette définition se cachent des modes de production très variés en matière d’emprise territoriale, de technicité ou d’investissements, allant des fermes « classiques » en pleine terre aux fermes « high-tech » en conteneurs. Pour y voir plus clair, une typologie peut être envisagée, en distinguant : d'une part, l’agriculture urbaine « paysanne », optimisant l’utilisation du capital écologique et combinant activités de production alimentaire et de services ; d'autre part, l’agriculture urbaine « entrepreneuriale », exclusivement tournée vers la production alimentaire et nécessitant plus de capitaux pour financer les moyens de production et l’innovation. Les impacts de ces agricultures varient fortement, notamment pour ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre ou l’usage éventuel d’intrants chimiques Chiffrer le potentiel de production alimentaire de l’agriculture urbaine reste difficile, par manque de connaissance des surfaces disponibles. Les études scientifiques convergent néanmoins : les agricultures urbaines pourraient nourrir au maximum 10% de la population des villes.
[...] L’intérêt principal des agricultures urbaines réside dans leur capacité à recréer un lien entre les citadins et la production de leur alimentation. Ces agricultures rendent également de nombreux services environnementaux : en contribuant à la végétalisation des villes, ce qui favorise la rétention des eaux pluviales, la séquestration de carbone et limite les îlots de chaleur urbaine ; en favorisant le maintien de la biodiversité ordinaire ou encore en favorisant le recyclage de déchets organiques urbains ou la cogénération d’énergies à partir de biomasse lorsque les exploitations s’intègrent dans des démarches d’économie circulaire.
[...] Le développement des agricultures urbaines nécessite de préserver les espaces disponibles au cœur et en périphérie des villes, et donc de lutter contre l’étalement urbain. Il implique de repenser l’espace de production agricole comme une composante pleine et entière des villes et de leur évolution. La mise en place de conseils alimentaires locaux apparaît comme un facteur facilitant la pérennisation des systèmes alimentaires ainsi mis en place. Développer des agricultures urbaines reposant sur des modes de production durables, contribuant à la transition écologique des villes, et accélérer le changement d’échelle de ces productions, implique notamment : - de renforcer les connaissances, en capitalisant et diffusant les données technico-économiques de terrain et en développant les évaluations des impacts environnementaux des systèmes d’agricultures urbaines ; - d’élaborer une politique volontariste en faveur d’agricultures urbaines durables, associant l’ensemble des ministères concernés et les collectivités territoriales. Cette politique doit être déclinée à l’échelle locale, en s’appuyant sur des dispositifs de gouvernance citoyenne dédiés, intégrant territoires urbains et périurbains ; - d’adapter les instruments de planification territoriale et les normes de construction, pour protéger les terrains agricoles ou faciliter la mise en place de toitures végétalisées ; - enfin, d’augmenter l’offre de formation et faciliter les démarches d’installation d’exploitants agricoles urbains ou périurbains. »
« Que cultive-t-on ici à 100 mètres du périphérique parisien ? « Surtout des tomates et des fraises, mais aussi des aubergines, des concombres, du chou kale, des blettes, des salades et des aromatiques », énumère Camille Billiémaz, responsable de la production maraîchère. Tout ça... sans terre. Deux techniques de cultures sont utilisées. La première, l’hydroponie, consiste à faire pousser les légumes dans un bac, sur un substrat de fibre de coco régulièrement irrigué par une solution nutritive. À l’entrée du site, nous apercevons ainsi des rangées de plants de tomates, 3.000 plants au total, placés dans des bacs surélevés à un mètre du sol, et cerclés d’un système d’irrigation. La seconde technique, l’aéroponie, est sans doute la plus emblématique des fermes urbaines les plus « high-tech » puisqu’il s’agit de colonnes verticales, de plusieurs mètres de haut, trouées : dans chaque trou est placée une plante, dont les racines sont aspergées d’eau et de solution nutritive, nuit et jour, toutes les quinze minutes. C’est ainsi que sont cultivés, entre autres, les 16 000 plants de fraises, l’irrigation étant « en circuit fermé pour économiser l’eau » insiste Camille Billiémaz. Toute l’eau aspergée revient donc dans la cuve pour être réinjectée. Les ressources en nutriments peuvent également être ajustées grâce à des sondes qui détectent, en calculant le PH, les besoins de la plante.
[...] Peut-on vraiment parler d’agriculture pour des projets aussi, littéralement, hors-sol ? « L’hydroponie et l’aéroponie sont beaucoup plus légers que des systèmes en pleine terre : sinon, on n’aurait pas pu s’installer ici sur le toit, on aurait un problème de portance », explique Sophie Hardy, la directrice du site. Si le terme d’agriculture reste valable au sens où il y a bien production d’aliments, le label bio n’est pas envisageable. Les plants sont bio, et ne sont utilisés que des traitements préventifs homologués en agriculture biologique, assure la directrice. « Le label bio, on n’y a pas le droit parce qu’on est hors sol, poursuit Sophie Hardy. On l’aurait au Danemark, où le cahier des charges est différent ». Les nutriments donnés aux plantes via le goutte-à-goutte ne sont en revanche « qu’à 10% organiques, car malheureusement ils bouchent les tuyaux », précise la responsable de la production.
[...] Deuxième question, celle de la pollution : a-t-on vraiment envie de déguster des tomates, même des green zébra, si elles ont grandi dans un environnement aussi peu vert ? Une interrogation « légitime », reconnaît Sophie Hardy, avant de dérouler une réponse en trois points : « La pollution passe d’abord par les racines, or sur les colonnes nos racines sont protégées, elles ne sont pas au contact de la pollution, ni de l'eau polluée. Ensuite, les grandes villes ont une pollution par les métaux lourds, mais à 15 mètres de haut, nous sommes suffisamment hauts pour ne pas être atteints. Enfin, il y a la pollution de l'air ambiant, et dans ce cas, il suffit de rincer les fruits et les légumes. On a fait des tests avec l’INRA, qui a démontré que les qualités intrinsèques des produits sont excellentes. Mais il est vrai que c’est un peu contre-intuitif. »
[...] Troisième question, celle de la rentabilité, qui revient à poser la question de la finalité réelle du projet. Car si les projets de fermes urbaines semblent pousser comme des champignons depuis quelques années, leurs ambitions sont très diverses : high-tech ou low-tech, avec ou sans but de rendement important, avec ou sans finalité sociale, etc. Ici, le projet est privé. Un appel d’offres lancé par Viparis a été remporté par deux start-up, Agripolis et Cultures en ville, qui se sont associées pour créer une structure dédiée, Nature Urbaine. Celle-ci a aujourd’hui trois volets : « le maraîchage, une dimension événementielle, et une dimension pédagogique avec la location de carrés potagers pour les particuliers, explique Sophie Hardy. Si on n’était que sur la partie maraîchage, économiquement, ça ne tiendrait pas. » Même avec un tiers de la surface du toit utilisée, il y a déjà de quoi produire assez pour une distribution répartie pour l’instant entre le restaurant du Perchoir, deux hôtels voisins, un magasin Intermarché et une société de restauration collective. « Chacun des 3.000 plants de tomates peut donner 5 kilos, soit un objectif de 15 tonnes au total », explique Camille Billiémiaz. D'ici deux ans, l'objectif est de produire près de 200 tonnes de légumes et fruits chaque année, avec 25 à 30 personnes employées, dont plus d’une vingtaine de maraîchers.
[...] Le choix a été fait de ne pas abriter la production sous serre, comme c'est le cas pour d’autres fermes urbaines en toiture. À New York, une des fermes urbaines historiques, la ferme Gotham Greens établie depuis 2008 à Brooklyn, fonctionne par exemple en suivant une méthode de culture hydroponique, mais sous serre, avec un système de contrôle informatisé qui gère la climatisation, l’hygrométrie, la luminosité et la nutrition des plantes à longueur d’année. « Au final, si vous utilisez énormément d’énergie pour vous substituer au soleil, est-ce que ça vaut vraiment le coup d'utiliser toutes ces technologies ? Même si le produit est bon, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? », lance Jérémie Constant, un ingénieur agronome d’Agropolis, tout en plaçant les plants de fraisiers un à un dans une rangée de colonnes hydroponiques. On glisse qu’il y a quand même, ici, une dimension technologique non négligeable, ce qu’il admet volontiers : « Pour moi, c’est de la technologie au service du local ». L'ingénieur évoque les « nombreux débats » dans ce secteur naissant, auquel ne cessent de s'agréger de nouvelles start-ups et structures associatives. « Tout le monde part un peu de son côté faire sa propre technologie. C’est un peu comme au début de l’aviation : est-ce qu’on en est à l’ère des Zeppelin ou est-ce qu’on en est déjà aux avions cargo ? »
[...] La directrice du site défend pour sa part un modèle « non productiviste » : « Fin octobre-début novembre, on aura terminé la saison et on mettra en hivernage jusqu’en mars, donc on perd 6 mois. C'est un choix qui nous pénalise en termes de productivité, mais c’est assumé. On aurait aussi pu faire des choix de variétés de fraises et de tomates beaucoup plus productives. Mais ce qu’on veut, c’est proposer des produits de qualité, c’est fondamental et c'est ce qui fera notre différence. Sinon on devient gadget. Et on ne veut pas être gadget. » Aucune ferme urbaine ne souhaite l’être, mais c’est bien le risque : car après tout, 15 tonnes de tomates, c’est honnête, certes, mais c'est vite englouti. [...] « On est pragmatiques, commente Sophie Hardy. De toute façon, beaucoup d'espèces ne poussent pas avec ces techniques. La France est une terre agricole depuis des siècles, donc il ne s'agit pas d'opposer les systèmes d’agriculture. On ne s'adressera pas à tout le monde, c’est certain. En revanche, on répond à une demande d'une partie de la population qui a envie de favoriser les circuits courts et d’éviter les transports par camion sur 2 000 km. » Camille insiste : « On ne va pas nourrir les villes avec des systèmes hydroponiques ! Je préfère dire qu’on est là pour sensibiliser, montrer comment ça fonctionne, comment ça pousse. Ce n’est pas en pleine terre, mais on peut dire que la fraise c’est maintenant, pas en février ni en novembre, on peut expliquer les saisons, montrer quels types de légumes on a en France... On n’est pas là pour faire concurrence aux maraîchers et aux agriculteurs, au contraire. »
« Une start-up finlandaise a pris de la hauteur pendant la pandémie. Elle aide à faire pousser les légumes verts, les baies et les légumes dans des jardins verticaux, notamment au Moyen-Orient. L'agriculture verticale, qui utilise des couches de cultures empilées verticalement et cultivées dans des installations à température contrôlée, utilise beaucoup moins d'eau et de surface au sol que l'agriculture traditionnelle. La start-up iFarm fait ses débuts sur un marché prêt à connaître une forte envolée. L'entreprise a déniché un concept intéressant sur ce marché encore naissant et développe des technologies de gestion agricole verticale, dotées d'un système d'exploitation capable de capter d'énormes volumes de données.
[...] L'un des avantages intéressants de l'agriculture verticale, en particulier en cas de pandémie où tant d'espaces professionnels sont vides, est qu'il est possible d'utiliser l'environnement urbain pour faciliter la culture. En faisant pousser les cultures plus près des citadins, l'entreprise peut offrir une efficacité logistique et une fraîcheur inégalée. Une solution d'autant plus pertinente qu'elle se construit à un moment où l'agriculture traditionnelle est de moins en moins viable. La productivité agricole mondiale ralentit soudainement pour la première fois depuis des décennies. Personne ne sait exactement pourquoi, mais il s'agit probablement d'un problème systémique lié à la montée des monocultures et à la surutilisation des engrais. Les agriculteurs vieillissent également à l'échelle mondiale, car les jeunes générations migrent vers les villes. Cela s'explique en grande partie par l'explosion de la productivité au cours du siècle dernier, qui a maintenu les prix des denrées alimentaires à un faible niveau, ce qui rend l'agriculture peu attrayante sur le plan économique. C'est un double coup dur maintenant que cette productivité ne peut plus être considérée comme acquise sans que la chaîne d'approvisionnement alimentaire soit repensée en profondeur.
[...] L'agriculture verticale, comme d'autres innovations en matière d'agriculture intelligente, peut donc offrir des alternatives réalistes. Elle a su d'ailleurs imaginer une nouvelle utilisation de l'espace et des technologies de pointe. La plateforme technologique d'iFarm, Growtune, permet aux producteurs de tirer parti de technologies comme la vision par ordinateur, le machine learning et d'énormes volumes de données. Le système peut permettre aux exploitations agricoles de répartir les fermes verticales sur des réseaux distribués tout en conservant un contrôle centralisé. La plateforme Growtune peut notamment déterminer le poids de la plante, ainsi que les écarts de croissance ou les pathologies, et construire un système qui améliore la qualité et les caractéristiques des cultures par lui-même. Selon iFarm, l'optimisation permettra de réduire les coûts de main-d'œuvre pour des cultures comme les fraises, les tomates cerises, les poivrons, les radis et autres.
[...] « La pandémie a exposé les problèmes du système alimentaire mondial. Les approvisionnements alimentaires, les semailles et les récoltes ont été interrompus dans le monde entier », rappelle Mikhail Taver, associé directeur de Gagarin Capital. « iFarm adopte une nouvelle approche de l'agriculture, en proposant une solution automatisée pour cultiver des produits à proximité du consommateur et assurer la sécurité alimentaire. Nous sommes convaincus que l'avenir du marché alimentaire réside dans les technologies modernes et nous sommes ravis de soutenir le projet. »
« Avec 100 millions de dollars récoltés lors d'une nouvelle levée de fonds, la start-up allemande Infarm va pouvoir poursuivre sa conquête des grandes métropoles. Jeune pousse spécialisée dans les fermes verticales, Infarm propose à ses clients la location de potagers d'intérieurs pour profiter de produits frais toute l'année. Au gré des tours de table, la pépite germanique a ainsi levé 134 millions de dollars au total, dont une subvention européenne de 2,5 millions de dollars. Son portefeuille compte déjà des dizaines de clients, dont 25 acteurs de la distribution tels que Casino, Intermarché, mais aussi Metro et Amazon Fresh en Europe. Ce qui fait d'Infarm l'un des enfants prodiges de cette industrie émergente et en pleine expansion.
[...] Le principe des fermes verticales est de faire pousser des végétaux à l'intérieur, sans utiliser de pesticides et en consommant le moins d'eau possible - en général, ces dernières utilisent ainsi 95% moins d'eau que leurs alter ego conventionnels. Chez Infarm, la terre est par exemple remplacée par de la fibre de coco, immergée dans une eau saturée de nutriments et de sels minéraux, et le soleil par un éclairage LED. Ces systèmes attirent de plus en plus l'intérêt des investisseurs puisqu'ils pourraient résoudre plusieurs problématiques. A commencer par le défi de nourrir 9 milliards de personnes d'ici 2050 tout en préservant la planète. L'un des avantages des fermes verticales est notamment de ne plus exploiter les terres agricoles, déjà sur-sollicitées dans le système alimentaire actuel. Mais aussi de pouvoir cultiver localement et commercialiser des produits frais. « Grâce à cette technologie, nous pouvons cultiver dans différents endroits, en créant et en maintenant un environnement idéal pour que n'importe quel végétal se développe », explique Osnat Michaeli, l'une des fondateurs d'Infarm. Et ces fermes d'intérieur peuvent être installées n'importe où en ville, un atout inestimable à l'heure où dans toutes les grandes métropoles, l'espace se raréfie.
[...] InFarm n'est bien sûr pas la seule à s'être positionnée sur le secteur. Cette semaine, la chaîne de distribution en ligne britannique Ocado, qui livre les produits Marks & Spencer entre autres, a ainsi pris une part majoritaire de 58% dans Jones Foods, la ferme verticale la plus grande d'Europe. L'ambition : fournir des produits frais à ses clients en moins d'une heure. Outre-Atlantique, la jeune pépite californienne, Plenty, a de son côté levé 200 millions de dollars lors d'un tour de table mené par SoftBank. Une autre start-up, Bowery Farming, a quant à elle réussi à séduire la maison mère de Google, Alphabet, et le patron d'Uber, qui ont injecté 90 millions de dollars dans son business. »
« 4.500 mètres carrés de surface, 6.400 mètres carrés de culture, 12 mètres de hauteur et 10 millions de plantes produites chaque année : c'est le projet de Jungle, startup d'agriculture urbaine qui promet ainsi de créer la plus grande ferme verticale de France. En cours de construction à à Château-Thierry, dans l'Aisne, la ferme devrait être complétée en 2021, selon Gilles Dreyfus, co-fondateur et PDG de la startup, qui prévoit un chiffre d'affaires de plus de 10 millions d'euros annuel. Les plantes issues de la ferme, vendues en pots avec leurs racines, seront essentiellement destinées aux supermarchés de Monoprix. Après un test dans trois lieux de vente, le distributeur vient en effet d'annoncer un partenariat avec la startup, impliquant leur vente dans 60 magasins dès janvier, puis un déploiement à l'échelle nationale. Mais l'entreprise espère également convaincre Intermarché, avec qui elle conduit actuellement un projet pilote.
[...] Jungle mise sur l'agriculture verticale, réalisée dans un environnement contrôlé, afin de produire en grandes quantités et sans pesticides des plantes aux « qualités gustatives et nutritives élevées ». Comme dans de nombreuses autres fermes urbaines, les plantes sont cultivées en hydroponie, hors sol : c'est l'eau, circulant en circuit fermé, qui leur apporte les nutriments essentiels, calculés précisément en fonction de leurs besoins grâce à des logiciels et à des capteurs. « Puisque les racines se développent ainsi en vertical, cela permet d'atteindre une densité par mètre carré entre 10 et 30 fois supérieure à celle des cultures en plein champ », note Gilles Dreyfus. Dans le cas des fermes verticales, s'ajoute l'utilisation de plusieurs niveaux de culture afin de rentabiliser au maximum les surfaces, plus chères en milieu urbain. Ainsi que la création d'un environnement lumineux et climatique idéal à chaque espèce, grâce à l'utilisation de lampes LED et à la régulation de la température, de l'humidité, de la concentration de CO2 comme de la circulation de l'air voire du vent.
[...] C'est la régulation « à 0,01% près » de ces paramètres, testée par Jungle pendant deux ans et demi au Portugal, dans son centre de recherche et développement, sur une centaine de plantes, qui lui permet aujourd'hui de proposer une vingtaine d'herbes aromatiques, de salades et de jeunes pousses « au calibrage, au goût, à la texture et aux qualités nutritives optimisés », souligne Gilles Dreyfus. Elle assure également un nombre de cycles de croissance largement supérieur à celui des cultures en plein champ ou sous serre, et une traçabilité complète des aliments. Sans compter que ce modèle permet d'éviter les aléas climatiques, les attaques d'insectes, et d'utiliser beaucoup moins d'eau : seulement 1 litre par kilo de laitue, contre 20 en serre et 250 en plein champs, calcule Jungle.
[...] Le revers de la médaille consiste dans la consommation énergétique, élevée surtout en raison de l'utilisation massive de lampes LED, admet Gilles Deryfus. L'entreprise, qui fournit un seul chiffre, 30 grammes de basilique pour chaque kilowatt consommé, assure toutefois utiliser 30% d'énergies renouvelables. Elle insiste aussi sur la nécessité de tenir compte de l'empreinte carbone globale par tonne de végétaux produits, selon elle largement inférieure dans les fermes verticales à celle des fermes traditionnelles. L'autre bémol est paradoxalement l'impossibilité d'une production véritablement locale, puisque le modèle même de Jungle repose sur la production de gros volumes dans un seul lieu. Les trois fermes prévues en France à l'horizon 2022 ne livreront ainsi que des centrales d'achats situées « à moins de 200 kilomètres », qui livreront à leur tour d'autres magasins.
[...] Quant à la rentabilité, autre talon d'Achille de l'agriculture urbaine, Gilles Dreyfus est persuadé que le modèle propre à Jungle lui permettra d'écarter certaines difficultés rencontrées par la concurrence. Tout d'abord, une approche où les investissements suivent les opportunités commerciales : ainsi, c'est le partenariat avec Monoprix qui a déterminé la construction de la ferme à Château-Thierry. Ensuite, la préférence pour la signature de contrats-cadres avec des grands distributeurs plutôt que magasin par magasin. Enfin, le prix proposé au consommateur, supérieur de 5% à celui de l'agriculture traditionnelle mais inférieur de 20% à celui de l'agriculture bio. Jusqu'à présent, l'entreprise a d'ailleurs su se développer en levant seulement 5 millions d'euros - auprès d'un industriel du parfum, de l'agro-industriel Cofigéo et de plusieurs business angels - , souligne son fondateur, tout en gardant le secret sur la forme sous laquelle seront levés les 8 millions nécessaires pour les investissements programmés. Pour se développer, Jungle mise d'ailleurs sur un deuxième marché, qui pourrait se révéler bien plus profitable que celui de la grande consommation : la production d'arômes pour l'industrie de la parfumerie, à la recherche de solutions pour relocaliser et sécuriser son approvisionnement face au réchauffement climatique et aux contraintes environnementales croissantes. Jungle assure pouvoir leur assurer non seulement la qualité, mais aussi les quantités recherchées. »
« La start-up française Agricool a inauguré en février à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) un tout nouveau genre de ferme urbaine, capable de produire en ville et en simultané plusieurs variétés de fruits et légumes. L’exploitation se compose de dix containers imbriqués ensemble. Sur les dix, une unité héberge les machines pour le bon fonctionnement du système, une sert de hub central, et les huit dernières produisent, chacune indépendamment des autres, des aliments. Leur intérieur est similaire à celui d’une serre miniaturisée. Reliées à des tuyaux les alimentant en eau et en nutriments, les plantes sont cultivées à l’horizontale, face à une infinité de LED multicolores. L’objectif étant de recréer des conditions semblables à celles d’un printemps français, afin d’assurer une production par cycles, toute l’année. Pour l’instant, la ferme se concentre sur les fraises, à raison de 1.000 barquettes de 125 grammes produites par semaine, et les mix d’herbes aromatiques, avec 6.000 barquettes tous les sept jours. Agricool a également annoncé se lancer dans les mélanges de jeunes pousses de salades. La production est garantie sans pesticides, et l’électricité, fournie par le parisien Energie d’ici, 100% renouvelable. L’alimentation en énergie est mutualisée entre chaque container, permettant ainsi une économie de 30% par rapport aux autres installations de l’entreprise. La ferme fonctionne également entièrement en circuit fermé, ce qui assure une économie d’eau de 90%.
[...] Pour quel investissement ? Agricool ne souhaite pas en dire plus, mais garantit que chaque serre est remboursée par son utilisation. L’entreprise possède déjà quatre autres installations, allant d’un à quatre containers, en région parisienne et à Dubai. Selon Guillaume Fourdinier, co-fondateur d’Agricool, la nouvelle ferme aurait permis une multiplication du rendement par 100. La production serait également « 120 fois plus importante que celle d’un champ classique ». La solution d’Agricool irait de plus vers une réhabilitation des zones agricoles en espaces naturels : « Aujourd’hui, on doit produire toujours plus pour répondre à l’accroissement de la population, alors qu’on a déjà usé les sols de la planète. Tout miser sur les champs serait une catastrophe. En se servant d’espaces déjà industrialisés, on pourra libérer des zones pour les rendre à la nature », estime Guillaume Fourdinier. Pour l’instant, Agricool travaille exclusivement avec Monoprix et livre six de ses magasins en région parisienne. Un chiffre qui devrait monter à 30 d’ici la fin de l’année. Pour éviter un bilan carbone trop élevé, l’entreprise préfère éviter les livraisons dans un rayon de plus de 15 km. »
« L'entreprise Agricool développe l'agriculture hors sol en zone urbaine. Un concept futuriste, qui impressionne autant qu'il questionne. [...] Pour les fondateurs d'Agricool, l'enjeu est de mettre en place un nouveau système de production. « On s'est rendu compte que la question principale n'était pas "comment" cultiver mais "où" cultiver ? », nous explique Guillaume Fourdinier. Après avoir réfléchi à différentes solutions, Agricool s'est arrêté sur un modèle de culture en container. « Ce sont d’anciens containers maritimes qu'on récupère. Ils sont déjà isolés, ce qui nous évite de refaire l'isolation » explique Joséphine Ceccaldi, directrice marketing de la start up.
[...] Dès l'entrée, l'ambiance futuriste attise la curiosité. Depuis le sas d'entrée, une vitre laisse voir des tubes verticaux qui contiennent des fraisiers. Face à eux, des colonnes d’ampoules LED multicolores produisent le spectre lumineux idéal pour la croissance du fruit : « Il a fallu trois ans de recherche et développement pour comprendre la fraise : savoir ce dont elle a besoin en termes de climat, de densité d'humidité dans l'air, de lumière et de nutriments », confie la jeune femme. « On recrée à peu près quatre printemps, ce qui permet de récolter toute l'année tout en respectant le cycle de la fraise : un mois et demi à deux mois de végétation, pour un mois à un mois et demi de récolte. ».
[...] L'écosystème est reproduit artificiellement pour contrôler le climat et protéger les plants contre de potentielles bactéries, et pour éviter d'avoir recours à des pesticides. Ici, ce sont des insectes qui empêchent le développement de maladies. Pensé par une équipe d'agronomes et d'ingénieurs, le concept pousse très loin la notion d'optimisation de la production. Joséphine Ceccaldi détaille le fonctionnement autour de trois grands principes. Le premier, c'est la culture verticale : « Elle se fait selon un système d'aéroponie : les fraisiers sont fixés de manière à laisser à l'air libre les racines, sur lesquelles on vient légèrement brumiser de l'eau. Ensuite, l'eau est récupérée dans une gouttière, retraitée dans une cuve et redistribuée, ce qui permet d'économiser 90% de l'eau par rapport à la culture en plein champ. » Évidemment, l'eau est enrichie en nutriments, synthétiques pour le moment. Pour l'instant, les essais avec des nutriments naturels n'ont pas été concluants. Ils boucheraient les canalisations et exigeraient une consommation d'eau beaucoup plus importante.
[...] Le deuxième principe mis en avant est la culture en milieu fermé : pas de dépendance aux aléas climatiques et des conditions de culture optimisées par un système qui s'ajuste automatiquement et contrôlable, si besoin, à distance. Enfin, le troisième principe est l'ultra local : « Nos containers sont à proximité immédiate des lieux de vente. Les fruits et les légumes poussent jusqu'à maturité. Donc pas de problématique de transport, et pas non plus de stockage en frigo. » Difficile de faire plus « locavore » comme approche... Mais des fraises n'ayant jamais vu la lumière du jour peuvent-elles être vraiment aussi bonnes en termes de goût et aussi riches en vitamines que les fraises de plein champ ? « Les analyses montrent que nos fraises ont en moyenne 20 % de sucre et 30 % de vitamine C de plus que les fraises de supermarché », répond Joséphine Ceccaldi.
[...] Moins de pesticides, pas de transport, un réduction drastique des besoins en eau et une absence de dépendance aux saisons et aux aléas climatiques... La méthode a de quoi séduire. Pourtant, au-delà des aspects purement scientifiques, ce modèle soulève encore pas mal d'interrogations, notamment sur le plan environnemental. Et l'équipe d'Agricool est bien consciente de ces réserves. La question des LED usagées, produit très polluant dont le recyclage est complexe et coûteux, reste notamment en suspend : « Le problème ne s'est encore jamais posé. Aujourd'hui on n'a pas eu à les changer, il faudra le faire dans dix ans », reconnaît Guillaume Fourdinier, qui assure travailler d'ores et déjà sur cette question.
[...] Les autres réserves sont d'ordre plus philosophique. Pour Damien Deville, chercheur à l'Inra et à l'Université Paul Valery, il convient de nuancer l'engouement actuel pour ces nouvelles pratiques agricoles : « La technologie n’est pas mauvaise en soi, tout dépend de l’usage que l’on en fait en société ». Comment appréhender une technologie qui fait perdre les repères agricoles ancestraux en matière de saisonnalité ? Guillaume Fourdinier, qui a grandi en milieu rural, s'est posé ces questions et n'hésite pas à nous en parler : « L'objectif n'a jamais été de vendre des fraises en hiver : le but est de produire des fruits meilleurs et plus sains. Sachant qu'il y a un import croissant de l'étranger répondant à une demande grandissante ».
[...] Damien Deville insiste sur un autre point : la vision quelque peu réductrice de la démarche agricole telle que la met en oeuvre Agricool : « Il y a là une question de fond : qu’est-ce que l’agriculture ? Est-ce qu'elle sert uniquement à produire des fruits et des légumes, ou est-ce qu’elle est garante d’une diversification paysagère, de la biodiversité, de la valorisation de traditions culturelles dans les territoires, de liens sociaux, etc. ? », interroge le chercheur. D'après lui, manger des légumes cultivés en ville pourrait aussi faire émerger une nouvelle forme de concurrence à travers d'importantes subventions accordées aux projets agricoles high tech au détriment de l’agriculture plus classique et paysanne.
[...] Enfin, Damien Deville expose également une série de menaces d’ordre plus prospectif : « Si l’agriculture peut dorénavant se pratiquer sans terre, comment dès lors lutter contre les processus d’urbanisation qui mettent en péril tant la résilience de la biodiversité que celle des sociétés humaines elles-mêmes ? ». Et le chercheur de préciser qu’aujourd'hui nous avons « le choix entre une agriculture ultra-techniciste, déconnectée des territoires et des cycles des saisons, et une agriculture comme outil permettant de questionner notre lien au vivant et d’inhiber en partie la dualité entre nature et culture dans nos sociétés ». Le débat serait donc moins d'ordre scientifique que philosophique. Car manger n'est, ne l'oublions pas, plus seulement un simple acte « nécessaire à la survie de l'espèce » mais aussi un acte philosophique, politique et social.
[...] Ce constat, Agricool le reconnaît : « Tout doit évidemment être mis en place pour réduire l'impact de l'homme sur la nature », assure Guillaume Fourdinier, qui constate que « les terres sont usées, les surfaces de culture diminuent, le nombre d'individus augmente et la pression de la production avec. Produire hors sol est donc, finalement, un cadeau pour la terre. ». Il nuance tout de même son propos en précisant que « la solution réside dans un mix complet de production ». Avant d'ajouter que « l'agriculture n'est en elle-même pas naturelle. Un agriculteur, même bio, même paysan, dompte la nature » et de préciser que produire dans un container ne revient pas exactement à « recréer » la nature, mais plutôt à repenser une démarche de production pour produire l'équivalent de 4000 m2 de cultures dans un espace de 30m2. « Nous n'avons pas le choix : il faut de nouvelles solutions, pas des solutions qui remplacent l'existant. De plus, notre type d’agriculture n'est destiné qu'à des mégalopoles qui n'ont pas de place pour cultiver », explique le fondateur d'Agricool. »
« C'est un ancien désert transformé par endroits, en mer de plastique formée par les innombrables serres agricoles. Dans le sud-est de l'Espagne, la région d'Almería a construit sa prospérité sur l'agriculture intensive et s'est spécialisée dans les nouvelles techniques de culture des fruits et légumes. Aujourd'hui, plusieurs entreprises locales veulent décliner dans les villes, un modèle de serre plus esthétique, dix fois plus productif et respectueux de l'environnement. Elles l'ont développé avec le soutien d'un programme cofinancé par l'Union européenne.
[...] « Notre serre Greendomo a la forme d'une coupole, d'un dôme géodésique » décrit Juan Pardo, directeur technique de Greendomo chez Novagric. « Elle est construite avec des panneaux triangulaires, le triangle étant la forme géométrique la plus simple qui existe » poursuit-il. « La consommation d'énergie est minimale et on a utilisé les matériaux de manière à ce qu'il n'y ait aucun obstacle structurel au rayonnement solaire : les plantes peuvent assurer la photosynthèse, l'énergie lumineuse est distribuée de manière plus globale et plus homogène, il n'y a aucune ombre qui leur porterait préjudice ». Le système de plantation vertical placé sur des colonnes rotatives que cette serre abrite permettra de produire des récoltes tout au long de l'année en utilisant 70% d'eau en moins. Et la grande étanchéité de cette structure les protégera des conditions météo extrêmes et des nuisibles qui pénalisent les rendements et la qualité dans l'agriculture traditionnelle. L'idée, c'est de les installer dans les parcs, sur les places publiques et même sur les toits des bâtiments.
[...] « En réalité, ce pourrait même être plus profitable qu'un système traditionnel ou une production en agriculture intensive traditionnelle parce qu'on répond à cette question essentielle de la proximité » affirme Eduardo Pardo, directeur du projet. « On économise du transport, on respecte les exigences en matière de réduction d'empreinte carbone et on délivre des produits frais » fait-il remarquer. « Les consommateurs paieront plus pour ces produits en sachant qu'ils viennent juste d'être récoltés » assure-t-il. Il y a fort à parier que des idées comme Greendomo joueront un grand rôle dans l'agriculture urbaine et le secteur agricole dans son ensemble à l'avenir. Mais le soutien des gouvernements est nécessaire tout comme la détermination des organisations qui innovent dans ce domaine. Ce type de solution renforcerait notre sécurité alimentaire et transformerait le quotidien des citadins à travers le monde. »